2. Pratique hors classe de l’enseignant observé

Du point de vue de la pratique hors classe de l’enseignant observé, l’analyse est plus complexe. À la suite de l’analyse du groupe, nous aurions pu supposer que si des thèmes se reproduisaient alors les préoccupations qui les constituaient avaient également une régularité : ce n’est pas le cas. En effet, il n’existe pas de régularités entre les préoccupations qu’il verbalise avec les thèmes et les ressources sélectionnés. L’enseignant fait appel à son expérience professionnelle, qui s’articulent au travers de différentes préoccupations verbalisées et évolue au cours de l’enseignement de la séquence.

Au regard de notre cadrage théorique, nous avions mis en avant les niveaux de temps et rythmes que l’enseignant avait à sa charge. Nous les rappelons ici :

  • Niveau-5 : les différents « activités » en séance d’enseignement et/ou la présentation du modèle de la physique,
  • Niveau-6 : les composants des « activités ».

Du point de vue de ces temps et rythmes à la charge de l’enseignant, il existe de l’implicite et de l’explicite au sein de la pratique hors classe, tant lors des séances de groupe que dans le document personnel. Au regard de notre cadrage théorique, ce sont les moyens mis en oeuvre pour la topogenèse et la chronogenèse présentes dans ces différents temps et rythmes qui sont implicites et/ou explicites. Nous allons illustrer ce qui vient d’être dit à l’aide d’un exemple issu des préoccupations et du document personnel de l’enseignant observé. Nous avons vu précédemment que les enseignants prévoyaient lors du thème n°8 de la première réunion, le contenu et les conditions de mise en oeuvre de l’enseignement. E1 (302) précise : « moi je vais faire activités 1 2 3 4 … ». Il spécifie ici la chronogénèse au niveau-5, car il précise le nombre « d’activités » et donc implicitement le savoir qu’il compte mettre en jeu au cours de la prochaine séance d’enseignement. Puis, il explicite la topogenèse au niveau-5 : E1 (308, 312) : «  … en cours je pense que plutôt de leur distribuer un truc j’aurais plus tôt tendance à l’écrire ou à le dicter … je vais plutôt partir sur le sur la première partie après je verrai comment cela se passe distribuer les activités au fur et à mesure qu’il faudra introduire les notions je les introduirais en faisant une partie cours ». En effet, du point de vue de la topogenèse, l’enseignant se donne la responsabilité d’écrire ou de dicter les modèles de la physique, tandis que l’élève aura la charge des « activités ». En reprenant l’analyse des documents personnels, nous avons pu observer que l’enseignant reprend bien ces quatre « activités », l’articulation entre modèles et « activités » et qu’il ajoute au modèle de la physique un signe distinctif : « A retenir ». Il conserve donc cette topogenèse et cette chronogenèse explicitées au niveau-5 au cours de la réunion. Il n’explicite pas lors des séances de groupe et ne précise pas dans son document personnel les différents éléments de la chronogenèse et topogenèse du niveau-6.

Prenons un autre exemple. Lors de la première réunion, au thème n°5, l’enseignant observé explique une difficulté a priori et a posteriori des élèves face à la projection. Lors de la seconde réunion, à sa préoccupation n°8, il précise la technique qu’il a choisie pour palier à cette difficulté : E1 (40, 42) : « je vais le mettre en transparent … pour pouvoir le faire avec eux ». Ici encore, il explicite une chronogenèse et topogenèse à un niveau-5 et ne précise pas le niveau-6. En effet, nous ne possédons aucune information relative à :

  • la manière dont l’enseignant va distribuer les rôles :
    • va-t-il poser des questions aux élèves et effectuer lui-même le dessin ?,
    • va-t-il poser des questions et faire faire à un élève le dessin sur le transparent ?,
    • ne va-t-il poser aucune question et le faire seul ?,
  • la manière dont l’enseignant va faire avancer la construction de sens :
    • comment va-t il présenter une projection ?,
    • comment va-t-il passer d’une définition de la projection à son application dans « l’activité » ?.

Au regard du document personnel, nous n’avons également aucune information au niveau-6 de la topogenèse et chronogenèse, pour cette « activité ». Il en est de même lorsque l’enseignant fait des retours d’expérience, i.e. lorsqu’il verbalise en réunion une préoccupation dont la nature est de l’ordre de l’analyse réflexive. Il relate le niveau-5 et non le 6. Nous observons donc que l’enseignant possède des régularités dans son activité définissant ainsi une part de sa pratique hors classe, tout en ne spécifiant pas les niveaux-6 de la topogenèse et chronogenèse prévue et effective.

Cette conclusion sur la pratique hors classe de l’enseignant E1 conduit à repenser la pratique professionnelle dans sa culture. En effet, pour l’enseignant, ne pas verbaliser le niveau-5 de sa pratique est comme pour un viticulteur ne pas spécifier à quel endroit précis de la vigne et comment il coupe son cépage en dehors des vendanges. Tous les viticulteurs d’une même région s’entendent sur les coupes à faire, mais personne ne spécifie précisément comment ils font, cela reste de l’ordre du personnel. A la suite de ces analyses, nous connaissons la chronogenèse à un certain niveau de la pratique, mais nous ne savons rien sur les règles et les procédures pour faire que celui-ci va mettre en place en situation de classe. Trois interprétations sont possibles à un tel résultat. Une première est que l’enseignant n’ayant jamais enseigné de cette manière ne sait pas du tout comment il va faire a priori. La seconde est au contraire qu’il sait parfaitement ce qu’il va faire en classe et c’est pour cette raison qu’il ne l’explique pas dans ses documents personnels. La troisième est un ensemble des deux. Il ne sait pas a priori comment il va faire, mais il sait qu’il va faire appel à des choses qu’il connaît. C’est en analysant ce qu’il se passe effectivement en classe que nous allons pouvoir répondre à cette question de l’implicite qui fait appel à ce qui est inconnu ou connu ou les deux. En effet, si l’enseignant reproduit des mêmes procédures et règles tout au long de son enseignement, alors cet implicite fait appel à ce qu’il connaît déjà. Tandis que si pour chaque « activité » ou présentation de modèle de la physique, l’enseignant change de procédures et/ou de règles, alors nous pourrons supposer que celui-ci teste des choses qu’il ne connaissait pas auparavant. Cette part d’implicite au sein de la pratique professionnelle est un point important du point de vue de la formation quand nous avons la volonté de former à une culture d’enseignement, i.e. à un processus d’enseignement et d’apprentissage spécifique avec sa pratique particulière.