CHAPITRE III. PENSER LE TEMPS, PENSER L’HISTOIRE : PÉGUY ET BENJAMIN

Proust, intellectuel de la fin du XIXe siècle, n’aurait pu éviter la réflexion sur son temps, où l’historicisme l’emporte : on considère l’évolution de l’humanité comme un progrès continu dans le domaine capitaliste et industriel. Vis-à-vis de cette tendance, il se montre sceptique — comme Péguy et Benjamin. La spéculation proustienne ne s’arrête pas là. Ses réflexions le conduisent d’ailleurs à s’interroger sur le pont entre le passé et le présent. Il constate que la science historique est loin de donner une réponse et qu’elle ne peut restituer le passé. Il dégage d’ailleurs de cette époque orgueilleuse un problème qui porte sur l’isolement de l’individu dans le monde qui l’entoure, conséquence négative de l’individualisme. De nombreux écrivains contemporains ont abordé cette question. Pourtant, le romancier se met à distance de la question sociale ou idéologique, car, ce qui lui importe, c’est l’art qui met en lumière « le temps incorporé 1069  ». L’originalité de son approche quasi ontologique consiste en ce qu’il l’associe à l’interrogation sur le rapport entre le temps du soi et le temps en dehors du soi : comment peut-on renouer ce lien entre le temps vécu dans une dimension personnelle et le temps vécu dans une dimension sociale ? Comment est-il possible d’intégrer le temps extérieur au temps intérieur au sein de la mémoire ?

Notes
1069.

TR, p. 623.