Société mondaine

On remarque que l’apprentissage du narrateur dans le domaine mondain, qui est simultanément celui des noms aristocratiques, commence dans le salon de la marquise de Villeparisis, se poursuit au dîner chez la duchesse de Guermantes, puis à la soirée chez la princesse de Guermantes et se termine à la matinée chez Mme Verdurin, désormais princesse de Guermantes. Un autre personnage suit ce cheminement vers le faubourg Saint-Germain : Mme Verdurin. Elle commence avec son petit clan décrit dans « Un amour de Swann », en établit un un peu plus grand, où se mêlent quelques aristocrates, à La Raspelière puis à Paris, et atteint le faubourg Saint-Germain en se mariant avec le prince de Guermantes qui a perdu sa femme ainsi que sa fortune. En même temps que l’ascension de Mme Verdurin, Charlus et la duchesse de Guermantes descendent dans l’échelle mondaine. À première vue, au moins de nos jours, ce parallélisme traduit l’opposition entre la bourgeoisie et la noblesse au début du XXe siècle. L’étude de Catherine Bidou-Zachariasen, sociologue, se fonde sur cette optique socio-historique. Pourtant, la Recherche n’est pas une étude historique, il sera ainsi impossible d’affirmer que Proust décrit la société mondaine selon la réalité historique. Comme Paul Ricœur le dit, il « fictionnalise 769  » le faubourg Saint-Germain. Toutefois, cela ne nous empêche pas d’observer que Proust transporte le changement de la belle société dans son roman. On peut dire que le contraste entre Charlus ou la duchesse de Guermantes et Mme Verdurin noue l’intrigue de la Recherche dans le « Bal de têtes » en donnant au narrateur « la sensation du temps écoulé ». Le changement du monde soutient l’évolution du temps romanesque, nous allons essayer ainsi de le suivre.

Tout d’abord le romancier décrit la bourgeoisie de la société parisienne. Historiquement parlant, on dit en général que cette classe croît particulièrement après la Révolution et l’emporte sur l’aristocratie. Le mariage de Mme Verdurin avec le prince de Guermantes correspond à cette réalité historique. Quant à Balbec, sa société mondaine est constituée de vacanciers bourgeois, des bourgeois normands et des bourgeois parisiens. Dans Sodome et Gomorrhe II, Proust décrit la situation des hobereaux : les Cambremer. À première vue, l’idée principale sur la marche de la société dans la Recherche semble être le déclin de la hiérarchie traditionnelle : la supériorité de l’aristocratie dans l’échelle hiérarchique est sur le point de s’effondrer. Cette anémie de l’aristocratie et l’ascension de la bourgeoisie font pendant à l’utilitarisme et l’arrivisme du « lift » de Balbec et de Morel que nous avons analysés.

Remarquons par ailleurs que les analyses sociales du narrateur se développent avec sa propre ascension mondaine, qu’il achève en participant à la soirée chez la princesse de Guermantes. Mme Verdurin aussi tente cette montée dans le faubourg Saint-Germain, cependant, sa réussite se produit beaucoup plus lentement. Cela ne contredit-il pas la victoire des bourgeois sur les aristocrates, puisque tout le monde vise le Faubourg ? Nous entreprendrons de détailler l’évolution de la société mondaine dans la Recherche.

Notes
769.

Temps et récit, op. cit., t. III, p. 230.