Géographie chrétienne

Les Combraysiens sont-ils croyants ? Françoise, au moins, l’est d’une manière médiévale. Dans la description des sculptures de Saint-André-des-Champs, Proust le souligne : les sujets traités sont « représentés comme ils [peuvent] l’être dans l’âme de Françoise.  103  » Ainsi, les sculptures transmettent « les notions que l’artiste médiéval et la paysanne médiévale (survivant au XIXe siècle) avaient de l’histoire ancienne ou chrétienne » qu’ils tiennent « non des livres, mais d’une tradition à la fois antique et directe, ininterrompue, orale, déformée, méconnaissable et vivante 104  ». Il va de soi ici que « la paysanne médiévale » qui survit au XIXe siècle est Françoise, elle est une incarnation de la tradition moyenâgeuse 105 . Ce n’est d’ailleurs pas seulement Françoise que les sculptures évoquent, mais aussi Théodore. Celui-ci ressemble physiquement à des personnages bibliques sculptés. Son âme aussi correspond à celle qui est incarnée par la façade de l’église et partage avec Françoise la même « bonhomie » :

‘« […] ce garçon […] était tellement rempli de l’âme qui avait décoré Saint-André-des-Champs et notamment des sentiments de respect que Françoise trouvait dus aux “pauvres malades”, à “sa pauvre maîtresse”, qu’il avait pour soulever la tête de ma tante sur son oreiller la mine naïve et zélée des petits anges des bas-reliefs […] 106  »’

D’ailleurs, une fille du pays aussi évoque ces statues médiévales :

‘« […] une sainte avait les joues pleines, le sein ferme […] l’air valide, insensible et courageux des paysannes de la contrée. Cette ressemblance qui insinuait dans la statue une douceur que je n’y avais pas cherchée, était souvent certifiée par quelque fille des champs […] dont la présence […] semblait destinée à permettre, par une confrontation avec la nature, de juger de la vérité de l’œuvre d’art.  107  »’

Ce texte aura un écho dans Sodome et Gomorrhe. C’est Charlus qui est chrétien à la façon médiévale :

‘« […] le baron était non seulement chrétien […] mais pieux à la façon du Moyen Âge. Pour lui, comme pour les sculpteurs du XIIIe siècle, l’Église chrétienne était, au sens vivant du mot, peuplée d’une foule d’êtres, crus parfaitement réels : prophètes, apôtres, anges, saints personnages de toute sorte, entourant le Verbe incarné, sa mère et son époux, le Père éternel, tous les martyrs et docteurs, tels que leur peuple en plein relief se presse au porche ou remplit le vaisseau des cathédrales. Entre eux tous M. de Charlus avait choisi comme patrons intercesseurs les archanges Michel, Gabriel et Raphaël, avec lesquels il avait de fréquents entretiens pour qu’ils communiquassent ses prières au Père éternel, devant le trône de qui ils se tiennent.  108  »’

Certes, la croyance « à la façon du Moyen Âge » chez Françoise change de gamme chez Charlus — de la tradition populaire à l’érudition — cependant, l’essentiel est identique : dans leur cœur, les personnages bibliques ou saints sont vivants et réels, ils ne doutent pas de leur existence. On pourrait ici se demander quel est le destin de cette foi pieuse au XXe siècle, trouvée chez un aristocrate et une paysanne et survivante au XIXe siècle. D’autant plus que Mme Cottard prend Charlus pour un Juif fanatique, alors qu’il est en réalité fanatiquement chrétien : « On m’a appris que [ma religion] était la vraie 109  », déclare-t-il. Dans une république laïque, on doit déclarer comme Mme Cottard : « Je ne sais pas si vous êtes de mon avis, […] mais je suis très large d’idées et selon moi, pourvu qu’on les pratique sincèrement, toutes les religions sont bonnes. Je ne suis pas comme les gens que la vue d’un… protestant rend hydrophobes. » Le malentendu entre Charlus et la femme du médecin fait d’ailleurs rire le narrateur 110 parce qu’il constate qu’un homme pieux comme Charlus est définitivement démodé après l’affaire Dreyfus et au temps de la séparation de l’Église et de l’État. Nous aurons ultérieurement l’occasion d’y revenir.

