7.2 – L’érotisme et l’esthétique : la sexologie des Beaux-Arts

‘« On n’est jamais très sûr de ses goûts en art – mais de ses goûts sexuels on est sûr. »’

in Le Passé défini

Quels sont les messages cachés de nos chefs-d’œuvre ?…. Sensuel, excitant, voluptueux et charnel, tel est notre émoi ressenti devant un film, un tableau ou dans une œuvre. Ces émotions nous délivrent presque toujours un message. Elles parlent de notre corps et celui de l’artiste. Elles sont le reflet sublimé de notre instinct sexuel, l’image transcendée de notre chair d’esprit. C’est pourquoi les artistes de génie nous passionnent :

‘« (…) je m’aperçois que l’œuvre d’art, qui résulte d’une éthique et non d’une esthétique, offre toutes les propriétés d’une présence, avec ce qu’elle comporte de spécial et n’appartenant à aucune autre (…). Que cette œuvre possède un sexe et un âge, une faiblesse et une force propres à satisfaire l’appel d’une zone morale correspondant à la peau. Il va de soi que je ne parle pas de corps ni de visages physiquement représentées (…), mais du corps et du visage en soi qu’est un tableau, un poème, en dehors de la représentation ou de la signification (…). Tout le reste ne sera que pittoresque et fantaisie, deux termes haïssable dans le règne de la création artistique. »1

Nous avons quelques questions à poser, à Cocteau, notre sexologue des Beaux-Arts. La première : que contiennent-ils et comment fonctionnent-ils, concrètement, ces instincts de création ? Comment naissent les chefs-d’œuvre chez le génie ? Les semences créatrices sélectionnées et portées par des artistes, depuis la conception jusqu’à la mise au monde de leurs oeuvres. L’instinct de création d’un artiste ressemble, en fin de compte, à celui de « conservation », de « procréation » chez un homme normal. Sauf que les progénitures de l’un sortent de son « crâne comme Minerve de celui de Jupiter » et celles de l’autre, « en chair et en os » (Le Cordon ombilical, p. 209).

En d’autres termes, l’art dépend profondément de notre sexualité. Mais mieux, celle d’un artiste dépasse notre imagination. Une virilité sans précédent qui provoque une réaction physiologique incontrôlable chez son public. C’est ainsi que Cocteau diagnostique la première vérité de l’art, tout en exhibant la puissance de son instrument de création :

‘« La phrase qui bande et celle qui débande. L’érection de l’âme devant le beau. Aucun contrôle sur cette transcendance du sexe pas plus que sur l’autre. Un admirateur du beau dont l’âme ne bande pas, c’est l’amour platonique. La main dans la main des chefs-d’œuvre. Tout enthousiasme est d’origine sexuelle. Le cœur bande ou ne bande pas. Forain nous montre une poule assise au bord d’un lit avec un gros monsieur en chemise. « Vous ne trouvez pas que c’est bien meilleur de causer », dit-elle. Les revues, les journaux, les magazines, les conférences, les réunions publiques, les cercles littéraires, la Chambre – ça cause… ça cause… ça ne bande jamais. J’entends toujours mes camarades se vanter de leurs prouesses amoureuses. Tout tourne autour de leur membre. S’ils peuvent, s’ils ne peuvent plus. Cela m’étonne. Jamais je ne parle de ce genre de choses. Ils doivent me croire atteint d’impuissance. Or je suis resté le même à soixante-cinq ans qu’à dix-neuf. Et tout à coup j’imagine, qu’en effet, ce doit être terrible de ne plus être capable d’un exercice que je trouve normal – mais ni plus ni moins que de constater poches et rides. Chez moi le dessus a été atteint avant le dessous. La jeunesse ne m’a lâché qu’en surface. « Et j’intrigue le bal avec un masque vieux. » »2

L’histoire de cette terrible virilité psychique, créative datait depuis longtemps chez Cocteau. Dans sa Correspondance (1911-1931) avec Anna de Noailles, l’écrivain parlait déjà, en ces termes, de ses activités poétiques : en considérant toute énergie créatrice comme fondamentalement « masculine », Cocteau se montre même réticent d’appeler son amie écrivain, par le mot « Madame ». Il trouve ce vocabulaire « hideux » et « horrible », car, il voit en elle « Ronsard, Montaigne, Pascal, Michelet, Racine, etc… ». 1 Comme si une femme n’était plus une femme lorsqu’elle écrit et crée.

La continuité de cette idée devient manifeste à partir de 1918, dans Le Coq et l’Arlequin. A travers ces « notes autour de la musique », Cocteau prône explicitement la nécessité de la « virilisation de l’art ». Jean-Marie Magnan le rapporte ainsi : « Déjà Cocteau s’emploie de toutes ses forces à donner raison à l’homme, à assurer son autorité. Il craint comme la peste les périodes les plus féminines, les réfute dans ses textes critiques de Carte blanche et invoque le retour à une nouvelle et décisive virilité(…). Et de souhaiter des contacts sauvages (Art Fauve, Jazz-band) où l’art se virilise. Il y reviendra souvent comme à une préoccupation majeure, une sauvegarde de la beauté, telle qu’il l’éprouvait et s’en voulait le héraut. Ainsi s’opposait-il dès 1918 à l’impressionnisme, plus haute gloire du style féminin (…). Nécessité sans doute de se durcir contre l’élément femelle en soi, de renforcer l’élément mâle sous l’influence des œuvres les plus dures. » 2

Indéniablement, chez Cocteau, l’instinct de création se révèle typiquement « masculin », conservateur et dominateur. A tel point qu’il commence à classer tout comportement qui contredit ses idées ou son œuvre, comme « féminin ». Dans la psychologie de Cocteau, le féminin veut dire une « agressivité » ou une « docilité » illogiques. C’est ainsi, dans Opium, que l’auteur souligne l’inculture « féminine » du public : « La foule aime les œuvres qui imposent leur chant, qui l’hypnotisent, hypertrophiant sa sensibilité jusqu’à endormir le sens critique. La foule est féminine ; elle aime obéir ou mordre. » (p. 141).

Pour affirmer son homosexualité, qui est sa fondamentale énergie sexuelle et créatrice, Cocteau développe une attitude assez clairement misogyne, régressive tout d’abord qu’il surmonte ensuite, en l’intégrant sous une forme nouvelle de vérité de l’art. Notre écrivain finit par estimer que la plupart des artistes de génie seraient des misogynes. Et cette misogynie serait en quelque sorte justifiée :

‘« Où le sens de la beauté, je veux dire ce qui nous porte vers la beauté, prend-il sa source ? Où commence-t-il, où finit-il ? Quel centre nerveux nous la dénonce ? L’emploie gratuit de la sexualité hante, qu’ils le sachent ou non, tous les hommes de grande race. Michel-Ange nous l’exhibe. Vinci nous le murmure. Leurs aveux m’intriguent moins que d’innombrables indices d’un ordre considéré comme un désordre et qui ne va pas jusqu’aux actes. Que veulent dire les actes ? Ils relèvent de la Police. Ils ne nous intéressent pas. Picasso est un exemple de ce registre. Cet homme à femmes est misogyne dans ses œuvres. Il s’y venge de l’empire que les femmes exercent sur sa personne et du temps qu’elles lui dérobent. Il s’acharne contre leurs visages et leurs toilettes. Par contre, il flatte l’homme et, n’ayant pas à s’en plaindre, il le loue par la plume et par le crayon. »1

Chez Cocteau, sa théorie sur la vérité de l’art et de l’instinct de création s’enchaîne avec des idées ou des fantasmes misogynes. Son attitude phallocrate se renforçant avec l’âge finit par convaincre l’écrivain lui-même. Désormais son mépris vise non seulement la « foule » idiote et inculte, mais surtout les artistes « dévirilisés ».C’est encore dans une de ses Lettres à Milorad en 1956, que Cocteau critique les responsables du phénomène de « dévirilisation » dans le domaine de la création. Les coupables, ce sont les « vieilles filles » des Beaux-Arts : « D’accord avec vous en ce qui concerne l’impuissance de Nietzsche, élevée à la puissance d’un sacerdoce. Oui, je déteste les vieilles filles dont Schumann est le type (…). Oui je suis maladivement viril et je m’en excuse. Ce n’est aucunement un privilège » (p. 37). Et un an plus tard, l’écrivain revient à son éternel sujet de préoccupation. En exprimant son « horreur de la dévirilisation », il ajoute que l’« homosexualité (lui) représente un phénomène de virilisation » (p. 65).

