Chapitre 2 : Contexte Théorique

L’autisme

Le terme d’autisme, dérivé du grec autos qui signifie soi, a été introduit en psychiatrie en 1911 par le psychiatre Eugen Bleuler pour décrire un des symptômes de base de la schizophrénie à savoir l’isolement social, le repli sur soi.

Ce terme d’autisme a été repris par Léo Kanner en 1943  pour décrire un syndrome unique et distinct. Kanner rapporta le cas de 11 enfants présentant un ensemble de symptômes particuliers définissant ce qu’il nomma « des troubles autistiques innés du contact affectif ». Les symptômes principaux étaient :

  • l’isolement et les troubles du contact affectif. « Le trouble fondamental le plus frappant est l’incapacité de ces enfants à établir des relations de façon normale avec les personnes et les situations dès le début de leur vie. […] Il existe d’emblée un repli autistique extrême qui, chaque fois que c’est possible, fait négliger, ignorer, refuser à l’enfant tout ce qui vient de l’extérieur » ;
  • l’écholalie, des difficultés de compréhension et surtout le langage n’est pas utilisé comme moyen de communication (trouble de la pragmatique). « Le langage – que ces enfants n’utilisaient pas pour communiquer – a dès le début été considérablement détourné pour devenir un exercice de mémoire indépendant, sans aucune valeur sémantique ni conversationnelle ou comportant de graves distorsions. […] Lorsque des phrases sont finalement formées, elles demeurent pendant longtemps des combinaisons de mots entendus et répétés à la manière d’un perroquet » ;
  • un désir obsessionnel d’immuabilité entraînant actes répétitifs, stéréotypies, gamme d’intérêts limitée, résistance et intolérance aux changements. « Les bruits produits par l’enfant et tous ses actes sont d’aussi monotones répétitions que ses paroles. Il existe une limitation nette dans la variété de ses activités spontanées. La conduite de l’enfant est régie par une obsession anxieuse de la permanence que personne ne peut rompre […] Les changements de routine, d’ordre dans lequel des actes quotidiens sont effectués peuvent le mener au désespoir ».

En 1944, Hans Asperger a décrit des enfants présentant le même type de troubles mais avec de meilleures performances intellectuelles et un développement du langage plus précoce et mieux adapté.

Cet ensemble de trois symptômes décrit par Kanner, parfois qualifié de triade autistique, reste à la base des critères diagnostics actuels. Aujourd’hui l’autisme est défini comme un trouble sévère et durable du développement de l’enfant qui se manifeste dès la petite enfance (avant 3 ans) par des perturbations graves des interactions sociales et de la communication et par des comportements restreints, répétitifs et stéréotypés.

Selon les deux grands systèmes internationaux de classifications des troubles mentaux, le DSM (Diagnostic and Statistical Manual for Mental Didorders) et la CIM10 (Classification Internationale des Maladies de l’Organisation Mondiale de la Santé), l’autisme fait partie de la catégorie plus générale des Troubles Envahissants du Développement (TED). Alors qu’en 1980, l’autisme était la seule entité représentant les TED, aujourd’hui nous distinguons cinq catégories de troubles, incluant des formes atypiques d’autisme et le syndrome d’Asperger. L’autisme est un trouble très complexe aux formes multiples avec des degrés de sévérité variables pouvant donner lieu à des tableaux cliniques très différents. Pour rendre compte de cette variabilité, les termes de continuum autistique et de spectre autistique (« Autism Spectrum Disorders ») sont de plus en plus utilisés. Dans la suite de l’exposé, nous continuerons de parler d’autisme et de sujets autistes tout en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une entité clinique homogène.

La prévalence minimale de l’autisme dans la population générale est estimée à 4-5 cas pour 10 000 naissances, certaines données épidémiologiques récentes allant jusqu’à 10 à 20 cas pour 10 000, voire jusqu’à 60 cas pour 10 000 si nous considérons l’ensemble des troubles du spectre autistique . Le sex-ratio est inégal et en faveur des garçons : 4 à 5 garçons atteints pour une fille. Il semblerait que les filles atteintes d’autisme soient plus sévèrement touchées avec un retard mental plus important. Une majorité (50 à 75 %) des personnes autistes ont un retard mental associé mais ce retard n’est pas homogène et parfois les compétences sont normales voire exceptionnelles dans certains domaines.

Les causes possibles de l’autisme sont sujettes à controverses depuis de nombreuses années entre tenants d’une cause organique et ceux d’une cause psychologique. Aujourd’hui un consensus scientifique s’est établi sur l’existence de divers facteurs étiologiques dont certains sont organiques et plus particulièrement génétiques et d’autres environnementaux.

Nous allons évoquer les principales anomalies génétiques et neurobiologiques fréquemment observées dans l’autisme et qui contribuent probablement à l’émergence des troubles autistiques .

Les recherches génétiques comprennent essentiellement des études de jumeaux ou de lignées familiales ainsi que des études moléculaires . Le taux d’héritabilité est estimé à 90 % avec en moyenne 70 % des jumeaux monozygotes qui présentent un diagnostic concordant, tandis que la concordance chez les jumeaux dizygotes et les enfants d’une même fratrie est inférieure à 5 % (risque qui reste extrêmement élevé, de 50 à 100 fois supérieur à celui de la population générale). Signalons également l’association assez fréquente, bien que non systématique, de l’autisme avec certaines maladies génétiques : syndrome de l’X fragile, sclérose tubéreuse de Bourneville, syndrome de Rett, neurofibromatose, phénylcétonurie….