Combray est marqué d’une chrétienté médiévale. La personnalité cruelle de Françoise est expiée grâce à sa bonté chrétienne. Or, quand une croyance est partagée, la société échappe à l’individualisme 111 . La chrétienté sous-entend le caractère solide et fermé de la société combraysienne — au moins celle des domestiques 112 . On peut l’observer aussi au niveau symbolique dans la géographie combraysienne : l’extérieur de Combray est décrit comme un pays païen.

Le clocher de l’église domine le village, un calvaire aussi surplombe secrètement Combray dans ses collines. Dans la phase de la genèse de « Combray », le calvaire est plus explicite que dans le texte définitif. Il est chargé de signification symbolique, la culpabilité et la sexualité :

‘« Destinée à un usage plus spécial et plus vulgaire, cette pièce […] servit longtemps de refuge à toutes celles de mes occupations qui réclamaient une inviolable solitude : la lecture, la rêverie, les larmes et la volupté. De là, le jour, on voyait au loin le clocher de Pinsonville et même le soir, on distinguait confusément, tout près < de > la maison, les rondes collines, appelées Collines du Calvaire à cause d’un Calvaire qui se dressait autrefois sur l’une d’elles au-dessus d’un vaste étang, […] et mes larmes redoublaient parce que je comparais les souffrances de ma grand-mère à la Passion du Sauveur.  113  »’

Si l’on peut penser qu’il s’agit ici de sexualité et de culpabilité, c’est par le contexte : la pièce dont il s’agit ici est le cabinet de l’oncle Adolphe, destiné au plaisir solitaire ; la souffrance de la grand-mère est celle qu’elle éprouve en voyant son mari prendre un verre de cognac. Par ailleurs, l’évocation de la crucifixion nous intéresse pour deux raisons. D’abord, rappelons que Michelet définit l’art médiéval comme la représentation de la Passion 114 . Ainsi, l’existence du Calvaire et la comparaison entre la grand-mère et le Christ crucifié servent à la « médiévalisation » de Combray. Ensuite, notons que la famille du narrateur s’en va à Combray pour passer les vacances de Pâques, selon le texte définitif, elle se promène le samedi (samedi saint ?) dans les alentours de la ville : « mon père, par amour de la gloire, nous faisait faire par le calvaire une longue promenade 115  ». Au retour, le narrateur voit les bois du Calvaire, empourprés par le soleil couchant qui se reflète sur l’étang 116 . Il est clair qu’en décrivant la promenade, Proust fait allusion à la crucifixion et à la résurrection du Christ, comme si Combray était Jérusalem.

Pourtant, ce n’est pas la plus forte raison pour laquelle la thématique du calvaire nous intéresse. Remarquons que, dans le texte définitif, le mot « calvaire » est inscrit dans le contexte de l’aller-retour en promenade vers Méséglise ou Guermantes. Le mot « calvaire » détermine le seuil de Combray, univers chrétien, car le narrateur enfant imagine que le monde extérieur est le monde païen. En effet, le viaduc de la voie ferrée sépare l’univers chrétien et l’univers païen :

‘« Parfois nous allions jusqu’au viaduc, dont les enjambées de pierre commençaient à la gare et me représentaient l’exil et la détresse hors du monde civilisé parce que chaque année en venant de Paris, on nous recommandait de faire bien attention, quand ce serait Combray, de ne pas laisser passer la station, d’être prêts d’avance car le train repartait au bout de deux minutes et s’engageait sur le viaduc au-delà des pays chrétiens dont Combray marquait pour moi l’extrême limite.  117  »’

Le narrateur enfant considère le viaduc qui forme la délimitation de la ville comme la frontière entre l’univers chrétien et occidental et l’univers extérieur. Qu’est-ce que cette distinction entre dedans et dehors, entre chrétien civilisé et païen signifie ? Il s’agit de l’interdiction de pénétrer dans le monde situé hors de Combray.

L’enfant est protégé de toutes les déviations morales. Comme Geneviève Henrot le remarque, Proust oppose le monde familial, « dépositaire du surmoi, de la loi, de l’interdiction, du refus » au monde extérieur, « naturel (fleur) et primitif (donjon) 118  » (ici, la fleur est celle du jardin de Swann, le donjon celui de Roussainville), car les deux symbolisent la sexualité. En effet, les endroits composant Méséglise — Monjouvain, Roussainville, Saint-André-des-Champs et Tansonville — sont plus ou moins liés à la naissance du désir chez le narrateur.