De même, dans son discours de 1958, Les Armes secrètes de la France, 2 Cocteau achève l’esquisse de ce qu’est pour lui le génie du poète. Là, son moi inconnu, son instinct de création s’incarnent définitivement en une figure masculine de l’autorité, de la puissance à laquelle personne ne peut s’opposer. Une figure du souverain absolu, un symbole de la virilité incontestable : « Seigneur invisible, ancestral et seul capable d’une désobéissance aux habitudes de ce vieux monde »(p. 225) ; cette force mâle est « sans pitié », « force (l’homme) à remuer ». Le « prince des saintes ténèbres », le « monstre(sacré) de la nuit du corps humain », c’est du génie du « sexe masculin » dont il s’agit. Le seul sexe capable de « transcende(r) et perfectionne(r) (l’)organisme humain » (p. 226), à travers la poésie et l’art.

Enfin, la remarque la plus significative est la définition du culte d’Orphée selon Cocteau. En 1962, un an avant sa mort, Cocteau accorde un entretien à un écrivain américain William Fifield. Au cours de leur conversation, Cocteau évoque le mythe d’Orphée. Selon les dires de l’écrivain, ce mythe représenterait presque une guerre symbolique entre deux sexes, le « sexe fort » - l’homme - et le « beau mais faible sexe » - la femme - :

‘« Pour moi, le personnage d’Orphée est un personnage qui, peut-être, a tourné la tête vers sa femme, exprès, par misogynie, puisqu’il a crée des rites presque homosexuels, n’est-ce pas ?(…). Dans le temple orphique souterrain qu’on vient de découvrir à Rome(…) le plus grand motif est au plafond ; c’est Ganymède amené par l’Aigle : mais Ganymède n’est pas un bébé – on l’a toujours représenté comme un bébé par pudeur. Il est même un très beau et très grand jeune homme, c’est donc un signe orphique de misogynie(…) et il est possible dans la fable d’Orphée, au lieu de tourner la tête par distraction vers sa femme l’ait tournée exprès puisque ensuite il est tué par les femmes, par les Bacchantes qui voulaient sans doute le punir d’avoir crée une secte misogyne. »1

Ainsi pour Cocteau, l’érotisme masculin était une réponse à la question de la vérité dans l’art. L’art ne chercherait pas à représenter une idée métaphysique, mais notre première humaine condition de la vie, notre sexualité. Mais « indigènes livides que nous sommes » (Le Cordon ombilical, p. 209), il est difficile d’imaginer la forme la plus divine de notre instinct sexuel. C’est pourquoi, c’est « presque toujours dans des avantages sexuels qu’il faut chercher la force mystérieuse des poètes ». 2 Car ce sont des connaisseurs dans ce domaine. Nos seuls représentants capables de peindre et dépeindre une image transcendée de notre corps sexué, de la scène érotique de notre vie, dans toute sa dimension poétique. Voilà pourquoi, il faut des poètes dans la société humaine.

Alors surgit cette deuxième question : pourquoi notre société condamne-t-elle ces poètes, si telles étaient leurs missions si honorables et si telle était leur présence indispensable dans notre société ? Pour quelle raison Cocteau nous demande-t-il de « comprendre la tragédie des poètes » ? La tragédie des criminels innocents. Les pièces à conviction ? Leurs œuvres. Le motif de l’accusation ? Le crime du « péché mortel », de l’indécence, de la décadence :

‘« Ce qu’on voit d’eux ne les empêche pas d’être invisibles et les expose aux sarcasmes. Leur pureté ne relève pas d’un code. Elle les met sans cesse dans une attitude honteuse de péché mortel. Ils ne peuvent jamais se défendre. Le moindre objet est prêt à témoigner contre eux. »3 ’ ‘« Les lois profondes de l’art échappent au dirigisme qui tend à plier l’homme au rythme de l’insecte. Les uns craignent le diable et le scandale, les autres l’individualisme qu’ils baptisent décadence. Mais que faire contre les fleurs qui poussent de l’esprit ? Le bûcher de Savonarole ne les empêche pas de survivre. »1

Ces « fleurs qui poussent de l’esprit », ces végétaux du « mâle » et du « mal », sont le signe de la « dépravation ». Un « vice sexuel », mais de l’esprit. Encore un synonyme de perversion. Notamment, pour les artistes : les incitateurs de « mauvaises mœurs ». Sur quoi se fonde notre opinion ? Nietzsche propose un début de réponse sur l’« élément érotique » ainsi que sur notre nouveau critère de jugements moraux, la « psychologie ». Le « bûcher de Savonarole » modernisé, en quelque sorte :

‘« Alors la psychologie servait non seulement à suspecter tout ce qui est humain, mais à le calomnier, à le flageller, à le crucifier : on voulait se trouver aussi pervers et méchant que possible, on recherchait l’inquiétude sur le salut de l’âme, la désespérance en sa propre force. Tout élément naturel auquel l’homme attache l’idée de mal, de péché ( comme il a coutume de le faire actuellement encore touchant l’élément érotique ), importune, assombrit l’imagination, donne un regard fuyant, fait que l’homme est en lutte avec lui-même et le rend vis-à-vis de lui-même inquiet, méfiant. Même ses rêves contractent un arrière-goût de conscience torturée. Et cependant cette habitude de souffrir du naturel est dans la réalité des choses totalement dénuée de fondement, elle n’est que la conséquence des opinions sur les choses. (...)et l’on trouvera partout que les exigences sont tendues outre mesure, afin que l’homme n’y puisse pas suffire : l’intention n’est pas qu’il devienne plus moral, mais qu’il se sente le plus possible pécheur. »2

Qu’en pense Cocteau ? Que pense-t-il de ces crimes de dépravation que la société moderne - armée des arguments les plus élaborés - impute aux poètes ? Il est clair que pour lui, c’est le terme de la « dépravation » qui est indécent et injuste. Parce que l’objet de cette accusation, c’est la « matière » primordiale de tout chef-d’œuvre :

‘« La société nomme dépravation le génie des sens et le condamne parce que les sens relèvent de la cour d’assises. Le génie relève de la cour des miracles. La société le laisse vivre. Elle ne le prend pas au sérieux. »3

Or, le problème pour les artistes, c’est justement lorsque la société prend au sérieux le « génie » d’une œuvre et s’acharne à la faire taire. Dans quelles circonstances? Quand la « liberté fatale » d’un artiste est prise, examinée, analysée méthodiquement sous la loupe des penseurs et amateurs. Le résultat est presque toujours une preuve de « vice sexuel ». Prenons par exemple le cas de Chirico :

‘« Le vice sexuel reflète une des formes les plus intrigantes de l’esthétique(…). L’homme qui cache un seul vice sexuel ne connaîtra pas l’inquiétude vague d’un corps aux prises avec les apparences multiples de la beauté. L’art fatal n’inquiète pas le peintre, il inquiète les spectateurs. La liberté du peintre fatal consiste à varier l’aspect de sa prison. Chirico renonce à l’exploitation d’une fatalité. Il était à craindre que ses usines de brique ne fabriquassent des fantômes. Mais après le pinceau, son fluide voulait sortir par la plume et laisser le peintre libre de se livrer aux jeux innocents qui ne compromettent jamais que nous-mêmes. La préoccupation professionnelle des critiques d’art les détourne de l’objet même de leur étude. Le principal était ( et reste ) de savoir pourquoi Georges de Chirico jouait aux échecs, quel fut l’enjeu de la partie, la force et la personnalité de l’adversaire. »1

