L’hypothèse d’un trouble de théorie de l’esprit

Définition de la théorie de l’esprit

Le concept de théorie de l’esprit 1 a été introduit par Premack et Woodruff en 1978 dans un article au titre provocant « Does the chimpanzee have a theory of mind » . Leur étude montrait un chimpanzé capable de résoudre différents problèmes en inférant des buts ou des intentions à un personnage. La théorie de l’esprit était alors définie comme la capacité à comprendre, à inférer et à attribuer des états mentaux (désirs, pensées, croyances) à soi-même et à autrui, afin de comprendre et de prédire les comportements. Cette capacité de théorie de l’esprit ou de « mentalisation » permettrait de comprendre ce qu’une personne pense, croit, désire, dans une situation donnée, et donc d’anticiper sur ce que cette personne va faire ou dire. Un exemple donné par Baron-Cohen :

‘« Joe et Tim regardaient les enfants dans la cour de récréation. Sans dire un mot, Joe touche l’épaule de Tim et regarde la petite fille qui joue dans le bac à sable. Ensuite il regarde Tim et sourit. Tim acquiesce et tous les deux rejoignent la petite fille dans le bac à sable.’ ‘En tant que lecteur de l’esprit, nous interprétons d’emblée la situation en termes mentalistes. Par exemple, on peut avoir une lecture sinistre de la situation : « Peut-être que Joe et Tim ont projeté de faire quelque chose de mal à l’un des enfants. Joe voulait faire comprendre à Tim que leur victime serait la petite fille dans le bac à sable et il a indiqué ceci par la direction de son regard. Tim a décodé l’intention de Joe et acquiescé pour dire à Joe qu’il avait compris son plan. Puis ils sont allés trouver la petite fille qui ne savait pas ce qui allait se passer. »’

La question de la présence ou non d’une capacité de théorie de l’esprit dans d’autres espèces que l’espèce humaine a suscité et suscite encore beaucoup de travaux. Il semblerait que certaines espèces de grands singes parviennent à un certain niveau de compréhension de la pensée d’autrui sans posséder pour autant une capacité de théorie de l’esprit aussi complexe et développée que l’être humain .

Au-delà de cette question d’une fonction spécifique ou non à l’espèce humaine, les chercheurs en psychologie de l’enfant se sont rapidement intéressés au développement et aux mécanismes de cette fonction cognitive chez l’être humain. La première recherche dans ce domaine a été proposée par Wimmer et Perner et il s’agissait de tester la capacité des enfants à attribuer une fausse croyance. La scène était jouée avec des poupées et des jouets et l’histoire suivante était racontée à l’enfant :

Pour répondre correctement, l’enfant doit comprendre et attribuer à la poupée Maxi la fausse croyance que le chocolat est dans la boîte bleue. Cette croyance est fausse mais elle est aussi différente de celle de l’enfant puisque ce dernier sait que le chocolat est dans la boîte verte. La plupart des enfants de moins de 4 ans échouent cette tâche de fausse croyance affirmant que Maxi va chercher le chocolat dans la boîte où il est réellement. En revanche, les enfants de plus de 4 ans réussissent à attribuer une fausse croyance à Maxi : ils sont capables de se représenter ce que pense, croit la poupée Maxi et de prédire son comportement en conséquence.

A la suite de cette recherche originale de nombreuses réplications et variantes ont été développées. Une méta-analyse regroupant 178 études a démontré qu’il existait un changement important dans la compréhension de la fausse croyance entre 3 et 5 ans .Cette question de la compréhension de la fausse croyance est centrale dans les recherches sur la théorie de l’esprit car elle est souvent considérée comme LE marqueur de cette capacité : les enfants ont une théorie de l’esprit efficace s’ils réussissent une tâche de fausse croyance. Cependant, comme nous le verrons plus tard, la réussite ou non à une tâche de fausse croyance peut dépendre de nombreux facteurs autres que la théorie de l’esprit. D’autre part, la fausse croyance n’est pas le seul état mental existant et l’étude d’autres états mentaux suggère un développement graduel de cette capacité qui se caractérise de manière différente à différents âges .

Notes
1.

Nous réserverons le terme de « théorie de l’esprit » pour désigner la capacité à attribuer des états mentaux et à prédire les comportements d’autrui sur la base de leurs états mentaux, sans faire référence à aucune théorie particulière du comment fonctionne cette capacité. Nous n’utiliserons pas ce terme de « théorie de l’esprit » pour parler de l’approche qui considère l’existence d’une théorie naïve pour guider l’interprétation du comportement d’autrui. Nous parlerons alors de théorie-théorie et cette approche fera l’objet d’un paragraphe dans les pages à venir.