En emmenant le narrateur du côté de Méséglise, le père et le grand-père lui interdisent de contempler le jardin de Swann à Tansonville de peur de lui permettre d’entrevoir Odette, ancienne cocotte, et Charlus qu’ils prennent à tort pour son amant. Remarquons ici que le parc de Swann est décrit avec un mélange entre religion chrétienne et religion musulmane. Les fleurs couvrant la haie du jardin sont comparées à « une suite de chapelles », le rosier a « une parure de fête — de ces seules vraies fêtes que sont les fêtes religieuses ». Ainsi, le narrateur le considère comme l’« arbuste catholique et délicieux 119  ». Cette « parure de fête » est curieusement de style rococo, peut-être Proust fait-il allusion à Watteau : la vie obscure d’Odette n’évoque-t-elle pas à Swann des études de Watteau 120 , considéré par Proust comme le premier peintre qui ait représenté « l’amour moderne 121  » ? La volupté d’une infidèle est secrètement suggérée. Dans le texte suivant, Proust utilise des images orientales pour décrire le parc de Swann, de même que des images gothiques ou médiévales :

‘« Avant [d’] arriver [à Méséglise], nous rencontrions, venue au-devant des étrangers, l’odeur de ses lilas. […] Quelques-uns, à demi cachés par la petite maison en tuiles appelée maison des Archers, où logeait le gardien, dépassaient son pignon gothique de leur rose minaret. Les Nymphes du printemps eussent semblé vulgaires, auprès de ces jeunes houris qui gardaient dans ce jardin français les tons vifs et purs des miniatures de la Perse.  122  »’

Trois oppositions entre occident et orient peuvent être notées : pignon gothique / rose minaret, Nymphes du printemps / jeunes houris, jardin français / miniatures de la Perse. Les fleurs de lilas, des beautés célestes musulmanes, s’épanouissent au sein du jardin à la française. Pour emprunter le terme de Dominique Jullien, le motif oriental (lilas) est « encastré » dans l’unité française (jardin) 123 . Faut-il dire plutôt qu’ils ont l’air triomphants ? Car ils dépassent le « pignon gothique de leur rose minaret ». D’une part, plus que les aubépines, les lilas exhalent un parfum fort voluptueux ; d’autre part, on ne peut nier que Proust a un goût pour l’orientalisme, et chez lui, la rêverie sur l’Orient a une connotation sensuelle ou sexuelle (l’exemple le plus explicite est l’épisode à propos de la nouvelle traduction des Mille et Une Nuits de Victor Mardrus 124 ). Dans cette perspective, on peut aussi penser à La Fille aux yeux d’or de Balzac que Gilberte lit à Tansonville, le roman raconte l’histoire d’une mystérieuse beauté aux charmes exotiques 125 .

À Saint-André-des-Champs, le narrateur songe à la rencontre avec une paysanne qui pourrait lui apprendre le plaisir sexuel 126 . Monjouvain est le lieu où, voyeur de l’acte pervers qu’exécutent la fille de Vinteuil et son amie, il ressent une impression obscure mais forte qui l’aidera plus tard à penser le sadisme 127 . Quant à Roussainville, on a souvent remarqué que la ville et en particulier son donjon sont les symboles des premiers plaisirs imaginaires. Mais surtout, comme la médecine de l’époque interdit la masturbation, le narrateur se sent condamné à mort 128 , d’où cette assimilation de Roussainville à Sodome :

‘« Devant nous, dans le lointain, terre promise ou maudite, Roussainville, dans les murs duquel je n’ai jamais pénétré, Roussainville, tantôt, quand la pluie avait déjà cessé pour nous, continuait à être châtié comme un village de la Bible par toutes les lances de l’orage qui flagellaient obliquement les demeures de ses habitants, ou bien était déjà pardonné par Dieu le Père qui faisait descendre vers lui, inégalement longues, comme les rayons d’un ostensoir d’autel, les tiges d’or effrangées de son soleil reparu.  129  »’

Guermantes aussi se transforme en entité géographique abstraite :

‘« Quant à Guermantes […] pendant toute mon adolescence, si Méséglise était pour moi quelque chose d’inaccessible comme l’horizon, dérobé à la vue, si loin qu’on allât, par les plis d’un terrain qui ne ressemblait déjà plus à celui de Combray, Guermantes lui ne m’est apparu que comme le terme plutôt idéal que réel de son propre “côté”, une sorte d’expression géographique abstraite comme la ligne de l’équateur, comme le pôle, comme l’orient.  130  »’