L’artiste est conscient que son art, son sacerdoce pose le problème de la liberté de son œuvre, de sa propre liberté d’agissement. Alors, si les critiques et le public ne comprennent pas son oeuvre, dès lors, pour l’artiste, c’est le problème du « choix » qui s’impose : en l’occurrence, le « vice » selon Cocteau. Entre « l’art d’après l’art » ou l’art d’après sa conscience pure, se joue son indépendance morale. Et bien évidemment, le choix de la deuxième solution sera la ligne exemplaire de conduite d’un véritable artiste. Donc, la question de la dépravation ne peut se résoudre chez les poètes de génie. Aussi Cocteau affirme-t-il explicitement que le véritable « art est obligatoirement une dépravation » : car, « (l)’art est le vice dans le domaine de l’âme » et « (l)e vice commence au choix et il en va de même pour l’art, dans l’exercice duquel un comportement normal est impensable. » (Le Passé défini, t.4, p. 395). Ainsi se définit la « dépravation » :

‘« Ne pas oublier qu’un chef-d’œuvre témoigne d’une dépravation de l’esprit. (Rupture avec la norme). Changez-le en acte. La société le condamnerait. C’est, du reste, ce qui se passe d’habitude. »2 ’ ‘« Puisque la plupart des gens envisagent la sainteté comme quelque chose de fade et de conforme à une pureté légale, il est probable que la dépravation représente une manière de génie des sens, c’est-à-dire d’écart jusqu’à l’extrémité d’une pente librement descendue en dehors des règles. Il en découle que le génie, tel qu’on l’accepte, ou plutôt tel qu’on le tolère, est une dépravation spirituelle analogue à une dépravation des sens. L’un entraîne souvent l’autre et il est rare qu’un génie des lettres, de la sculpture ou de la peinture ne se dénonce pas et ne fasse preuve, même sans y mêler sa chair, d’une liberté de voir, de sentir et d’admirer, au-delà des limites permises(…). Traduisez ces dépravations en une autre langue, haussez-les, transcendez-les, revêtez-les d’intelligence, et vous obtiendrez une petite image des hautes dépravations qui nous valent les chefs-d’œuvre de l’art(…). Il va de soi que l’admiration obéit aux mêmes mécanismes car si elle n’est pas une érection de l’âme, qui échappe à notre contrôle, elle ne nous intéresse pas, correspondant au platonisme, au dilettantisme, à l’esthétisme, bref au bon goût qui juge obligatoirement à l’inverse d’une manière de sexualité transcendante. »3

En considérant, en fin de compte, la « dépravation » comme signe par excellence de la bonne et saine « santé » spirituelle de l’artiste, Cocteau montre encore une fois son talent de critique d’art, en faisant l’apologie du « génie des sens ». Et une vision philosophique ouverte sur l’union indissoluble et inestimable de l’érotisme et de l’esthétique- au sens le plus large du terme. A cet égard, la « tauromachie » est aussi un exemple parfait pour Cocteau : d’un mariage symbolique par lequel la puissance de l’érotisme et l’art de la mise à mort s’incorporent.

Claude Arnaud remarque ainsi comment cet art de la cruauté qui « avait longtemps révulsé l’écrivain », est devenu un art érotique emblématique chez lui. D’après ce biographe, c’est parce que l’« hypersensibilité (de Cocteau) avait(…) appris à tirer plaisir des passes presque toujours conclues par les spasmes des bêtes laquées de rouge ». Et que « l’arène était devenue à ses yeux le siège d’un rituel décisif illustrant l’hermaphrodisme qui préside à toute forme d’art, la féminité du toréador toujours menacé de mort, dans son habit de lumière, l’emportant sur la virilité de la bête qui s’offre au destin. » (Jean Cocteau, p. 691).

En effet, Cocteau voyait, à travers ce dramatique spectacle de la mise à mort, la scène érotique la plus représentative de sa « virilité masculine », au service de la poésie. Aux yeux de Cocteau, le brave taureau qui s’offre n’est autre qu’un poète en train de souffrir pour faire jouir son seigneur inconnu. Dans la corrida, c’est cet esprit de « sacrifice » qui compte. Le taureau ou le poète comme symbole de l’ « offrande sacrée ». L’un pour l’arène, l’autre, le temple de la poésie. Ainsi l’auteur nous invite à imaginer cette scène du « drame d’amour » et à ressentir son intensité poétique et électrique :

‘« Sautons idéalement dans l’arène. Approchons-nous du couple et observons ce qui se passe(…). Mais quel est le mâle ? Apparemment, deux mâles se trouvent face à face, aucun contact d’amour ne les jouxte et cependant certains toreros avouèrent que l’estocade provoquait chez eux l’éjaculation. C’est que le grand mystère de la Fiesta consiste justement dans ce paradoxe d’adversaires qui tour à tour se féminisent et reprennent les prérogatives de la virilité. (…)si le torero porte les brillantes couleurs du mâle et le taureau la robe modeste des femelles dans le règne animal, à la fin de l’acte d’amour il faudra que le mâle change de sexe et, par sa grâce et son uniforme de danseur, redevienne la femelle qui tue. Il faudra aussi que le taureau reprenne ses prérogatives de mâle et cela au fur et à mesure qu’on l’en dépouille par la pique et les banderilles. Voilà la grande énigme(…). A cette minute, l’échange des sexes est clair(…). Je sais, d’ailleurs, à quel scandale je m’expose en décrivant ainsi le dernier acte de ce qu’on a coutume de prendre pour un duel(…). Ainsi se déroule une cérémonie dont il faut reconnaître, malgré notre dégoût de la chose littéraire, qu’elle cherche, soit par la corne, soit par l’estocade, à imiter cette pénétration par laquelle nos solitudes cherchent à s’illusionner et à obtenir, à l’aide d’un acte dévié de tout but procréateur, une sorte de triomphe fugace – de victoire sur le chiffre deux, signe de mort. »1

Ainsi, tentée la critique de Cocteau sur l’érotisme artistique s’achemine vers une véritable poétique érotique. Sa curiosité observatrice s’étendra, de la littérature érotique jusqu’à la bande dessinée. Depuis des anecdotes jusqu’à des réflexions incisives, les quelques volumes de son Passé défini sont truffés de remarques sur l’essence érotique de tout art. Par exemple, dans son journal qui date de mai 1954, notre poète pose cette question cruciale : où se trouve la frontière entre l’obscénité et la sensualité dans une œuvre ? N’est-elle pas encore une affaire de moralité? Qui d’ailleurs s’avère totalement subjective…Face à l’indignation de François Mauriac, 1 Cocteau pose cette interrogation fondamentale. Incontournable, pour qui la « sexualité fait la force de (son) œuvre ». L’authenticité d’une œuvre ne dépassera-t-elle jamais la sexualité de son créateur ? Le « phallus spirituel » d’un poète ne sera point reconnu en tant que tel ? Un point d’interrogation qui vise toute son œuvre.

