Proust décrit le centre de la ville de Doncières comme un quartier construit au XVIIIe siècle : l’Hôtel de Flandre 237 , les anciens palais nationaux et l’Orangerie 238 . La chambre de Saint-Loup est elle aussi décorée dans le style rococo 239 . Par ailleurs, l’épisode concernant le prince de Bordino, qui est de noblesse d’Empire 240 , fait penser aux Mémoires de Saint-Simon. Car, comme on le sait, aux yeux de Proust, l’opposition entre l’ancienne noblesse et la noblesse d’Empire, née en plein faubourg Saint-Germain au cours du XIXe siècle, rappelle les prétentions des princes étrangers qui agitèrent la cour de Versailles et que le mémorialiste s’acharne à décrire, en évoquant sans cesse « l’orgueil » des princes étrangers. C’est ce qui est suggéré par le romancier dans son pastiche de Saint-Simon 241 . En outre, la description de la fontaine sur la place de la ville semble être une allusion à Hubert Robert 242 . Proust écrit : « L’une des fontaines était pleine d’une lueur rouge, et dans l’autre déjà le clair de lune rendait l’eau de la couleur d’une opale. 243 » Le leitmotiv du jet d’eau constitue une image de l’onanisme chez Proust et s’associe secrètement au nom d’Hubert Robert comme Jean-Pierre Richard le remarque 244 . Aussi est-il évident que le romancier essaie de lier Doncières au monde aristocratique de la fin de l’Ancien Régime. Nous allons voir d’abord que ce rapprochement n’est pas sans rapport avec le thème de l’amitié, et, par là, le rôle secondaire de l’intelligence dans l’esthétique proustienne sera mis en lumière.
Que signifie l’amitié chez Proust ? Dans la Recherche, l’amitié, représentée par la relation entre le narrateur et Saint-Loup, est principalement décrite dans le cadre d’un festin : les dîners à Rivebelle 245 et le dîner à Paris. Les « breuvages 246 » (très abondants chez Proust, bière, champagne, porto, sauternes…) sont indispensables pour célébrer l’amitié comme si les boissons alcoolisées étaient une sorte de nectar. Au restaurant à Rivebelle, l’ivresse conduit le narrateur à comparer les tables rondes régulièrement disposées dans la salle au tableau astrologique et allégorique du Moyen Âge qui représente l’harmonie céleste. Cette sensation est éphémère : « l’ivresse réalise pour quelques heures l’idéalisme subjectif, le phénoménisme pur ; tout n’est plus qu’apparences et n’existe plus qu’en fonction de notre sublime nous-même. 247 » Cette fugacité de l’idéalisme réalisé par l’alcool est comparable à celle de l’amitié. En effet, en racontant un dîner avec Saint-Loup à Paris qu’il définit comme « le soir de l’amitié 248 », le narrateur confirme :
‘« […] quelle que fût mon opinion sur l’amitié, même pour ne parler que du plaisir qu’elle me procurait, d’une qualité si médiocre qu’elle ressemblait à quelque chose d’intermédiaire entre la fatigue et l’ennui, il n’est breuvage si funeste qui ne puisse à certaines heures devenir précieux et réconfortant en nous apportant le coup de fouet qui nous était nécessaire, la chaleur que nous ne pouvons pas trouver en nous-même. 249 »’Certes, il sait bien que l’amitié est fugace, cela n’empêche pas qu’il ait du plaisir à la ressentir 250 . Proust justifie la séduction de l’amitié : « [les] sympathies entre hommes qui, lorsqu’elles n’ont pas d’attrait physique à leur base, sont les seules qui soient tout à fait mystérieuses. 251 » Les « voiles magnifiques 252 » de l’amitié séparent et protègent les amis des autres, comme la solidarité familiale de Combray protège l’enfant du monde extérieur.
