La rêverie sur les noms historiques

La rêverie médiévale et l’enseignement de la grand-mère nourrissent chez le narrateur des rêves sur des noms propres, noms de lieux et noms d’aristocrates — d’ailleurs liés entre eux — qui évoquent toujours une histoire, ou du moins un sens étymologique. Le narrateur ne s’est-il pas déjà forgé une image charmante du nom de « Guermantes », à la fois nom d’une famille et d’une localité de Combray où il n’a jamais posé le pied, parce qu’il évoque l’histoire et la légende moyenâgeuses à Combray ? N’est-il pas tombé presque amoureux de la duchesse de Guermantes en croyant qu’elle l’avait regardé lors du mariage de la fille du docteur Percepied ? Les noms contiennent un rêve historique.

En confrontant la troisième partie de Du côté de chez Swann intitulée « Noms de pays : le nom », et la deuxième partie d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, « Noms de pays : le pays », on peut dire que, sur le plan des noms de lieux, en particulier celui de Balbec, l’itinéraire du narrateur passant de l’étape des noms comme sources de rêves à celle où il découvre avec déception leur réalité est achevé avec la fin d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Balbec est dépourvu des charmes liés à son histoire qui faisait rêver le narrateur adolescent. Dans ce sens, Le Côté de Guermantes pourrait avoir pour sous-titre « Noms de personnes : les personnes ». Le désenchantement des noms aristocratiques fait pendant à celui des noms de lieux. Il nous semble indispensable d’étudier ces deux thèmes onomastiques en même temps. Nous approfondirons dans les pages suivantes ce cheminement du désenchantement des noms historiques.