Trois ruines dans « Combray II »

Héritier du romantisme, Proust s’intéresse à la poétique des ruines (par exemple, les ruines de Jumièges ont inspiré la création de Saint-Hilaire). La thématique des ruines s’impose dès le début de « Combray II » : Combray est décrite comme une ville cernée d’un « reste de remparts du Moyen Âge 372  ». D’ailleurs, on trouve trois ruines, réelles ou imaginaires, dans « Combray II », les débris du château des comtes de Combray, le boulevard de la gare qui évoque au narrateur les ruines décrites par Hubert Robert, et le donjon ruiné de Roussainville, chacune d’elles a une signification. Les débris du château évoquent au narrateur enfant l’histoire médiévale de Combray 373 , le donjon constitue un symbole de la naissance du désir sexuel, accompagnée de la culpabilité et de l’idée de mort, enfin, les ruines imaginaires du boulevard de la gare engendrent la rêverie romantique. Philippe Boyer démontre la fonction symbolique des trois fameux tableaux sur le mur de la chambre du narrateur, dans la maison de Léonie 374 . « La Cathédrale de Chartres par Corot » introduit le thème de l’église dans la Recherche 375 . Quant aux « Grandes Eaux de Saint-Cloud par Hubert Robert », l’écrivain s’y intéresse d’abord parce que le peintre est « ruiniste », or, le « Bal de têtes » n’est-il pas un bal macabre ? Le nom d’Hubert Robert s’associe ainsi aux « ruines du salon Guermantes » à la fin du roman. De plus, selon Philippe Boyer, La Grande Galerie du Louvre en ruine du peintre annonce « la ruine de l’art ancien », qui est une nécessité pour les nouveaux artistes. Pour ces deux raisons, le nom d’Hubert Robert s’impose dans la naissance de la vocation artistique du narrateur 376 . La prédilection de Proust pour le thème du jet d’eau (lié au peintre ou non), tant analysé jusque-là par les chercheurs, motive dans le choix des « Grandes Eaux de Saint-Cloud » 377 . Au sujet du « Vésuve par Turner », le critique montre que ce peintre anglais évoque à Proust non seulement Venise mais aussi Sodome 378 . Il nous semble que ces trois tableaux correspondent aux trois ruines à Combray : celui de Corot aux débris du château, celui d’Hubert Robert aux ruines imaginaires et celui de Turner au donjon de Roussainville. Assignons ainsi aux associations entre les ruines et les tableaux, les thèmes suivants :

En réalité, les images des ruines chez Proust sont beaucoup plus complexes que ce schéma : d’une part, il faut mettre en rapport ces trois ruines combraysiennes avec les images des ruines figurant dans les autres volumes ; d’autre part, les significations de ces ruines s’entrecroisent. Il nous semble que ces trois images des ruines à Combray, celle d’Éros et celle de Thanatos, sont liées à la vision du romancier sur son temps. Nous tenterons de clarifier cela en suivant notre schéma d’association.

Notes
372.

CS, I, II, p. 47.

373.

CS, I, II, p. 165.

374.

CS, I, II, p. 40.

375.

Le Petit pan de mur jaune. Sur Proust, op. cit., p. 55-56. En même temps, Philippe Boyer prête attention au nom de Corot : celui-ci apparaît seulement trois fois dans le roman et chaque fois il est associé à Swann. Par là, il démontre que le nom de Corot est lié au côté de Swann, c’est-à-dire à la sexualité, l’art et la judaïté (ibid., p. 56-59).

376.

Ibid., p. 59-61.

377.

Ibid., p. 62. Philippe Boyer note aussi l’importance de la syllabe –bert du nom du peintre constituant une série onomastique avec Gilberte, Albertine et Robert de Saint-Loup (ibid., p. 62-64).

378.

Ibid., p. 65-66.