À propos de l’amitié proustienne, Gilles Deleuze note, en renvoyant à l’étymologie du mot « philosophie » : « Dans philosophie, il y a “ami”. Il est important que Proust adresse la même critique à la philosophie et à l’amitié. Les amis sont, l’un par l’autre, comme des esprits de bonne volonté qui s’accordent sur la signification des choses et des mots […] 253 ». L’amitié telle qu’elle est décrite chez Proust se fonde sur l’intelligence qui pousse ses protagonistes à la « conversation », c’est-à-dire à former « la communauté des idées et des sentiments 254 ». La recherche de l’essence ne réside pas dans la bonne volonté ; elle est possible à condition que la pensée ait « quelque chose qui force à penser, qui fait violence à la pensée. 255 » Il nous semble que cette conception de l’amitié entre hommes peut être comparée à sa conception athénienne. Dès lors, il est pertinent de citer les paroles adressées significativement aux jeunes officiers par le narrateur :
‘« […] c’est que l’influence qu’on prête au milieu est surtout vraie du milieu intellectuel. On est l’homme de son idée ; il y a beaucoup moins d’idées que d’hommes, ainsi tous les hommes d’une même idée sont pareils. Comme une idée n’a rien de matériel, les hommes qui ne sont que matériellement autour de l’homme d’une idée ne la modifient en rien. 256 »’En écoutant cet exposé, un camarade de Saint-Loup constate : « Duroc, tout à fait Duroc. 257 » Cette comparaison signifie que le narrateur paraît rationaliste aux jeunes militaires, car, d’après l’explication de Saint-Loup, le commandant Duroc fait comprendre à ses subalternes que la stratégie et la tactique se montrent tellement scientifiques et artistiques que l’histoire militaire peut revêtir une beauté mathématique 258 . Le narrateur avoue que cette idée lui plaît : « Ces théories de Saint-Loup me rendaient heureux. Elles me faisaient espérer que peut-être je n’étais pas dupe dans ma vie de Doncières, à l’égard de ces officiers dont j’entendais parler en buvant du sauterne 259 ». Néanmoins, la philosophie dans le sens étymologique ne dévoile pas la vérité, car Proust conçoit la vérité à découvrir comme quelque chose que l’on ne peut atteindre qu’en descendant en soi. Cela contredit ce que le narrateur dit dans le texte cité : l’amitié nous apporte « la chaleur que nous ne pouvons pas trouver en nous-même. 260 » C’est ainsi que le narrateur se détourne au fil du récit de cette sensation tout de même satisfaisante donnée par la conversation d’amitié avec les jeunes officiers à Doncières. Et cette désillusion culmine à la fin d’Albertine disparue où il découvre l’homosexualité de Saint-Loup. Ce dernier n’exprime plus son amitié pour le narrateur parce qu’il ne lui plaît pas physiquement.
Les conversations entre le narrateur et les jeunes officiers portent sur la science militaire. Il faut remarquer que cette partie est longuement développée pendant la Grande Guerre, précisément en 1917 261 . Il est évident que cet ajout a pour but de mettre en rapport de symétrie le texte sur Doncières et celui qui se rapporte à la guerre : comme Saint-Loup, ses amis militaires partent au front et y meurent 262 . D’ailleurs, en racontant le Paris nocturne menacé par l’armée allemande, le narrateur évoque deux fois avec admiration les officiers qu’il a rencontrés à Doncières. Il est ému par les lumières des projecteurs de la Tour Eiffel et les aéroplanes chargés de surveiller et de protéger la capitale. Le narrateur écrit, à leur sujet :
‘« [Ils étaient] dirigés par une volonté intelligente, par une vigilance amie qui donnait ce même genre d’émotion, inspirait cette même sorte de reconnaissance et de calme que j’avais éprouvés dans la chambre de Saint-Loup, dans la cellule de ce cloître militaire où s’exerçaient, avant qu’ils consommassent, un jour, sans une hésitation, en pleine jeunesse, leur sacrifice, tant de cœurs fervents et disciplinés. 263 »’Le narrateur répètera la même admiration et la même reconnaissance une page plus loin en disant que ces lignes composées par les aéroplanes et les projecteurs sont « pleines d’intentions […] prévoyantes et protectrices, d’hommes puissants et sages 264 ». Cet enthousiasme du narrateur pour l’aéroplane et les projecteurs correspond à la jouissance qu’il éprouve dans la ville de caserne :
‘« […] quel repos sans tristesse j’aurais goûté là, protégé par cette atmosphère de tranquillité, de vigilance et de gaieté qu’entretenaient mille volontés réglées et sans inquiétude, mille esprits insouciants, dans cette grande communauté qu’est une caserne […] 265 »’Plus loin, il décrit la fanfare : « voix sûre d’être écoutée, et musicale, parce qu’elle n’était pas seulement commandement de l’autorité à l’obéissance mais aussi de la sagesse au bonheur. 266 » Ne jugeons pas le narrateur sur ces expressions qui paraissent militaristes, car le bombardement par les aéroplanes allemands détruit la poésie de la guerre :
‘« Je pensai à ce jour, en allant à La Raspelière, où j’avais rencontré, comme un dieu qui avait fait se cabrer mon cheval, un avion. Je pensais que maintenant la rencontre serait différente et que le dieu du mal me tuerait. Je pressais le pas pour fuir [l’avion ennemi] comme un voyageur poursuivi par le mascaret, je tournais en cercle dans les places noires, d’où je ne pouvais plus sortir. 267 »’La violence de la guerre et le revers de la médaille du progrès technologique, symbolisé par l’avion de l’armée, l’emportent sur les vertus militaires (intelligence, vigilance, sagesse, obéissance, esprit de sacrifice) et la juvénilité (gaieté, insouciance, ferveur).
