Chapitre 1 : Préambule
Sciences Cognitives et Psychopathologie

Les sciences cognitives regroupent un ensemble de disciplines telles que la philosophie, la linguistique, la psychologie cognitive, la neurobiologie et l’intelligence artificielle. Ces disciplines s’articulent autour d’une même problématique : comprendre comment l’information est traitée par le cerveau c’est-à-dire comment elle est perçue, mémorisée manipulée, transformée et finalement restituée.

Les pathologies psychiatriques intéressent depuis quelques années le champ des sciences cognitives en ce qu’elles se caractérisent à la fois par des troubles cognitifs et des perturbations relationnelles et affectives. L’étude de telles pathologies permet donc d’approcher les fonctions cognitives les plus complexes et leurs interactions avec les émotions et le contrôle de l’action.

Nous pouvons considérer l’étude de la pathologie mentale par les sciences cognitives à deux niveaux différents. Les recherches cognitives sur la pathologie mentale ont d’abord tenté de décrire les différentes anomalies cognitives consécutives à la maladie. Par la suite, elles se sont intéressées à définir des perturbations cognitives plus spécifiques et supposées produire et expliquer les symptômes psychiatriques. Cette dernière approche constitue le champ de la psychopathologie cognitive. Ainsi, au-delà d’une simple description de « symptômes » cognitifs, des modèles explicatifs ont été proposés permettant d’une part une meilleure compréhension de la pathologie mentale et d’autre part une contribution à la connaissance du fonctionnement mental normal et du développement.

Par ailleurs, la psychopathologie cognitive se propose de mettre en perspective les niveaux d’analyse clinique, cognitif et neurobiologique. Les processus cognitifs constituent un niveau d’analyse intermédiaire entre les niveaux clinique et neurobiologique. Cela ne signifie pas qu’il soit possible d’expliquer directement les symptômes cliniques par un trouble cognitif et le trouble cognitif par une anomalie neurobiologique mais des corrélations sont établies d’une part entre symptômes cliniques et opérations cognitives et d’autre part entre opérations cognitives et fonctionnement cérébral.

La schizophrénie, du fait de sa complexité, est la pathologie mentale qui a donné lieu au plus grand nombre de recherches cognitives. L’hypothèse d’anomalies de la régulation de l’action dans la schizophrénie constitue sans doute le modèle explicatif le plus complet. Selon Georgieff , la référence aux modèles de l’action de la neuropsychologie cognitive a permis d’intégrer les troubles touchant la mémoire, l’attention, la perception, observés chez les schizophrènes dans un cadre plus général d’anomalies de la régulation de l’action comprenant : une désorganisation de l’action ou des troubles de la planification, des troubles de l’ajustement de l’action à la situation ou au contexte et des anomalies de la conscience de l’action propre et d’autrui.

Depuis quelques années, tout un courant de recherches s’est également développé autour de l’autisme infantile. L’autisme infantile, par la conjonction qu’il réalise entre troubles affectifs et troubles cognitifs, apparaît comme un paradigme privilégié pour la question des rapports de l’affectif et du cognitif et plus particulièrement de leur intrication au cours du développement.

Dans un premier temps, les recherches ont révélé différentes anomalies touchant le filtrage des signaux sensoriels, la perception de stimuli sociaux et non sociaux, différents aspects des processus langagiers, mnésiques et attentionnels. Dans un deuxième temps, les recherches se sont inscrites dans une démarche moins descriptive en proposant des hypothèses sur des perturbations cognitives spécifiques et explicatives des symptômes comportementaux. Différentes hypothèses ont été proposées : un trouble primaire de la compréhension et du traitement des émotions, un défaut de cohérence centrale, un trouble de la fonction dite de théorie de l’esprit et un déficit des fonctions exécutives. Ces deux dernières hypothèses vont plus particulièrement nous intéresser.

Nous avons choisi de développer notre thèse selon le plan suivant.

La première partie de ce travail va être consacrée à présenter succinctement l’autisme infantile et à développer le cadre théorique dans lequel s’inscrit notre réflexion. Nous exposerons alors deux modèles cognitifs explicatifs des troubles observés dans l’autisme infantile, la théorie de l’esprit et les fonctions exécutives. Nous préciserons pour chacune de ces fonctions d’une part leurs fondements théoriques, développementaux et neurobiologiques ; d’autre part les principaux résultats en faveur de leur atteinte dans l’autisme et leurs principales limites. Nous finirons cet exposé en soulignant les liens possibles entre ces deux modèles et en proposant l’hypothèse qu’un trouble de théorie de l’esprit et qu’un trouble exécutif pourraient avoir une source commune dans l’atteinte d’un mécanisme cognitif plus bas niveau concernant la représentation de l’action.

Nous présenterons ensuite deux paradigmes expérimentaux réalisés pour tester notre hypothèse d’un déficit des processus de représentation de l’action, et pour terminer nous discuterons des résultats obtenus en lien avec la littérature.