B. Quelle activité de la part de l’enseignant ?

Par son appartenance à une institution (Chevallard, 1995 et 1999), le travail de l’enseignant consiste en partie à répondre à des prescriptions. L’institution est constituée de différents acteurs qui ne sont pas du même ordre : le ministère de l’éducation nationale, l’établissement scolaire, le proviseur, les autres enseignants, les élèves et les parents. Pour notre travail, nous limitons les acteurs au ministère, qui par le bulletin officiel prescrit le programme d’enseignement, aux autres enseignants appartenant au même établissement scolaire qui enseignent la même discipline au même niveau scolaire que l’enseignant observé et les élèves. Ces différents acteurs offrent des ressources et donnent à l’enseignant des cadres de réalisation de sa pratique, par exemple : le programme officiel, les documents d’accompagnement, les règles de l’établissement … Ils fixent des durées et rythmes à l’enseignant à différents niveaux:

La signification du terme ici « d’activité » est différente de celle du concept d’activité. Ce terme est utilisé dans l’enseignement, y compris dans les programmes officiels et fait appel à ce que l’enseignant prévoit de faire ou fait faire à ses élèves lorsqu’il vise la construction d’un savoir en jeu. Au regard du contexte de cette recherche, « l’activité » a un caractère introductif, expérimental, prédictif ou applicatif du modèle de la physique présent dans les documents OUTILS/PEGASE et se compose d’une consigne et éventuellement de matériel.

Les niveaux de temporalités et de rythmes 1, 2, 3 et 4 sont déterminés par les acteurs institutionnels : le ministère de l’éducation nationale et l’établissement scolaire. Tandis que les niveaux 5 et 6 sont à la charge de l’enseignant. L’enseignant dispose donc d’une part d’autonomie et/ou de marge de manœuvre moins dans ce qu’il a à enseigner (programme officiel et documents d’accompagnement) que dans la manière de l’enseigner (en séance d’enseignement ou lors « d’activités »). De plus, comme il a été précisé précédemment des contingences environnementales jouent sur les cadres de réalisations de l’activité de l’enseignant. L’activité dans une situation donnée au sein d’une institution ne peut donc s’expliquer que par l’analyse de la relation « situation – institution ». Cette relation produit l’espace des possibles dans lequel s’inscrit l’activité qui se fonde sur des durées et rythmes différents qui sont en parties à la charge de l’enseignant. Ainsi, celui-ci est amener à gérer différentes temporalités et rythmes. Or comme le soulignent Maurice et Allègre (2002) : « la psychologie du contrôle moteur nous alerte sur des caractéristiques temporelles de nos savoir-faire, dimensions cachées mais fortement structurantes ». Par conséquent, nous supposons que l’enseignant dispose de procédés de contrôles temporels qu’il sollicite consciemment ou inconsciemment au cours de son activité et qui lui permettent de la réguler. On peut noter que les travaux en psychologie du temps (Valax, 1986, 1996 et 1999), principalement centrés sur la mémoire du temps, donnent peu de prises à l’étude de « savoir-faire temporels » dans la pratique professionnelle alors que pour nous ces savoirs faire sont essentiels.

En situation, l’enseignant articule les prescriptions de l’institution et ses appréciations des contingences extérieures avec ses marges d’autonomie relatives aux différents rythmes et temporalités qui sont à sa charge. Robert (1999) précise que le résultat de sa pratique hors classe est la constitution d’un projet plus ou moins explicite au travers de « lignes d’actions ». À l’aide de ses « lignes d’actions » (Robert, 1999), prenant en compte les prescriptions de l’institution, les contingences extérieures et ses marges d’autonomie, l’enseignant se construit un cadre de réalisation lui-même indicatif voire prescriptif mais qui laisse la place à l’improvisation ou à la réponse à des événements non – anticipés. Cette distance entre prescription construite de la part de l’enseignant et réalisation laissant la place à l’imprévu fait écho avec des débats en sciences cognitives.

La question de l’intention oppose les défenseurs d’une approche cognitiviste classique aux tenants des approches de l’action située 6 . Les cognitivistes classiques attribuent aux intentions une fonction d’anticipation qui paraît abusive aux regards des tenants des approches de l’action située. Il est dit que pour ces derniers, l’action est loin d’être la simple manifestation d’intentions explicitées a priori 7 . Le lien qui unit les actions aux intentions n’est pas un lien de détermination où les intentions seraient antérieures aux actions. Selon Suchman (1987 et 1993), l’action qui se joue à un moment donné n’est pas élaborée rationnellement à partir de représentations préexistantes qui la décriraient en détail. Les plans mentaux n’auraient pas le statut que le courant cognitiviste leur donne. Antérieurs à l’action, ils cadrent l’activité jusqu’au moment où la rencontre avec la situation concrète de mise en œuvre permet l’émergence de l’action et sa structuration. De cette « position », au moins deux propositions complémentaires sont nées, soutenues par de nombreux auteurs ayant une approche en termes d’action située. Premièrement, l’activité et la situation sont inséparables et doivent être envisagées conjointement. La dimension intentionnelle de l’action prend sens au sein d’une activité en situation. Cette indivision de l’action et de la situation ne fait pas que référence à l’influence de l’environnement. Elle renvoie surtout à une conception de l’activité définie en lien étroit avec l’environnement, comme un couple dont les deux éléments se co-définissent continuellement (Durand, 1998).

En conclusion, l’activité, que nous considérons comme située, est non seulement repérable par ses procédures et ses produits effectués en situation mais également par ses processus dont chacun peut avoir sa propre temporalité et son propre rythme. Cette vision de l’activité dépasse les seuls comportements d'exécution selon une organisation programmatique préalablement établie.

Notes
6.

Cf débat exposé par Norman, 1993.

7.

Cf débat exposé par Clot, 1999