Dans Le Côté de Guermantes I, Proust explique longuement la science militaire que la Grande Guerre remettra en cause dans Le Temps retrouvé. Ce conflit mondial prouve que le progrès technologique dans l’armement rend la guerre moderne plus destructrice que jamais ; c’est d’ailleurs ironiquement l’argument que Saint-Loup utilise pour convaincre le narrateur que l’affaire marocaine ne donnera lieu à aucune nouvelle lutte armée entre la France et l’Allemagne :
‘« Non, cela ennuie [les Allemands], au fond c’est très juste. Mais l’empereur est pacifique. Ils nous font toujours croire qu’ils veulent la guerre pour nous forcer à céder. Cf. Poker. Le prince de Monaco, agent de Guillaume II, vient nous dire en confidence que l’Allemagne se jette sur nous si nous ne cédons pas. Alors nous cédons. Mais si nous ne cédions pas, il n’y aurait aucune espèce de guerre. Tu n’as qu’à penser à quelle chose cosmique serait une guerre aujourd’hui. Ce serait plus catastrophique que le Déluge et le Götterdämmerung. Seulement cela durerait moins longtemps. 268 »’Saint-Loup répétera sa thèse erronée de la guerre courte lors de la déclaration de la Grande Guerre 269 . Par ailleurs, dans son exposé sur la tactique militaire, il n’est pas suffisamment lucide pour prévoir que d’anciennes stratégies seront reniées par la guerre prochaine. Pendant la guerre, en 1916, du retour du front pour permission, incapable de dire s’il confirme ou non les théories exposées au narrateur à Doncières, il affirme seulement que la guerre « n’échappe pas aux lois » de Hegel et qu’elle est « en état de perpétuel devenir. 270 » Les limites de l’intelligence de Saint-Loup apparaissent le plus nettement lorsqu’il s’appuie sur la publication d’un décret qui présuppose que la guerre ne durera pas 271 . Le défaut d’anticipation de Saint-Loup nous semble représenter la limite du rationalisme. Cette limite est liée au leitmotiv de l’amitié chez Proust, car l’amitié peut nourrir un rationalisme, qui manque cependant de force, de violence, essentielles pour la recherche de l’essence. Le narrateur juge ainsi l’intelligence de son ami : « comme toujours, ses arguments étaient livresques. 272 »
Dans ce sens, les paroles adressées par le narrateur à Gilberte dans le « Bal de têtes » au sujet de l’art de la guerre selon Saint-Loup sont significatives :
‘« Il y a un côté de la guerre qu’il commençait, je crois, à apercevoir, lui dis-je, c’est qu’elle est humaine, se vit comme un amour ou comme une haine, pourrait être racontée comme un roman, et que par conséquent, si tel ou tel va répétant que la stratégie est une science, cela ne l’aide en rien à comprendre la guerre, parce que la guerre n’est pas stratégique. L’ennemi ne connaît pas plus nos plans que nous ne savons le but poursuivi par la femme que nous aimons, et ces plans peut-être ne les savons-nous pas nous-mêmes. […] À supposer que la guerre soit scientifique, encore faudrait-il la peindre comme Elstir peignait la mer, par l’autre sens, et partir des illusions, des croyances qu’on rectifie peu à peu, comme Dostoïevski raconterait une vie. D’ailleurs, il est trop certain que la guerre n’est point stratégique, mais plutôt médicale, comportant des accidents imprévus que le clinicien pouvait espérer d’éviter, comme la révolution russe. 