S’il existe beaucoup d’arguments en faveur d’une atteinte génétique, aucun gène majeur n’a encore été identifié. Différentes régions de susceptibilité, près d’une vingtaine, ont été identifiées sur de nombreux chromosomes, dont de manière récurrente, celles localisées sur les chromosomes 2q, 7q, 16p, 15q et les chromosomes sexuels. Différentes anomalies ont été observées sur des gènes codant pour des protéines impliquées dans des étapes cruciales du développement cérébral (comme la sélection des réseaux neuronaux, la mort neuronale, le transport de certains neuromédiateurs tels que la sérotonine ou le glutamate). Par exemple, une étude a mis en évidence des mutations sur deux gènes (NLGN3 et NLGN4) situés sur le chromosome X et codant pour des protéines de la famille des neuroligines . Ces neuroligines seraient impliquées dans les mécanismes de formation ou de maturation des synapses dans le système nerveux central des mammifères. D’autres études ont mis en évidence des mutations du gène codant pour la protéine reeline impliquée dans la migration neuronale au cours du développement cérébral.

Différents signes évocateurs d’une atteinte neurologique dans l’autisme sont notés. Environ un tiers des enfants autistes sont épileptiques et la présence d’une déficience mentale, d’un nystagmus ou la persistance anormale de certains réflexes infantiles et de mouvements stéréotypés est fréquemment observée. L’autisme est souvent associé avec un nombre important de facteurs connus pour provoquer des atteintes cérébrales chez le fœtus : encéphalite congénitale ou acquise, post-maturité, anoxie fœtale ou hypoxie, ictère néo-natal, affections virales, etc.

Les études biochimiques rapportent des perturbations dans la plupart des systèmes neurochimiques (sérotonine, dopamine, noradrénaline, endorphines) sans pouvoir tirer de conclusions solides au vu de résultats discordants.

Les quelques études post-mortem sur des sujets autistes mettent en évidence un développement neuronal anormal comme en témoigne la taille réduite des neurones, l’augmentation de la concentration cellulaire dans le système limbique, la diminution des connexions dendritiques dans l’hippocampe, la réduction du nombre de cellules de Purkinje dans le cervelet et la réduction du nombre de neurones dans les noyaux des nerfs moteurs crâniens.

Par ailleurs, des études ont montré l’existence d’une macrocéphalie chez environ 20 à 40% des autistes : périmètres crâniens plus importants, augmentation du poids et amplification du volume du cerveau (cette amplification est surtout observée dans les régions frontales, pariétales, temporales et le cervelet, et concerne essentiellement la substance blanche). Plusieurs études d’imagerie anatomique ont mis en évidence une hypoplasie de certains lobules du vermis cérébelleux mais cette anomalie n’a pas été confirmée dans beaucoup d’autres études. Récemment, Carper et Courchesne ont montré une corrélation inverse entre le volume du lobe frontal et la taille de certains lobules du cervelet : les sujets autistes qui présentent une atrophie importante du cervelet ont un volume du cortex frontal supérieur à la normale. Des variations du volume de l’amygdale, des noyaux caudés, du corps calleux, du tronc cérébral ont également été observées mais les résultats sont loin d’être concordants d’une étude à une autre .

Les études d’imagerie au repos sont encore peu nombreuses mais fournissent des données intéressantes. Zilbovicius et al. ont remarqué une diminution de la perfusion frontale transitoire chez de très jeunes enfants autistes suggérant un retard dans la maturation métabolique du lobe frontal chez ces sujets. D’autres études réalisées en PET ont montré une hypoactivité dans le lobe frontal, le préfrontal et le gyrus cingulaire. Deux études ont mis en évidence une hypoperfusion bilatérale dans le lobe temporal centrée principalement sur le sulcus temporal supérieur (lequel est fortement connecté aux régions frontopariétales et limbiques) . Ce résultat a été reproduit récemment en IRM anatomique . Actuellement, de plus en plus de travaux portent sur l’hypothèse d’un défaut de connectivité fonctionnelle entre plusieurs régions cérébrales .

En résumé, de nombreuses données neuroanatomiques convergent vers l’existence d’une perturbation d’un réseau neuronal impliquant cortex temporo-pariétal, système limbique, cervelet et régions préfrontales . Damasio et Maurer avaient suggéré que l’autisme était lié à des perturbations dans ces mêmes régions cérébrales uniquement sur la base d’analogie de signes et de symptômes observés dans des déficits neurologiques adultes.

De nombreuses études en imagerie fonctionnelle ont également permis de préciser les anomalies cérébrales fonctionnelles observées dans l’autisme. Certains résultats seront présentés dans les chapitres ci-après afin de préciser les soubassements neuronaux des fonctions cognitives étudiées dans l’autisme.

Parallèlement aux recherches neurobiologiques, un très grand nombre de travaux ont été menés au cours de ces vingt dernières années pour tenter de mieux comprendre les perturbations cognitives observées chez les personnes autistes. Différentes anomalies cognitives ont été rapportées mais nous allons limiter notre exposé à la description de deux principales hypothèses explicatives à savoir l’hypothèse d’un trouble de la fonction dite de théorie de l’esprit et l’hypothèse d’un déficit des fonctions exécutives.