DEUXIÈME PARTIE : LE TEMPS HISTORIQUE EN MOUVEMENT

CHAPITRE I. LE PAYSAGE DE L’ÂGE DE FER

À Combray, le temps n’évolue pas, il s’arrête aux époques primitives. La société reste telle qu’elle était au Moyen Âge. Le temps s’écoule sous forme cyclique comme le temps de la nature. À Doncières et Venise, le temps reste dans un âge d’or — sans ignorer le pressentiment de sa fin. Or, on peut observer que le temps social évolue à l’extérieur de ces paradis, Paris et Balbec, tout en approuvant Antoine Compagnon qui écrit :

‘« La chronologie même [du] roman [de Proust] est incohérente et l’histoire y est peu présente, ou indirectement, par bribe […]. Cela rend illusoire toute lecture documentaire ou sociologique de la Recherche du temps perdu, sur le modèle de La Comédie humaine de Balzac.  439  »’

Malgré tout, il nous semble que le temps évolue comme la vie croît, cette évolution sera décrite à travers celle de la société (ou simplement le changement de celle-ci) qui va de paire avec l’apprentissage du narrateur. Dans ce chapitre, en nous attachant à Balbec et au Paris proustien, nous nous demanderons comment Proust décrit la représentation du paysage que son temps a profondément modifiée à cause de l’accélération de l’histoire.

La grand-mère du narrateur lui apprend à aimer ce qui est ancien, naturel et artistique ; cet enseignement détermine la première étape de l’apprentissage esthétique du narrateur. Ainsi, le narrateur n’affectionne que Combray, Doncières et Venise qui ont un « coefficient temporel » et, dans un premier temps, ne trouve pas de charme à Paris et Balbec. Cette position vis-à-vis de Paris semble étonnante aux yeux du lecteur de nos jours. Quant à Balbec, il est conçu comme une ville normande qui remonte à la période romane. Qu’est-ce qui sépare Paris et Balbec des autres villes considérées comme historiques, Combray, Doncières et Venise ? Comment la nature est-elle décrite dans Paris et Balbec ? Et comment ces deux points s’articulent-ils autour de l’esthétique proustienne ?

Notes
439.

« Le dernier écrivain du XIXe siècle et le premier du XXe siècle », in Proust entre deux siècles, op. cit., p. 23. Le critique écrira une page après : « Il paraît légitime, en dépit de Proust, de réfléchir aux relations de la Recherche du temps perdu et de l’histoire. L’alternative de l’approche esthétique et de l’approche historique de l’œuvre doit être abrogée si l’on veut saisir l’ambiguïté historique et esthétique du roman de Proust. » (Ibid., p. 24).