273 »’Il nous semble ici qu’il n’est pas important de chercher à savoir si la réflexion de Saint-Loup sur la guerre est arrivée à évoluer ou non. C’est le contenu du discours du narrateur qui nous intéresse. Certes, Saint-Loup trouvait l’histoire de la guerre artistique, la comparait à un « palimpseste » dont il faut déchiffrer les signes 274 ; cependant, cette pensée résulte de ce que la stratégie lui paraissait revêtir une beauté mathématique. Ce n’est pas en ce sens que le narrateur compare la guerre à l’art, comme l’évocation d’Elstir et de Dostoïevski, impressionnistes selon le narrateur, le suggère. Seule la psychologie fondée sur l’expérience — comme le diagnostic d’un médecin — permet de comprendre la tactique de l’adversaire. Et la comparaison entre la guerre et l’amour ou la haine montre que l’apprentissage de cette psychologie correspond justement à celui des signes d’amour, analysé par Deleuze. Cette idée est déjà manifeste dans la partie qui se déroule pendant la guerre :
‘« […] depuis que la vie avec Albertine et avec Françoise m’avait habitué à soupçonner chez elles des pensées, des projets qu’elles n’exprimaient pas, je ne laissais aucune parole, juste en apparence, de Guillaume II, de Ferdinand de Bulgarie, de Constantin de Grèce, tromper mon instinct, qui devinait ce que machinait chacun d’eux. 275 »’La scientificité de l’histoire de la guerre est inexistante. La guerre répète un combat, sentimental, entre des individus : une nation est composée d’innombrables individus, ces individus sont eux-mêmes constitués d’innombrables cellules dont les fonctions déterminent la vie. Ainsi, de même que les scientifiques essaient de connaître les fonctions des cellules pour connaître les mécanismes du corps humain, il est pertinent d’apprendre la psychologie des individus, composantes de la nation, afin de comprendre la tactique militaire ou politique, et en fin de compte tout le déroulement d’un événement politique 276 . C’est pourquoi la guerre peut être racontée comme un roman.
Comme les allusions à l’Ancien Régime que nous avons relevées plus haut, ce rationalisme fait penser au XVIIIe siècle. Cependant, ce XVIIIe siècle n’est plus ni celui que Mme de Boigne ou Saint-Simon décrivent dans leurs Mémoires ni celui de Watteau. Il n’est plus le Versailles frivole et oisif, mais le Siècle des Lumières, c’est-à-dire le siècle « rationaliste » 277 . Dès lors, il est pertinent de situer le texte sur Doncières dans le contexte historique : d’après Jean Starobinski, « entre le crépuscule guerrier de Louis XIV et l’holocauste napoléonien, l’histoire du [XVIIIe] siècle peut encore se lire comme l’avènement, dans le sang, de l’idée de nation. 278 » Proust met en lumière la notion de patriotisme, cela peut être une réponse à la question suivante : pourquoi décrit-il les camarades de Saint-Loup comme anti-dreyfusards ? Ce n’est pas seulement parce qu’ils sont nobles. Pour eux, sincèrement patriotes, la question de la justice présuppose celle du patriotisme et leur patriotisme aristocratique les incite à se ranger du côté anti-dreyfusard. Proust, partisan des révisionnistes et qui, même après la Grande Guerre lorsqu’il n’est plus question de l’Affaire, accuse l’Action Française de ne pas avoir eu la moindre notion de justice en plein milieu de l’Affaire 279 , se garde cependant de juger les anti-dreyfusards. À l’époque de Doncières, l’anti-dreyfusisme patriotique fait partie de l’euphorie d’une communauté solide, non individualiste, comme celle de Combray, marquée de « patriotisme » et même de « chauvinisme 280 ».