Certes, Méséglise semble inaccessible au narrateur enfant, mais alors que Guermantes ne lui paraît qu’une entité, Méséglise reste voisin de Combray : le jardin de Tansonville forme un mur mitoyen entre Combray et Méséglise 131 . Cette différence entre Méséglise et Guermantes dans l’imagination du narrateur est liée à la hiérarchie entre Swann et Vinteuil, et les Guermantes. Nous avons dit que, tout en étant dégradés par rapport à l’échelle morale de Combray, Swann et Vinteuil font partie de la société bourgeoise de la ville. Quant aux Guermantes, ils ne sont pas bourgeois mais aristocrates, en outre, ils semblent être des personnages légendaires puisqu’ils descendent de Geneviève de Brabant. Disons donc que le côté de Méséglise a pour rôle de séparer Combray et le monde extérieur, comme s’il était, pour le narrateur, l’issue de l’univers familial. En effet, dans l’imagination du narrateur, les champs étendus vers le côté de Méséglise communiquent avec Laon, loin de Combray, où Gilberte se rend souvent pour un petit séjour. Le vent qui lui semble venir de Laon lui paraît ainsi un message amoureux de Gilberte 132 .

Pourquoi cette division, sociale, morale et géographique, aussi explicite entre Combray et Méséglise ?

Il faut remarquer que, pour le narrateur, le cheminement vers l’art est celui qui l’amène à connaître le monde extérieur et l’encourage à représenter les impressions qu’il lui procure. Ce cheminement commence à Méséglise l’automne où Léonie décède :

‘« Les murs des maisons, la haie de Tansonville, les arbres du bois de Roussainville, les buissons auxquels s’adosse Monjouvain, recevaient des coups de parapluie ou de canne, entendaient des cris joyeux, qui n’étaient, les uns et les autres, que des idées confuses qui m’exaltaient et qui n’ont pas atteint le repos dans la lumière, pour avoir préféré à un lent et difficile éclaircissement, le plaisir d’une dérivation plus aisée vers une issue immédiate. […] Quand j’essaye de faire le compte de ce que je dois au côté de Méséglise, des humbles découvertes dont il fut le cadre fortuit ou le nécessaire inspirateur, je me rappelle que c’est, cet automne-là, dans une de ces promenades, près du talus broussailleux qui protège Montjouvain, que je fus frappé pour la première fois de ce désaccord entre nos impressions et leur expression habituelle. […] je m’écriai dans mon enthousiasme en brandissant mon parapluie refermé : “Zut, zut, zut, zut.” Mais en même temps je sentis que mon devoir eût été de ne pas m’en tenir à ces mots opaques et de tâcher de voir plus clair dans mon ravissement.  133  »’

Tant qu’il est enfermé dans le monde familial avec un sentiment euphorique, le narrateur ne peut atteindre l’univers artistique, aussi doit-il en sortir. Il violera le serment qu’il fait aux aubépines « de ne pas imiter la vie insensée des autres hommes et, même à Paris, les jours de printemps, au lieu d’aller faire des visites et écouter des niaiseries, de partir dans la campagne voir les premières aubépines.  134  » Cette promesse sera trahie dans la suite du roman, il fréquentera les salons et écoutera les niaiseries des salonards. En outre, le séjour à Tansonville qu’il réalise au début du Temps retrouvé ne lui causera que de la déception. Ce n’est qu’après l’apprentissage et dans l’écriture que les retrouvailles créatives seront rendues possibles.

René Girard a raison d’écrire :

‘« Les images qui décrivent Combray sont généralement empruntées aux religions primitives, à l’Ancien testament et au christianisme médiéval. L’atmosphère est celle des sociétés jeunes où fleurit la littérature épique, où la foi religieuse est vigoureuse et naïve, où les étrangers sont toujours barbares mais ne sont jamais haïs.  135  »’

