CHAPITRE III. ÉCRIRE COMME UN MÉMORIALISTE

Non seulement le narrateur met en parallèle le processus de création de son œuvre future et la construction ou la restauration d’une cathédrale, mais il compare aussi son œuvre aux Mémoires de Saint-Simon. Que signifie ce rapprochement ? Certes, de même qu’on ne peut considérer la Recherche comme un roman historique 1342 , on ne peut pas dire que Proust est un mémorialiste. Malgré tout, rappelons que, selon Walter Benjamin, Proust a fait du XIXe siècle un sujet méritant d’être traité par un mémorialiste, d’ailleurs, le penseur considère que, grâce au romancier, ce siècle est devenu un « champ de forces 1343  ».

À travers les réflexions que nous avons faites jusqu’ici, nous comprenons quelques-unes des raisons pour lesquelles le narrateur compare son roman futur aux Mémoires de Saint-Simon. Les mémorialistes ont tendance à raconter, plutôt que de grands événements, de petits faits, insignifiants et contingents, qui seraient tombés dans l’oubli sans l’opération mnémonique qu’est l’écriture, c’est ce que nous avons vu dans la deuxième partie. À présent, nous allons approfondir notre étude pour savoir ce que signifie écrire comme un mémorialiste.

Notes
1342.

Voir Jean-Yves Tadié, Proust et le roman, op. cit., p. 354-359. Le critique cite des reproches que Proust adresse à Balzac : « On peut [essayer d’employer notre vie à des choses qui ne fussent pas tout à fait étrangères à l’amour que les personnages nous avaient inspiré], par une sorte de détour, pour les livres qui ne sont pas d’imagination pure et où il y a un substratum historique. Balzac, par exemple, dont l’œuvre en quelque sorte impure est mêlée d’esprit et de réalité trop peu transformée, se prête parfois singulièrement à ce genre de lecture. » (« Journées de lecture », in CSB, p. 171). Proust écrit en effet au sujet de Balzac : « Et comme tout cela se rapporte à une époque, en montre la défroque extérieure, en juge le fond avec grande intelligence, quand l’intérêt du roman est épuisé, il recommence une vie nouvelle comme document d’historien […] » (« Sainte-Beuve et Balzac », in CSB, p. 290).

1343.

« L’image proustienne », op. cit., p. 141.