Pourtant, la Grande Guerre détrompe le narrateur. Alors que Saint-Loup répète toujours les mêmes théories, notre héros observe que les batailles modernes diffèrent de celles d’autrefois. La mort de Saint-Loup, sanglante, trop médiévale et féodale, si héroïque soit-elle, complète — autant que celle de ses camarades —, si l’on peut dire, à la fois la défaite de cette philosophie de l’histoire dans le domaine militaire et la fin de l’ancien monde. Cela doit être mis en rapport avec l’Ancien Régime. Ce rapprochement nous semble résulter de deux mythologies concernant cette époque de déclin, formées par les historiens progressistes, représentants de l’idéologie bourgeoise du XIXe siècle : l’élégance du style rococo et le rationalisme des Lumières 281 . Ils préludent en effet à la violence de la Révolution et de la dynastie napoléonienne, et aussi à la révolution industrielle. Interprétons dans ce contexte la phrase suivante :
‘« À côté de l’hôtel, les anciens palais nationaux et l’orangerie de Louis XVI dans lesquels se trouvaient maintenant la Caisse d’épargne et le corps d’armée étaient éclairés du dedans par les ampoules pâles et dorées du gaz déjà allumé qui, dans le jour encore clair, seyait à ces hautes et vastes fenêtres du XVIIIe siècle où n’était pas encore effacé le dernier reflet du couchant, comme eût fait à une tête avivée de rouge une parure d’écaille blonde, et me persuadait d’aller retrouver mon feu et ma lampe qui, seule dans la façade de l’hôtel que j’habitais, luttait contre le crépuscule […] 282 »’Dès lors nous comprenons que si Proust a élaboré le texte sur la science militaire pendant la guerre, c’est qu’il essaie d’exprimer la nostalgie d’une époque révolue — la Belle Époque, pendant laquelle il a passé la plupart de sa vie — par la comparaison entre la ville de garnison et la fin du monde aristocratique. Doncières est littéralement une ville des « fantômes subalternes du passé 283 », comme les ruines. Cela traduit la vision de Proust sur les temps modernes : la fin de l’âge d’or.
Saint-Loup affirme à propos de cet hôtel : « […] c’est un ancien palais du XVIIIe siècle avec de vieilles tapisseries. Ça “fait” assez “vieille demeure historique”. » (CG, I, p. 371).
CG, I, p. 394.
« Des tentures de liberty et de vieilles étoffes allemandes du XVIIIe siècle préservaient [la chambre] de l’odeur qu’exhalait le reste du bâtiment, grossière, fade et corruptible comme celle du pain bis. » (CG, I, p. 373-374).
CG, I, p. 425-431.
Nous y reviendrons plus loin.
Hubert Robert, notamment son tableau représentant le jet d’eau, occupe une place privilégiée chez Proust. Selon le commentateur de la Pléiade, Proust a profondément remanié le début de Sodome et Gomorrhe II (de la page 34 à la page 87). Avant ce remaniement, le chapitre devait commencer par la phrase suivante : « Le fait de vivre ou d’être invités dans un des seuls hôtels de Paris qui fussent encore pourvus de jardins magnifiques et si exactement anciens qu’ils ressemblaient encore exactement à la vue qu’en a peinte Hubert Robert, n’équivalait certainement pas plus pour le prince et la princesse de Guermantes à la possession réelle, c’est-à-dire spirituelle, de ces jardins, que pour moi habiter Balbec, et ensuite pouvoir posséder chez moi une des jeunes filles qui s’y promenaient au bord de la mer, n’équivalait à recréer dans mon esprit la mer […] » (SG, II, I, p. 1300, variante b de la page 34). Dans la version définitive, la fontaine chez le prince est typique du XVIIIe siècle (ibid., p. 56). Par ailleurs, cette variante montre que, avant la correction du début du chapitre, le prince possédait un tableau à motif de jet d’eau d’Hubert Robert ; ce tableau, longuement en possession de la duchesse d’Aiguillon puis d’un vieux collectionneur, a été vendu à Swann ; le prince le lui a acheté des années plus tard (ibid., p. 1324 et 1328, variante b de la page 34). Cette peinture représente « précisément le jet d’eau des jardins Guermantes, assez semblables à ce qu’ils sont aujourd’hui. » (Ibid., p. 1327, variante b de la page 34). Ensuite, Proust décrit le tableau dans les détails, en particulier les ancêtres des Guermantes au XVIIIe siècle figurant autour de la fontaine. Il est clair que Proust considère Hubert Robert comme l’un des peintres galants de l’Ancien Régime. Par ailleurs, le narrateur affirme que ce tableau possédé par le prince est son chef-d’œuvre : « Hubert Robert avait sans doute fait là son chef-d’œuvre, un tableau plus poétique que ceux qu’il a exécutés d’habitude et sans doute parce que son imagination s’était émue de retrouver dans le jardin Guermantes ces jeux d’eau qu’il avait tant décrits dans les villes d’Italie. » (Idem). Or, l’exposé du narrateur sur la beauté de l’effondrement d’un monument dans cette partie, qui se passe à Doncières, nous rappelle des tableaux d’Hubert Robert (CG, I, p. 377). Nous le verrons ultérieurement.