La problématique de l’érotisme refait surface aussi dans la relation de l’auteur- l’œuvre- et son lecteur. Ainsi, par exemple, à propos de la littérature « à l’eau de rose » et de la littérature « érotique » proprement dite. Cocteau ne voit pas de différence entre elles : selon lui, ce n’est qu’une question de degré. De « saleté » et de « nuances » plus ou moins prononcées. Chez notre écrivain, les histoires érotiques dévoilées en tant que sujet d’une œuvre n’ont rien à voir avec sa conception de l’érotisme, idéalisée sous formes d’œuvres d’art. Ainsi, en ironisant sur Bonjour tristesse de Françoise Sagan et Histoire d’O de Pauline Réage, Cocteau condamne clairement la vulgarisation de l’érotisme dans les œuvres littéraires. Qui, d’après lui, a tristement désacralisé la dimension transcendantale de la poétique érotique. Voici les propos acides de Cocteau vieillissant dans une de ses pages du journal en 1955 :

‘« Des petites filles de douze ans entrent et demandent Adieu tristesse et Madame d’O ( livre obscène). La libraire refuse de vendre et se fait traiter d’idiote. Elle offre Delly. « C’est de l’eau de rose », s’écrient ces demoiselles. Exact. Seulement elles ignorent que ce qu’elles aiment est aussi de l’eau de rose, mais sale. Seule différence. »2

En racontant de tels faits sous forme d’anecdotes cocasses, Cocteau réfléchit et analyse toujours la vie historiquement mouvementée de la poésie, de l’art et de l’érotisme. Comment notre philosophie de la création a-t-elle pu survivre à travers l’Histoire après avoir été perpétuellement le sujet de procès entre la religion - l’ancienne morale - et la science - la nouvelle morale ? Comment une « toile érotique » de Dali a-t-elle pu échapper à l’œil inquisiteur d’un théologien tel que Maritain ? Sinon, par quel mystère, un dessinateur érotique américain, un certain Burne Hogarth, a su duper toutes les autorités puritaines de l’Amérique, en dessinant les aventures de Tarzan ?… Tel est en effet le secret de la virilité masculine des artistes de génie, selon Cocteau :

‘« Découvert à la gare que le dessinateur érotique des planches américaines et le dessinateur du Tarzan des gosses est le même. Fort étrange découverte. Les grandes personnes ( qu’on devine ) achètent autant ces petites livraisons en couleurs que l’enfance. C’est imprenable. Pas de femmes nues et des athlètes, ce qui ne peut donner aux enfants que le bon exemple du sport. Il faut y regarder à deux fois pour se rendre compte de l’érotisme incroyable de ces images soi-disant naïves. »1 ’ ‘«Jacques Maritain laissa trois ans dans sa petite salle à manger de Meudon une toile érotique de Dali. Il ne s’en doutait pas et la faisait admirer aux évêques. C’est du reste un évêque qui découvrit, si l’on peut dire, le pot aux roses. Le pauvre Jacques mourait de confusion, sa belle figure pâle toute rouge ! ( Un drap mouillé recouvrait un membre en érection sur le sable d’un désert.) Jacques – à qui, du reste, il arrivait de craindre un signe d’érotisme là où il n’y en avait pas – prenait cette forme blanche pour un fantôme surréaliste, pour un gracieux phantasme de l’esprit. »2

Les artistes étaient plus malins que les gardiens du temple. Entre l’hypocrisie morale des bien pensants et la croyance aveugle du public et des critiques, les génies de l’art ont su détourner l’attention abusive par tout un système d’« allusions » et des « cachettes » : les « calembours hautains », « énigmes mystérieuses », « rébus étranges ». Dans son Entretien avec André Fraigneau, Cocteau livre ainsi son point de vue :

‘« (…)Dali m’a parlé des cachettes(…). Il était pour la censure. La censure nous inquiète toujours. (…), il disait que l’avantage des censures c’est d’obliger l’artiste aux cachettes, de cacher ce qu’il ne peut pas dire. Par exemple, dans la grande époque de la dictature des papes, où les peintres ne traitaient que des sujets religieux, eh bien, ils devaient dissimuler mille singularités qui leur étaient propres et qui ne ressortent, qui n’apparaissent qu’à la longue. Il suffit de visiter un musée à Florence pour voir des choses très bizarres qu’on ne voyait pas à l’époque. Les cachettes sont innombrables chez Léonard de Vinci et chez Michel-Ange. »3

Or, le problème arrive lorsque la science divorce d’avec la religion. La nouvelle morale introduite dans la société est beaucoup plus complexe et subtile que celle du passé. Les scientifiques de l’âme humaine sont redoutables. D’une part, ils permettent de voir plus en profondeur notre ombre interne et dans ce sens, c’est un progrès. Cocteau ne refuse pas la présence du « complexe » chez l’homme. Au contraire, il affirme qu’un « homme est obligatoirement complexe ». Sauf qu’il réfute explicitement de comprendre le complexe humain « sous son angle pluriel et psychanalytique » ( Le Passé défini, t.4, p. 396). Et l’écrivain pense que toute notre confusion actuelle a commencé avec Freud :

‘« Il ne faudrait pas confondre la nuit dont je parle et celle où Freud invitait ses malades à descendre. Freud cambriolait de pauvres appartements. Il en déménageait quelques meubles médiocres et des photographies érotiques. Il ne consacra jamais l’anormal en tant que transcendance. Il ne salua pas les grands désordres. Il procurait un confessionnal aux fâcheux(…).Par ailleurs, les psychanalystes, en proie aux fâcheux, s’en chargent(…). La clef des songes de Freud est fort naïve. Le simple s’y baptise complexe. Son obsession sexuelle devait séduire une société oisive dont le sexe est l’axe. Les enquêtes américaines démontrent que le pluriel reste le pluriel lorsqu’il se singularise et avoue des vices qu’il s’invente. La même niaiserie préside à l’aveu de ses vices et à l’étalage de ses vertus. Freud est d’accès facile. Son enfer ( son purgatoire ) est à la mesure du grand nombre. A l’encontre de notre étude, il ne recherche que la visibilité. La nuit dont je m’occupe est différente. Elle est une grotte aux trésors. Une audace l’ouvre et un Sésame. Non pas un docteur ni une névrose. Grotte dangereuse si les trésors nous font oublier le Sésame. C’est de cette grotte, de cette épave de luxe, de ce salon au fond d’un lac, que toutes les grandes âmes s’enrichirent. La sexualité n’est pas, on le devine, sans y jouer un rôle. Vinci et Michel-Ange le prouvent, mais leurs secrets n’ont que faire avec les déménagements de Freud. »1

Successivement, Cocteau dresse un état des lieux de l’influence freudienne - et psychanalytique dans l’opinion publique et dénonce ses méfaits sur notre conception nouvelle de l’érotisme, donc par conséquent, de l’art.

Pour commencer, notre poète énonce que la « faute de Freud est d’avoir fait de notre nuit un garde-meubles qui la discrédite, de l’avoir ouverte alors qu’elle est sans fond et ne peut même pas s’entrouvrir. » (Journal d’un inconnu, p. 42). En quoi consiste cette déconsidération ? Cocteau nous la fait découvrir par le biais de « ménage(s) freudien(s) » où la sexualité devient un ennemi intime :

‘« Mme X entre dans la chambre où sa petite fille, âgée de neuf ans, dessine avec un crayon rouge. La nounou est à l’office. Mme X se penche. Que dessine la petite fille ? Un gigantesque phallus. Mme X arrache la feuille et se sauve. A peine si elle écoute hurler sa fille. M.X rentre du golf : « Regarde. » M.X a un haut-le-corps : « Où cette malheureuse enfant a-t-elle pu voir une chose pareille ? » - « Je te le demande. » Je vous épargne l’enquête. Monsieur, après quatre jours de bousculades, interroge sa petite fille. Réponse : « Ce sont les ciseaux de nounou. » »’ ‘« Le docteur M. venait de me raconter qu’une dame avait expliqué à sa petite fille qu’elle lui interdisait de regarder les parties honteuses de son petit frère, causes de tous les malheurs qui nous accablent. La petite fille, après avoir nuitamment amputé son petit frère avec des ciseaux, courut réveiller sa mère et lui apprendre son exploit. Elle se croyait une héroïne, une Judith. Elle n’en revenait pas de voir sa mère folle de douleur. »2

