Toujours les mêmes éléments

D’une part, en citant Aristote ¹⁰³⁶ , Schopenhauer affirme : « la poésie sert plus que l’histoire à la connaissance de la nature humaine […] ¹⁰³⁷  ». D’autre part, il renie la scientificité de la recherche historique. Si celle-ci n’est qu’une connaissance sur le passé, c’est parce que ce que les historiens appellent la « généralité de l’histoire » est purement subjectif :

‘« Si l’on venait objecter qu’il y a aussi dans l’histoire subordination du particulier au général, par le moyen des périodes de temps, des règnes et autres changements de chefs et d’États, bref par le moyen de tous les grands événements qui trouvent place sur les tablettes de l’historien et qui constitueraient le général englobant les faits particuliers, l’objection reposerait sur une conception erronée de la notion du général. Car cette prétendue généralité de l’histoire est purement subjective, c’est-à-dire ne tient qu’à l’insuffisance de notre connaissance individuelle des choses ; elle n’est pas objective, c’est-à-dire qu’elle n’est pas une notion dans laquelle la pensée embrasse réellement une collection d’objets.  ¹⁰³⁸  »’

Les éléments envisagés comme généraux par les historiens — la succession des rois, les révolutions, les guerres, les périodes historiques — sont certains, alors que le détail des événements et de leur enchaînement est moins sûr et plus suspect. Si un historien tente de pénétrer un événement, son œuvre « se rapproche alors à tous égards du roman.  ¹⁰³⁹  » Ensuite, le penseur met en parallèle la philosophie et l’histoire : on peut considérer comme général seulement ce qui est omniprésent dans tous les moments, c’est ce qui fait l’objet de la recherche des philosophes et dont ces derniers tentent de sonder la profondeur ; au contraire, les historiens ne font qu’énumérer les faits historiques pour compléter un passé, par conséquent :

‘« L’histoire nous montre partout que la même chose, sous des formes diverses […] Les chapitres de l’histoire des peuples ne diffèrent au fond que par les noms et les millésimes : le contenu vraiment essentiel est partout le même.  ¹⁰⁴⁰  »’

Cette vision de l’histoire ressemble à celle que nous avons dégagée en analysant comment Proust décrit la réaction du maître d’hôtel à chaque événement politique (pour celui-ci, tous les événements résultent du même principe). D’emblée, il sera pertinent d’aborder le renversement du beau monde parisien qui commence à la fin d’Albertine Disparue, pour montrer comment le romancier conçoit le caractère répétitif du temps sur le plan social.