CG, I, p. 394.
Proust et le monde sensible, op. cit., p. 88-90. Le critique distingue trois significations du jet d’eau en analysant « le mouvement fusant » chez Proust : la nature, représentée par le jet d’eau à Saint-Cloud, l’art, suggéré par le nom d’Hubert Robert, et la libido, précisément l’éjaculation solitaire déjà longuement décrite dans Contre Sainte-Beuve. Ainsi, le critique nomme le peintre « maître du jet d’eau onanistique ». Il souligne que les deux premières significations se relient étroitement à la troisième. Au sujet du « jet d’eau d’Hubert Robert » chez le prince de Guermantes (SG, II, I, p. 56), Serge Gaubert remarque une image de la fatalité d’un mondain : il répète le mouvement de s’élever dans l’échelle sociale puis retombe dans le fond. L’épisode de Madame Arpajon mouillée par le jet d’eau dans le jardin le suggère (Proust ou le roman de la différence. L’individu et le monde social de « Jean Santeuil » à « La Recherche », op. cit., p. 174-176).
Le dîner à Rivebelle commence avec le souci de Saint-Loup pour la santé du narrateur, comme le dîner à Paris : « Vous n’aurez pas froid ? Vous feriez peut-être mieux de garder [votre paletot], il ne fait pas très chaud. » (JF, II, p. 166). C’est pourquoi nous comptons le dîner à Rivebelle parmi les dîners d’amitié comme le dîner à Paris, bien que le narrateur n’y montre pas ses idées sur l’amitié.
JF, II, p. 167.
JF, II, p. 173.
CG, II, II, p. 706.
CG, II, II, p. 689.
Le narrateur évoque les soirs passés à Doncières avec son ami : « Quand chantent à leur tour de nouveaux moments de plaisir qui passeraient de même, aussi grêles et linéaires, [les heures où il nous avait semblé qu’eût pu pourtant être enfermé un peu de paix ou de plaisir] viennent leur apporter le soubassement, la consistance d’une riche orchestration. Elles s’entendent ainsi jusqu’à un de ces bonheurs types qu’on ne retrouve que de temps à autre mais qui continuent d’être ; dans l’exemple présent, c’était l’abandon de tout le reste pour dîner dans un cadre confortable qui par la vertu des souvenirs enferme dans un tableau de nature des promesses de voyage, avec un ami qui va remuer notre vie dormante de toute son énergie, de toute son affection, nous communiquer un plaisir ému, bien différent de celui que nous pourrions devoir à notre propre effort ou à des distractions mondaines ; nous allons être rien qu’à lui, lui faire des serments d’amitié qui, nés dans les cloisons de cette heure, restant enfermés en elle, ne seraient peut-être pas tenus le lendemain, mais que je pouvais faire sans scrupule à Saint-Loup, puisque, avec un courage où il entrait beaucoup de sagesse et le pressentiment que l’amitié ne se peut approfondir, le lendemain il serait reparti. » (CG, II, II, p. 691).
CG, I, p. 403.
Idem. Cette phrase prépare à l’homosexualité de Saint-Loup dont il sera question à la fin de La Prisonnière.
Proust et les signes, Paris, Presses Universitaires de France, 1964, 4e édition remaniée, 1976, p. 116.
Ibid., p. 40.
Ibid., p. 117.
CG, I, p. 404. Ces paroles du narrateur contredisent dans une certaine mesure à son constat suivant : la certitude à laquelle on arrive finalement est celle de la sensation, non pas celle de la raison.
Idem.