Cette hystérie collective se manifeste même chez les religieux. Tout le monde est au courant de notre monstrueuse sexualité :

‘« Dans un hôtel, un prêtre prenant pour râles érotiques de la chambre voisine ceux d’un moribond, et frappant contre le mur au lieu de lui venir en aide, c’est à quoi je songe en lisant les articles de Mauriac contre Genet. »3

En racontant les histoires des « fessées », dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau explique comment il est devenu - déjà enfant - un « malade sexuel ». En effet, Freud mentionne le cas de Rousseau dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle. En élaborant ses arguments sur la « sexualité infantile », le psychanalyste conseille de ne pas donner des fessées aux enfants, afin de ne pas éveiller leur « libido ». Car, elle est « susceptible d’être poussée dans les canaux collatéraux par les exigences ultérieures de l’éducation culturelle. » 1 Cet argument devait fortement navrer notre poète. D’une part, l’enfance symbolise le seul « paradis » dans l’existence humaine à ses yeux, donc à préserver d’une analyse trop fine. Et de l’autre, il lui semble qu’il y a une dévalorisation de l’ampleur d’un écrivain comme Rousseau et avec le risque de généralisation, de lèse-majesté contre tout écrivain. Cocteau rétorque alors :

‘« Le postérieur de Jean-Jacques est-il le soleil de Freud qui se lève ? J’y distingue plutôt le clair de lune romantique. Se croire malade parce qu’on garde le souvenir d’une fessée charmante est encore une preuve de candeur. Les enfants sont tous exhibitionnistes et préoccupés du problème sexuel avant de le connaître. Le silence mystérieux des grandes personnes leur fait faire certaines découvertes absurdes qu’ils abandonnent ensuite, mais qui peuvent laisser des traces. Sur la pelouse de Maisons-Laffitte, mes cousins jouaient au « Jeu des cuisses ». Ce jeu consistait à relever ses culottes courtes le plus haut possible et à montrer ses cuisses aux petites filles. Ce jeu intéresse plus la psychanalyse que la réminiscence érotique de Rousseau. »2

Malgré le désaccord de Cocteau vis-à-vis des interprétations de la théorie freudienne sur la libido, il faut cependant noter que le public, dorénavant plus averti et éclairé, ne peut plus apprécier simplement une œuvre sans parfois prendre en considération la vie intime, troublante de son auteur. L’œuvre traduisant alors, selon eux, ses perturbations sexuelles. En somme, il y a une déformation non voulue de la perception de l’œuvre.

Pour Cocteau, en étant homosexuel, cet aspect ne pouvait que se présenter dans un sens problématique. En effet, les représentations de ses pièces et films seront successivement sabotées.

C’est notamment le cas des Parents terribles, qui a provoqué les critiques virulentes venant de l’extrême droite de l’époque.. Considérée comme un véritable « scandale », une « provocation pornographique », une « incitation à la débauche » et à l’inceste, 3 cette pièce a fait, en effet, l’objet de beaucoup de critiques cinglantes. Sinon, une autre pièce, Andromaque 1 a connu à peu près le même sort.

Bref, face à ces accusations abondantes et injustes, Cocteau se confie ainsi dans son Journal : « Tout me pousse à ce désordre craintif qui fait la base de cette psychologie de l’échec dont parle René Laforgue » (p. 337). D’après, l’annotation de Jean Touzot, à la même page, la Psychologie de l’échec est une étude qui traite « le syndrome d’échec dans ses rapports avec la sexualité ». A ce propos, Claude Arnaud note ainsi dans sa biographie :

‘« (…), l’ouvrage publié en 1939 par un fondateur de la Société psychanalytique de Paris, avait déjà fait réfléchir Cocteau sur les racines de sa névrose, durant la guerre. Peut-être manquait-il de confiance en lui dans le domaine sexuel : pour le docteur René Laforgue en tout cas, cette inassurance favorisait l’ « angoisse de l’acte », la peur de se jeter à l’eau, de prendre à bras-le-corps- le monde, d’entamer la pièce qu’on projette, ou même de répondre au courrier, la tentation aussi de se réfugier dans un désordre craintif. Aurait-il manqué de ce courage essentiel qui lui aurait permis d’affronter la solitude, et de choisir en lui sa personnalité ? L’unique secret, pour échapper au malheur, est de ne pas se vouloir autre, disait Schopenhauer : et si c’était la cause de ses difficultés ? »2

Ici, l’air du temps témoigne pleinement de l’éternel duel symbolique dans l’histoire de l’art : ars erotica versus scientia sexualis. La vérité de la sexualité humaine départagée entre l’Art et la Science. En ce qui concerne cette bataille féroce qui a fait de notre sexualité à la fois une œuvre d’art et l’objet d’une autopsie psychologique méthodique, il faut emprunter les remarques de Michel Foucault. Voici les coulisses des affrontements :

‘« (…) il vaudrait mieux repérer les procédés par lesquels cette volonté de savoir relative au sexe, qui caractérise l’Occident moderne, a fait fonctionner les rituels de l’aveu dans les schémas de la régularité scientifique : comment est-on parvenu à constituer cette immense et traditionnelle extorsion d’aveu sexuel dans des formes scientifiques ? 1. Par une codification clinique du « faire-parler » : combiner la confession avec l’examen, le récit de soi-même avec le déploiement d’un ensemble de signes et de symptômes déchiffrables(…). 2. Par le postulat d’une causalité générale et diffuse : devoir tout dire, pouvoir interroger sur tout(…). 3. Par le principe d’une latence intrinsèque à la sexualité : s’il faut arracher la vérité du sexe par la technique de l’aveu, ce n’est pas simplement qu’elle est difficile à dire(…), (m)ais parce que le fonctionnement du sexe est obscur(…). 4. Par la méthode de l’interprétation: s’il faut avouer, ce n’est pas seulement parce que celui auquel on avoue aurait le pouvoir de pardonner, de consoler et de diriger. C’est que le travail de la vérité à produire, si on veut scientifiquement le valider, doit passer par cette relation. (…) notre société, en rompant avec les traditions de l’ars erotica, s’est donnée une scientia sexualis. Plus précisément, elle a poursuivi la tâche de produire des discours vrais sur le sexe, et ceci en ajustant, non sans mal, l’ancienne procédure de l’aveu sur les règles du discours scientifique. La scientia sexualis, développée à partir du 19e siècle, garde paradoxalement pour noyau le rite singulier de la confession obligatoire et exhaustive, qui fut dans l’Occident chrétien la première technique pour produire la vérité du sexe. »1

En cette époque de troubles, et malgré les doutes permanents et les difficultés insupportables engendrées, Cocteau arrive au fur et à mesure à une conclusion importante : même si les inquisiteurs modernes sont bien plus méthodiques et devins que ceux du Moyen Age, sa philosophie de l’érotisme masculin ne cédera pas. Plus le temps passe, plus il affirme et réaffirme la virilité spirituelle des poètes. Ainsi, dans sa Lettre aux Américains, il réclame la réhabilitation de la poétique érotique. Cette lettre symbolique ne s’adresse pas seulement au peuple d’outre-Atlantique. Mais aussi et surtout à sa France :

‘« Lorsque votre censure, soumise à l’étrange psychose du lit en tant que meuble honteux, représentatif de l’amour et du rêve, vos deux hantises, vos deux épouvantes, me reproche la scène entre le fils et la mère dans mon film les Parents terribles, n’avez-vous pas honte, vous, peuple noble, d’une pensée ignoble, ne sentez-vous pas quel refoulement vous oblige à interpréter si mal la gentillesse et l’innocence ? »2

Ainsi se met en œuvre une véritable philosophie de l’ars erotica chez Cocteau. Plus qu’une déclaration d’un poète homosexuel, son appel au public et aux autres poètes représente une vive remise en cause spirituelle, intellectuelle, des idées sur l’art. Et notamment sur la « matière » primordiale de toute création, l’érotisme.

