La société à Balbec

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, il devient courant dans les milieux aisés de partir en vacances. Proust conçoit Balbec dans ce contexte historique. Au sujet de sa fonction dans la structure du récit, Serge Gaubert remarque que cette ville maritime constitue un lieu de rencontre au-delà des classes sociales 770 . Jacques Dubois note qu’« il faut considérer Balbec en cadre de réfraction inédit, propice à l’irruption de comportements hors norme.  771  » Le sentiment d’être émancipé des contraintes quotidiennes permet, dans une station de villégiature, des rencontres impossibles à Paris, entre le narrateur et les Guermantes, entre Charlus et Morel entre autres. C’est-à-dire que « les proportions sociales 772  » sont troublées. Les gens de tous les milieux se réunissent et ces relations conduisent le récit. Dans l’optique sociale, cette fusion entre des classes différentes souligne paradoxalement leurs dissemblances, comme Serge Gaubert le remarque en s’attachant à la fonction symbolique de la vitre (dans la salle à manger, dans la calèche de la marquise de Villeparisis, etc.) : une cloison transparente sépare les uns des autres selon les classes sociales 773 . Cette « paroi de verre » permet d’ailleurs au narrateur d’observer et re-classer tous les vacanciers pour les remettre à leur place sociale. Le monde de Balbec se présente comme un miroir de la société sous la troisième République, c’est ce que nous allons examiner à présent.

Notes
770.

Proust ou le roman de la différence. L’individu et le monde social de « Jean Santeuil » à « La Recherche », op. cit., p. 224.

771.

Pour Albertine. Proust et le sens du social, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 36.

772.

JF, II, p. 35.

773.

Proust ou le roman de la différence. L’individu et le monde social de « Jean Santeuil » à « La Recherche », op. cit., p. 223-226. Dégageons de cette thématique de « la paroi de verre » l’une des rares apparitions d’ouvriers dans la Recherche : « Et le soir […] à l’hôtel […] les sources électriques faisant sourdre à flots la lumière dans la grande salle à manger, celle-ci devenait comme un immense et merveilleux aquarium devant la paroi de verre duquel la population ouvrière de Balbec, les pêcheurs et aussi les familles de petits bourgeois, invisibles dans l’ombre, s’écrasaient au vitrage pour apercevoir, lentement balancée, dans des remous d’or, la vie luxueuse de ces gens, aussi extraordinaire pour les pauvres que celle de poissons et de mollusques étranges (une grande question sociale, de savoir si la paroi de verre protégera toujours le festin des bêtes merveilleuses et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger). » (JF, II, p. 41-42).