Or, Proust renforce le caractère solide et clos de la communauté combraysienne en glissant des rites juifs dans « Combray I » et « Combray II », Juliette Hassine l’a dévoilé d’une manière très efficace. Le déjeuner de samedi est une allusion au repas sabbatique, il est explicite qu’il s’agit de la liturgie et l’interdiction alimentaire chez les Hébreux dans l’Antiquité quand le narrateur compare les codes sévères chez Françoise à « ces lois antiques qui, à côté de prescriptions féroces comme de massacrer les enfants à la mamelle, défendent avec une délicatesse exagérée de faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère, ou de manger dans un animal le nerf de la cuisse 136  ». D’ailleurs, la critique dégage l’évocation du sacrifice rituel de la scène où Françoise recueillit le sang du poulet 137 . Par cette « judaïsation » de Combray (en particulier le déjeuner de samedi et le personnage féroce de Françoise), Pâques commémorant la résurrection de Jésus s’associe à la Pâque chez les Juifs célébrant le départ d’Égypte 138 . Juliette Hassine souligne que Proust a lu l’Histoire des Israélites de Théodore Reinach selon lequel les Juifs français cohabitaient dans un état heureux durant la période des Carolingiens — c’est à partir de l’interdiction des livres des Juifs par Saint Louis que la persécution sévère a commencé. Proust insère secrètement dans « Combray II » cette harmonie sociale entre les Français et les Juifs en France sous la dynastie carolingienne. D’ailleurs, la férocité de Françoise, aussi bien que la légende sanglante d’ascendants des Guermantes racontée par le curé à Léonie, constituent une allusion à la période des Carolingiens. Juliette Hassine en conclut :

‘« Ainsi, le libéralisme envers les Juifs s’intègre aux mœurs sociales et politiques où la férocité n’est point absente et c’est à ce titre que le Combray de la Recherche renverrait à tout point de vue à l’époque carolingienne.  139  »’

Cette remarque renforce notre observation selon laquelle « le farouche XIe siècle » — la période carolingienne — est bien inscrit dans la structure sociale de Combray. Par ailleurs, elle nous laisse considérer que Proust compose un univers primitif, en mettant en œuvre toutes ses éruditions historiques. D’un point de vue progressiste, l’ancienne société doit être inférieure à celle de l’époque contemporaine, mais qui pourrait la connaître véritablement sans ce « fauteuil magique 140  » qu’est la machine à explorer le temps, inventée par H. G. Welles ? On ne sait si l’univers primitif n’aurait pas pu ignorer les maux de notre époque, le snobisme par exemple. En effet, Combray vit éternellement le temps primitif marqué de signes médiévaux, géographiquement et socialement. Le temps historique s’y arrête au XIIIe siècle, l’euphorie combraysienne n’a rien à voir avec l’utopie progressiste. S’il existe un temps en mouvement, c’est le temps de la nature qui évidemment ne progresse pas. Ce temps-là aussi rendra la communauté paradisiaque tout en la refermant sur elle-même.

Notes
103.

CS, I, II, p. 149. Proust écrit ensuite : « Le sculpteur avait aussi narré certaines anecdotes relatives à Aristote et à Virgile de la même façon que Françoise à la cuisine parlait volontiers de saint Louis comme si elle l’avait personnellement connu […] » (idem).

104.

Idem.

105.

Proust décrit le profil de Françoise « comme une statue de sainte dans sa niche » (CS, I, II, p. 52).

106.

CS, I, II, p. 149.

107.

CS, I, II, p. 150. Proust insiste sur l’inspiration des artistes médiévaux, fondée sur la réalité qui les entourait dans leur vie quotidienne.

108.

SG, II, III, p. 427-428.

109.

SG, II, III, p. 427.

110.

SG, II, III, p. 427-428.

111.

Selon Paul Bourget, l’individualisme désolidarise la société qui a besoin d’autant d’énergie de toutes ses composantes que d’ordre et de hiérarchie (Essais de psychologie contemporaine, Paris, Lemerre, 1895). À ce propos, voir Pierre Citti, Contre la décadence. Histoire de l’imagination française dans le roman 1890-1914, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 31.

112.

Le narrateur et ses parents sont dépourvus des qualités combraysiennes car ils sont Parisiens. En analysant la philosophie de Combray, Vincent Descombes définit le narrateur comme un Parisien individualiste d’où le malentendu perpétuel et réciproque entre lui et Françoise. Nous le verrons ultérieurement.

113.