Désormais, « comprenne qui pourra ! ». Si, à propos d’un seul et même film - par exemple Le Sang d’un poète -, « les uns (le) déclar(ent) glacial et sans sexe » et « d’autres l’accusent de sexualité maladive », ce n’est plus du ressort de l’artiste. (Journal d’un inconnu, p. 127). Frigidité ou perversité ne sont que des termes de l’« enfantillage de la psychologie amoureuse ». Si « en France, on a sauté de Bourget à Freud » (Le Passé défini, t.3, p. 223), il y en aura bien d’autres. Chacun, avec un nouveau vocabulaire symbolique, une nouvelle théorie révolutionnaire, serait prêt à jeter la confusion dans les esprits. Le bon vieux guide Nietzsche avait encore une fois raison, en évoquant l’esprit « caustique de psychologue » dans Le Crépuscule des idoles. S’il est connaisseur de la nature humaine, « pourquoi donc (l’)étudie-t-il ? » (p. 999). De même, n’est-il pas vrai que les esprits des psychologues sont « anti-artistiques, concrets », en traitant les poètes de « dégénérés » patentés ? (Idem., p.995). Leur « règle veut en effet que les hommes supérieurs, les âmes d’une espèce plus étrange, fassent naufragent et périssent » (Par-delà le bien et le mal, p. 720).

Dans ce remue-ménage, l’essentiel est que le poète résiste continuellement à toutes les formes de répressions sociales. Ce, même si la police « s’indigne d’un délit contre la pudeur et (l’)oblige à mettre une feuille de vigne sur le sexe de (son) cœur » (Clair-obscur, p. 884).

Redresser la colonne vertébrale de l’esprit, laisser jaillir en tous sens la force masculine. Telle semble la mission du poète pour Cocteau. Il y a eu Sade, Genet, des affranchis exemplaires. Ceux qui ont fait preuve de ce qu’est la force transcendantale de la virilité spirituelle :

‘« Relis le livre sur Sade. Il est étrange que les gens qui mettent l’âme si haut et le corps si bas admettent toutes les tortures de l’âme et s’en repaissent lorsque les romans les exposent et punissent comme criminel un Sade pour quelques petites débauches, entailles et coliques moins graves que les supplices de la question et que les empoisonnements dont les rois se rendirent coupables. Sade n’est que l’affiche ( ainsi que Wilde) de licences qui furent la base des maisons closes à toutes les époques et les filles qui se plaignent ont dû en voir bien d’autres. Le cas de Sade ne repose pas sur ses débauches mais sur l’emploi magnifiant qu’il en a fait. »’ ‘« Genet organise autour de ceux qu’il aime une sorte de beauté abstraite qui excite leur sexualité morale. Il les malaxe. Il les tourmente jusqu’à ce qu’ils se montrent dignes de lui. Alors, il les abandonne et ils deviennent l’étrange escorte de chevaliers prêts à le défendre contre n’importe quelle attaque. »1

Le cas de Cocteau, comment se présente-il ? L’exemple même d’une longue, très longue « érection » spirituelle. Il faut suivre le mouvement du « fil » dans la main de l’auteur. Celui qui finit par représenter un « style dur et simple qui ne coule pas ». Mais qui « s’emboîte ». L’énigme est tout à fait à la Cocteau :

‘« C’est avec Le Secret professionnel et Thomas l’imposteur que je débute. Le Grand écart appartient à une zone confuse entre ce qui m’embrouillait et ce qui allait me permettre de tenir le bout du fil. Toutes les œuvres qui précèdent ma rencontre avec Radiguet me donnent l’impression des efforts maladroits de ceux qui veulent démêler un emmêlement à pleines mains et sans méthode ( sans patience ). Orphéel’Essai de critique indirecteLa Difficulté d’être ( sans oublier La Machine infernale ) sont des ouvrages où j’ai eu le fil en main, mais je voudrais le tendre davantage. Dans le Journal d’un inconnu, il y a des nœuds. Et je suis incapable de les dénouer. Peut-être publie-t-on trop vite. Devrait-on enfermer le manuscrit – attendre(…). Ce qui importe c’est le style dur et simple – qui ne coule pas – qui s’emboîte. »2

Ainsi, chez Cocteau, la virilité spirituelle d’un poète doit être « aussi flagrante que la puissance sexuelle » (Journal d’un inconnu, p. 212). L’organe érectile d’un véritable artiste se manifeste en effet si secrètement mais aussi sûrement qu’ aucune « feuille de vigne », ni « écharpe tricolore » n’arrivent à le « cacher ». La seule conduite possible pour le poète viril consiste ainsi à « devenir un véritable attentat contre la pudeur » ( Le Passé défini, t.1, p. 438).

Et ce n’est qu’en ces moments de flagrants délits d’impudeur et de dépravation, que les génies se reconnaissent. Car, en face des chefs-d’œuvre de l’art, l’homme ne peut avoir que deux réactions. « On bande ou on ne bande pas ». Puissance ou impuissance. Voici la vérité de l’art. « Tout le reste est intellect » ( Le Passé défini, t.2, p. 40) :

‘« (…)promenade rapide dans le Prado. Une fois encore je constate la simplicité déroutante du génie chez les peintres(…). Dali parlait des regards qui salissent les tableaux et de certains musées qui les rendent malades(…). Il y a du reste une pudeur que j’éprouve à ne pas regarder trop longtemps un chef-d’œuvre. Rien ne me gêne comme ces jeunes ménages, la main dans la main, échoués sur des banquettes, l’œil fixe, en face d’un chef-d’œuvre. Je passe vite comme si des voyeurs s’excitaient au spectacle de l’art tout nu. Un grand peintre s’exhibe tellement par l’entremise d’une toile et d’un modèle qu’on n’ose pas se planter devant. Il y aurait indiscrétion à le faire. J’en arrive à me demander si ce n’est pas ce mystérieux sentiment d’exhibitionnisme qui m’a gêné, torturé, trompé sur l’accueil du public pendant la séance d’Orphée. Je devais prendre ma gêne pour celle du public. »1 ’ ‘« Je ne puis encore savoir comment j’en sortirai. Soit qu’il faille me débarrasser de l’invisible, soit qu’il veuille de se débarrasser de moi. Ce sont choses trop obscures pour qu’on s’y hasarde. Il est déjà dangereux de s’aventurer dans le noir. »’

in Journal d’un inconnu

Si dans un premier temps, l’écriture ou toute activité créatrice allaient devenir pour Cocteau une « thérapeutique », maintenant, nous savons que ce n’était pas toujours le cas. Nous constatons que son œuvre ne ressemble plus à une « maison de santé » où l’âme torturée du poète peut retrouver la quiétude. A travers cette seconde partie d’étude, nous avons pu observer que Cocteau avait consacré une bonne partie de son œuvre à relater sa lente descente et longue errance à l’intérieur de lui-même. Notre poète nomme cette exploration de son univers psychique, les « fouilles archéologiques de la nuit du corps humain ».

Néanmoins, ce périple sur les méandres du psychisme ne s’apparente pas tout à fait à une découverte extraordinaire d’un monde fabuleux de l’imagination. Cette partie de l’œuvre de Cocteau se rapproche plutôt des « fouilles » obsédantes d’une « maison hantée » où habiterait cet « invisible », l’amenant à traquer cet « étranger » qui, en fin de compte, n’était que son génie poétique.