Saint-Loup donne l’explication au sujet du commandant : « [Duroc] a fait un cours où l’histoire militaire est traitée comme une démonstration, comme une espèce d’algèbre. Même esthétiquement c’est d’une beauté tour à tour inductive et déductive à laquelle vous ne seriez pas insensible. » (CG, I, p. 378.)
CG, I, p. 411.
CG, I, p. 689.
CG, I, p. 1573, note 1 de la page 408.
TR, p. 321.
TR, p. 380. Le narrateur répètera la même admiration et la même reconnaissance une page plus loin : « […] sur le pont de la Concorde, autour de l’aéroplane menaçant et traqué et comme si s’étaient reflétées dans les nuages les fontaines des Champs-Élysées, de la place de la Concorde et des Tuileries, les jets d’eau lumineux des projecteurs s’infléchissaient dans le ciel, lignes pleines d’intentions aussi, d’intentions prévoyantes et protectrices, d’hommes puissants et sages auxquels, comme une nuit au quartier de Doncières, j’étais reconnaissant que leur force daignât prendre avec cette précision si belle la peine de veiller sur nous. » (Idem).
TR, p. 381.
CG, I, p. 377.
Idem. Proust écrit ici : « […] la triste cloche des heures était remplacée par la même joyeuse fanfare de ces appels […] ». Cette cloche sera celle de Combray. La sensation de vivre au sein d’une communauté, Combray ou Doncières, fascine le narrateur.
TR, p. 412. Nous verrons plus loin qu’à La Raspelière, l’avion lui semble un demi-dieu comparable au centaure d’Hésiode (SG, II, III, p. 417), et devient ainsi un symbole de l’inspiration artistique.
CG, II, II, p. 706.
Il répond au narrateur qui lui demande si cette guerre durera longtemps : « Non, je crois à une guerre très courte […] » (TR, p. 322).
TR, p. 331. Pourtant, il n’est pas toujours si naïf. En 1916, au narrateur qui lui demande si les tactiques de Napoléon sont caduques au contraire de ce qu’il pensait à l’époque de Doncières, il répond négativement en invoquant le nom d’un général allemand très napoléonien en stratégie (Hindenburg). En effet, selon le commentateur de la Pléiade, la tactique napoléonienne de ce général fut toujours efficace (ibid., p. 340-341, voir la note 1 de la page 341). Le narrateur constate ainsi : « Il faut dire pourtant que si la guerre n’avait pas grandi l’intelligence de Saint-Loup, cette l’intelligence, conduite par une évolution où l’hérédité entrait pour une grande part, avait pris un brillant que je ne lui avais jamais vu. » (TR, p. 339).
« Il me semble qu’on pouvait interpréter le décret en question non comme une preuve que la guerre serait courte, mais comme l’imprévoyance qu’elle le serait, et de ce qu’elle serait, chez ceux qui l’avaient rédigé, et qui ne soupçonnaient ni ce que serait dans une guerre stabilisée l’effroyable consommation du matériel de tout genre, ni la solidarité de divers théâtres d’opérations. » (TR, p. 323).
TR, p. 322.
TR, p. 560.
CG, I, p. 498.
TR, p. 350.
« […] de même qu’il est des corps d’animaux, des corps humains, c’est-à-dire des assemblages de cellules dont chacun par rapport à une seule est grand comme le mont Blanc, de même il existe d’énormes entassements organisés d’individus qu’on appelle nations ; leur vie ne fait que répéter en les amplifiant la vie des cellules composantes ; et qui n’est pas capable de comprendre le mystère, les réactions, les lois de celle-ci ne prononcera que des mots vides quand il parlera des luttes entre nations. Mais s’il est maître de la psychologie des individus, alors ces masses colossales d’individus conglomérés s’affrontant l’une l’autre prendront à ses yeux une beauté plus puissante que la lutte naissant seulement du conflit de deux caractères […] » (idem).
Voir à ce sujet Jean Starobinski, L’Invention de la liberté, Genève, Éditions d’Art Albert Skira S. A., 1964, rééd., 1987, p. 11.
Ibid., p. 12.
Voir une lettre adressée à Daniel Halévy et datée du 19 juillet 1919 (Corr., t. XVIII, p. 335).
CS, I, II, p. 109-110.
Jean Starobinski, L’Invention de la Liberté, op. cit., p. 9.
CG, I, p. 394.
CG, I, p. 381.