CS, I, I, p. 1095-1096, variante a de la page 12. Pinsonville est le futur Roussainville. Geneviève Henrot imagine la raison pour laquelle Proust a supprimé ce texte : « L’avant-dernier état du texte exprimait encore parfaitement l’affrontement des deux thèmes, Éros par ses rondes collines, et Thanatos par son Calvaire et la Passion du Sauveur, dans cette arène du paysage qui a sans doute paru trop immédiatement lisible à l’auteur : la condamnation de victimes consentantes qui invoquent la rédemption d’autrui au prix d’un fatal supplice. » (Délits / délivrance. Thématique de la mémoire proustienne, Padova, Cleup Éditrice, 1991, p. 175.

114.

Voir Histoire de France, Livres X à XVII, in Œuvres complètes, t. VI, Paris, Éditions Flammarion, 1978, p. 39-48.

115.

CS, I, II, p. 113.

116.

CS, I, II, p. 131.

117.

CS, I, II, p. 113.

118.

Délits / délivrance. Thématique de la mémoire proustienne, op. cit., p. 139.

119.

CS, I, II, p. 136.

120.

CS, II, p. 236.

121.

« Essais et articles », in CSB, p. 667.

122.

CS, I, II, p. 133-134.

123.

Proust et ses modèles. Les Mille et Une Nuits et les Mémoires de Saint-Simon, Paris, Librairie José Corti, 1989, p. 99.

124.

Cette nouvelle traduction de Mardrus a paru de 1899 à 1904, sous le titre Le Livre des Milles et Unes Nuit, traduction littérale et complète du texte arabe, aux Éditions de la Revue blanche. Contrairement à la traduction de Galland, qui occidentalise et atténue l’original, celle de Mardrus reste fidèle à l’immoralité et la crudité du texte (voir SG, II, II, p. 230 et p. 1469-1467, note 2 de la page 230).

125.

N’ignorons pas que Gilberte initie le narrateur à l’esthétique gothique : elle passe ses vacances à Reims ainsi qu’à Laon (CS, I, II, p. 136 et 144). Or, il nous semble que son voyage dans les deux villes doit avoir pour but de visiter leur cathédrale. En outre, elle est aux yeux du narrateur une « petite fille privilégiée qui avait Bergotte pour ami et allait avec lui visiter des cathédrales » (CS, I, II, p. 135).

126.

CS, I, II, p. 156-157.

127.

CS, I, II, p. 157.

128.

CS, I, II, p. 154-156.

129.

CS, I, II, p. 150. Nous verrons ultérieurement que Gilberte avouera plus tard qu’à cette époque-là, dans le donjon de Roussainville, elle a eu ses plaisirs sexuels puérils avec des garçons du voisinage (TR, p. 269).

130.

CS, I, II, p. 132-133.

131.

« Quand on voulait aller du côté de Méséglise, on sortait […] par la grande porte de la maison de ma tante sur la rue du Saint-Esprit. […] et l’on sortait de la ville par le chemin qui passait le long de la barrière blanche du parc de Swann. » (CS, I, II, p. 133).

132.

« […] sur cette plaine bombée où pendant des lieues [le vent] ne rencontre aucun accident de terrain. Je savais que Mlle Swann allait souvent à Laon passer quelques jours et, bien que ce fût à plusieurs lieues, la distance se trouvant compensée par l’absence de tout obstacle, quand, […] je voyais un même souffle, venu de l’extrême horizon, abaisser les blés les plus éloignés, […] cette plaine qui nous était commune à tous deux semblait nous rapprocher, nous unir, je pensais que ce souffle avait passé auprès d’elle, que c’était quelque message d’elle qu’il me chuchotait sans que je puisse le comprendre, et je l’embrassais au passage. » (CS, I, II, p. 143-144).

133.

CS, I, II, p. 152-153.

134.

CS, I, II, p. 143.

135.

« Les mondes proustiens », op. cit., p. 227.

136.

CS, I, I, p. 28. Juliette Hassine souligne que Proust écrit dans le Cahier 9 « la vieille loi juive », non « ces lois antiques ».

137.

CS, I, II, p. 120.

138.

Marranisme et hébraïsme dans l’œuvre de Proust, Fleury-sur-Orne, Librairie Minard, 1994, p. 113-171. Marie Miguet-Ollagnier prend part à cette perspective (La Mythologie de Marcel Proust, Paris, Les Belles-Lettres, 1982, p. 307).

139.

Marranisme et hébraïsme dans l’œuvre de Proust, op. cit., p. 122.

140.

CS, I, I, p. 5. Voir p. 1087, note 3.