La face lumineuse de sa force créatrice qui devait ressembler à celle d’Apollon Musagète, il ne la dévoile jamais… Au contraire, plus il s’avance dans son cheminement interne, plus il éloigne de lui-même cette image d’Epinal, en la repoussant dans la profondeur de l’obscurité psychique. Il s’interdit pour ainsi dire de la toucher, par peur de la salir. Le seul interdit que s’infligeait Cocteau était sans doute son refus de la révélation de ce don poétique qu’il avait hérité du ciel.

Pour ne pas le nommer, il lui fallait des termes qui ne le désignent pas, mais seulement qui suggèrent sa présence. L’histoire de son ménage avec les muses et leur maître se trouve tout à fait dans ce registre de la suggestion. Pour tout écrivain, il est difficile de ne pas succomber au charme de l’inspiration. L’image des mantes-religieuses qui dévorent les mâles, et celles des muses qui se livrent à des danses nocturnes pour torturer leur victime, reflètent là la fébrilité et l’impatience délicieuses que ressent un écrivain touché par des songes troublants et pénétrants.

En revanche, Cocteau, connaissant parfaitement la force destructrice de l’inspiration trop débordante, soulignait sans relâche comme qualité première indispensable du génie poétique le fait de se dompter soi-même, de maîtriser son impétuosité. En effet, le génie de Cocteau ne ressemble pas à ce que nous croyons. Ce n’est pas une force foudroyante qui visite le poète pour déclencher sa pulsion créatrice. Au contraire, c’est une force nettement supérieure à l’inspiration, qui freine, contrecarre et annule tous les à-coups pulsionnels du poète :

‘« Je n’ai jamais usé de ce génie du dimanche que le talent de la semaine met en relief. J’ai considéré le génie comme pain quotidien – et cela lui ôte le rare, le prestige. Je l’ai laissé confondre avec l’adresse. On m’en accuse vite, car comment admettrait-on cette haute note perpétuelle que je pousse ? (…) le génie considéré comme pain (noir) quotidien. Je nomme génie la crise permanente. Vivre à la pointe de soi-même(…). »1

De plus, Cocteau avait besoin d’inventer un décor tout aussi irréel que son fantôme génial de soi-même : le « labyrinthe », le « dédale » fait de « couloirs » et « portes » secrètes, etc., cet espace sans frontière où se déroulent les incessantes retrouvailles avec son inconscient poétique, Cocteau ne pouvait le décrire que comme un lieu incertain, flou et étrange. L’espace onirique en somme.

Dans un sens, l’exploitation du mécanisme du rêve et du somnambulisme représentait un des procédés les plus adéquats pour présenter le génie poétique comme une créature venue d’ailleurs. Mais il faut tout de même reconnaître que là, il y a un certain manque d’originalité. Car nous ne sommes pas vraiment convaincus que cette ambiance féerique-là puisse mettre en valeur l’imagination créatrice potentielle de notre poète. Le monde onirique a déjà été déblayé par d’innombrables poètes et penseurs de la profondeur humaine. Dans ce sens, la touche originale de Cocteau ne se distingue pas nettement.

De même, Cocteau a perdu une partie de sa force de persuasion en voulant jouer au chat et à la souris avec son propre génie. Le ton de son œuvre ne sonne plus très juste comme au début de sa carrière lorsqu’il clamait fièrement son renouveau spirituel. Au fur et à mesure qu’il s’applique à ce maquillage, voire au trucage de son génie, l’image de Cocteau comme poète incisif, preste et alerte s’estompe davantage. Voilà ce qui arrive lorsque l’on joue trop longtemps au jeu de « cache-cache » avec l’invisible. Un pied dans chaque monde, il devient lui-même un être irréel, fantomatique. En voulant créer une illusion heureuse pour se perfectionner et s’émanciper, il était en quelque sorte devenu la victime de sa propre illusion.

Et notamment, en croyant suivre son génie partout, même jusque dans l’au-delà, Cocteau avait oublier de vivre. Sa propre vie, il l’a cloîtrée dans l’espace du rêve et des chimères. Le projet de fabriquer le corps parfait du poète, qu’était-il devenu ? L’a-t-il réalisé ? Non. C’était un corps-spectre tout comme son génie qu’il ne vivait pas mais seulement pensé ! Cette perte de notion de la réalité a été fatale pour Cocteau. A partir d’un certain moment de sa vie, il se croyait devenu fantôme de lui-même et emprisonné dans un espace décalé où il ne retrouvait plus aucun corps à habiter. Ni son corps réel, celui de Jean, ni son corps de poète :

‘« J’ai assez de clairvoyance ( surtout à certaines heures du jour) pour me rendre compte que je suis un malade, que je pense en malade et que je suis comme habité par un démon de méfiance qui me fausse et me déforme la vie. J’ai beau me raisonner, me juger, me condamner, une force mauvaise me pousse à des actes et à des paroles indignes de moi et dont j’éprouve la honte tout en n’arrivant pas à me vaincre. »1 ’ ‘« (J’ai vécu cette journée avec ce sentiment du pas vrai DANS LE CORPS.) Il y a des moments, des journées, des matins, où je baigne dans l’atroce, dans un marasme difficile à décrire, sans forme, sans contour. Impossibilité de vivre, de continuer la pièce, de jouer le rôle. » 2

Dans son Journal d’un inconnu, l’auteur disait qu’il fallait « considérer le métaphysique comme un prolongement du physique ». Jusqu’à un certain point, Cocteau avait réussi à introduire cette vision révélatrice dans son œuvre. L’aspect métaphysique de l’acte créateur a été en grande partie compensé par injection de matières vivantes telles que la peau, le souffle et le sang… Le poète semblait capable de respecter scrupuleusement son credo : considérer l’œuvre comme un organisme. C’est ce que nous avons pu constater dans le premier volet de cette étude.

Or, en ce qui concerne le corps du poète, c’est l’inverse qui s’est produit, plus particulièrement, en matière de sexualité. Toute sexualité faisant partie intégrante de la vie de notre corps physique, il est inutile de rajouter quoique ce soit à son importance primordiale. Ce qu’il y a de curieux à constater, c’est que cette réalité fortement charnelle, naturelle et excitante, s’était transformée en une matière métaphysique, un sujet de réflexions chez Cocteau.

A priori, l’appel de ses sens libidinaux, Cocteau ne l’écoutait pas. Car il y a une absence problématique du « sexe » dans l’œuvre de notre poète qui, paradoxalement, n’arrêtait pas de souligner la prépondérance primordiale de la virilité masculine dans son œuvre. C’est lui-même qui expliquait clairement dans une de ses Lettres à Milorad que la « sexualité fait la force de (son) œuvre ». Par ailleurs, dans son étude intitulée « Cocteau et son journal : le miroir aveugle », Claude Burgelin décèle précisément cette absence symptomatique du « sexe », par exemple, à travers le Journal 1942-1945 de Cocteau :

‘« Il est d’une chasteté insistante. Voici un journal plus que pudique, pudibond. Alors même qu’il vit une sexualité marquée par la transgression et la culpabilité, l’auteur du Livre blanc ne livre ici que des blancs. De ses amours ou rencontres présentes ou passées, rien n’est dit. Aucun émoi n’est relaté(…). Le seul corps mis en scène est le corps souffrant : Cocteau ne cesse d’avoir mal ici ou là : problèmes de peau, d’arthritisme, de hanches, menues fractures, troubles digestifs – et l’angoisse de l’infarctus après celui de 1954. Le corps anxieux et hypocondre comme le corps vraiment souffrant ont la parole, non le corps désirant ou heureux. »1

Ce que Claude Burgelin qualifie de « chasteté insistante », c’est justement la tendance explicite globalisant l’attitude paradoxale de Cocteau en matière de sexualité masculine. Lorsqu’un homme vit un rapport constamment conflictuel avec son physique, presque toute activité sexuelle risque de devenir aussi problématique. Il est vrai qu’avec un corps gêné, délaissé ou détesté comme celui de Cocteau, l’homme ne pourrait pas réellement s’épanouir dans sa sexualité, ni en parler comme d’une jouissance. Chez Cocteau le corps fait donc obstacle pour atteindre un idéal de beauté qu’il pense ne pas posséder. Quoi de plus tragique pour le poète qui doit s’exposer continuellement au regard du monde.

Dès lors, l’unique sexualité pensable - qui ne le dégoûte pas - ou réalisable en acte sublimé, était sans doute celle de son œuvre, mais pas la sienne. Cette sexualité dont parle Cocteau n’est pas celle qui se vit mais se pense. Dès lors, rendre évidente cette force transcendante représentait le centre de ses interrogations récurrentes : comment expliquer aux autres que son orgasme est d’ordre spirituel ? Programme surprenant qu’il traduit par diverses expressions : « érection », « dépravation » morales et « vice sublime ». Or, ces réactions et conduites sexuelles dans le domaine du psychisme ne peuvent s’expliquer au-delà des mots. La véritable faiblesse de Cocteau se trouve là où cette matière riche qu’est la sexualité, ne fusionne pas, ne s’incorpore pas ou difficilement dans son œuvre. L’incapacité de sa part à rendre palpable cette force érectile malgré ses connotations sous-jacentes et l’insistance répétitive d’un vocabulaire figé, l’érection morale qu’il voulait provoquer chez son lecteur, ne semble pas être toujours au rendez-vous…

‘Qui donc avez-vous laissé s’asseoir à votre table ? Un homme sans cadre, sans papiers, sans halte. C’est-à-dire qu’à un apatride vous procurez des papiers d’identité, à un vagabond une halte, à un fantôme un contour, à un inculte le paravent du dictionnaire, un fauteuil à une fatigue, à une main que tout désarme, une épée(…). Après quarante années de fuite en zig-zags devant une chasse à courre qui sonne de la trompe à mes trousses(…).’

Jean Cocteau, Discours de réception à l’Académie française

‘A son insu, l’homme fabrique parfois une profusion de souffrance sans laquelle il lui serait impossible d’exister(…). Elle est alors un gage d’authenticité, chiffre de la sincérité arborée aux yeux des autres et des siens propres. Elle s’érige en balancier permanent de tenir sur le fil d’une vie instable et menacée. Elle évite la chute et se donne comme un bouclier imparable à l’encontre des actes de l’existence. « Je souffre donc je suis », pourrait être la devise (…). Son existence ressemble à un chemin de croix, image d’autant plus justifiée ici que la punition et la rédemption sont simultanément présentes dans le même obstacle au goût de vivre(…). La douleur est une métaphore qui cristallise alors dans la chair la mauvaise part de l’existence. Usée comme une punition(…), elle est souvent mêlée à un tableau personnel d’échecs à répétition. L’individu montre le visage affligeant d’une vie qui semble placée sous une mauvaise étoile(…). Si la chance obéit souvent à une volonté individuelle, le malheur trouve dans ses victimes ses meilleurs artisan.’

David Le Breton, Anthropologie de la douleur

Notes
1.

Le Discours d’Oxford, in Poésie critique, t.2, op. cit., pp. 194-195.

2.

« décembre 1955 », in Le Passé défini, t.4, p. 364. Souligné par l’auteur.

1.

Voir Cahiers Jean Cocteau, n°11, Gallimard, Paris, 1989, pp. 47-48 : lettres de Cocteau, datées de l’année 1911.

2.

Jean-Marie Magnan, « On réclame du pain musical », in Cahiers Jean Cocteau, n°7, pp. 94-95.

1.

« Des mœurs » , in La Difficulté d’être, p.185.

2.

Voir Poésie critique, t.2.

1.

Jean Cocteau par Jean Cocteau : entretiens avec William Fifield, op. cit., pp. 113-114.

2.

« juin 1954 », in Le Passé défini, t.3, p. 151.

3.

La force inconnue, in Cahiers Jean Cocteau, n°10, p. 124.

1.

Matisse, in Cahiers Jean Cocteau, n°9, p. 181.

2.

Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, I., in Œuvres, t.1, p. 522. Souligné par l’auteur.

3.

Opium, p. 174.

1.

Des Beaux-Arts considérés comme un assassinat, in Poésie critique, t.1, pp. 171-172.

2.

« D’une conduite », in Journal d’un inconnu, p. 210. 

3.

Inédit féodal, in Cahiers Jean Cocteau, n°8, pp. 142-144.

1.

La Corrida du 1 er Mai, in Jean Cocteau. Romans, poésies. Œuvres diverses, pp. 1011-1013.

1.

Note de Cocteau disant que Mauriac s’est montré outré en ce qui concerne quelques poèmes de Clair-obscur. Voici les griefs de Mauriac: « Des poèmes érotiques ! Obscènes ! Quelle audace ! La langue est belle, j’en conviens – mais n’avez-vous(Orengo) donc pas vu ce qu’elle cachait ? », in Passé défini, t.3, p. 140.

2.

« mai 1955 », in Le Passé défini, t.4, p. 119.

1.

« novembre 1954 », in Le Passé défini, t.3, p. 291.

2.

« février 1955 », in Le Passé défini, t.4, p. 60.

3.

« Neuvième entretien », op. cit., p. 100.

1.

« De l’invisibilité », in Journal d’un inconnu, pp. 39-40 /Souligné par l’auteur.

2.

« De l’innocence criminelle », « D’un morceau de bravoure », in Journal d’un inconnu, p. 66 ; p. 85. Souligné par l’auteur.

3.

Idem, p. 96.

1.

Sigmund Freud, « La sexualité infantile », in Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard (Folio), Paris, 1987, p. 122.

2.

« Jean-Jacques Rousseau », in Poésie critique, t.1, pp. 278-279.

3.

A ce propos, voir l’article de Robert Brasillach, apparu dans La Revue universelle, 1er décembre 1938 ; l’intervention de René Gillouin, dans l’extrait du Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris du 23 décembre de la même année, etc., « Annexes », in Les Parents terribles, pp. 210-214. Sinon, voir aussi « Annexes » du Journal 1942-1945 dans lesquelles nous trouvons aussi des articles très insultants. Notamment, l’article de R.M.Féchy qui traite Cocteau de « démocrasouille », « indésirable revenant », « coriace éphèbe ». Ainsi que l’œuvre de l’écrivain comme une « sorte d’onanisme à haute fréquence »(pp. 655-657).

1.

Voir « Annexes » du Journal 1942-1945. Les attaques de l’extrême droite continuent : l’article d’Alain Laubreaux, « Une semaine tragique », publié dans Je suis partout, 26, mais, 1944 (pp. 699-701) ; et celui d’André Castelot, « Racinofollies », apparu dans La Gerbe, 1er juin 1944 (pp. 702-704), etc.

2.

Claude Arnaud, Jean Cocteau, p. 724. Souligné par l’auteur.

1.

Michel Foucault, Histoire de la sexualité, t.1, op. cit., pp. 87-91.

2.

p. 26. Souligné par l’auteur.

1.

« octobre et décembre 1952 », in Le Passé défini, t.1, p. 366 ; p. 402.

2.

« décembre 1952 », op. cit., pp. 407-408.

1.

« novembre 1953 », in Le Passé défini, t.2, pp. 322-323.

1.

« juin 1954 », in Le Passé défini, t.3, op. cit., pp. 145-146. Le mot « noir » est ajouté par nous.

1.

« août 1954 », in Le Passé défini, t.3, op. cit., p. 214.

2.

« octobre 1955 », in Le Passé défini, t.4, op. cit., p. 271. Souligné par l’auteur.

1.

Claude Burgelin, « Cocteau et son journal : le miroir aveugle », in Lire Cocteau, ouvrage collectif. Actes du colloque de l’Université Lyon II en avril 1990, Presses Universitaires de Lyon, 1992, p. 37.