Développement de la théorie de l’esprit

Pendant la première année de vie, les enfants développent des capacités importantes pour la compréhension de l’action d’autrui. Selon Gergely et Csibra , la capacité des jeunes enfants à se représenter des actions dirigées vers un but dépendrait d’un raisonnement téléologique. Un tel raisonnement n’impliquerait pas l’attribution d’états mentaux mais les explications d’actions en termes d’états mentaux seraient des extensions théoriques des explications téléologiques. Ils considèrent ce raisonnement téléologique comme un « non mentalistic precursor of the young child’s later emerging causal theory of mind ». La distinction entre des mouvements biologiques et mécaniques, la perception d’agentivité, la représentation de l’action et des buts des agents sont des prérequis importants pour la compréhension et la représentation des intentions.

Dès 6 mois, les enfants semblent raisonner de manière différente à propos des personnes et des objets et plus particulièrement ils peuvent apprécier que les personnes ou du moins les agents se déplacent de manière autonome . Ils peuvent donc distinguer des actions humaines et des mouvements d’objets et, quand ils regardent une personne saisir un objet, ils prêtent une attention particulière à la relation entre la personne et l’objet .

Gergely et al. et Csibra et al. ont montré qu’entre 9 et 12 mois, les enfants sont capables de se représenter le but d’un agent et les moyens utilisés pour atteindre ce but. Le paradigme utilisé consistait à habituer les enfants à un événement au cours duquel un petit cercle s’approchait à plusieurs reprises d’un grand cercle en sautant par-dessus un rectangle. Pendant la phase de test, le rectangle était enlevé et les enfants étaient surpris si le petit cercle reproduisait le même parcours pour rejoindre le grand cercle (c’est-à-dire en sautant, alors que le rectangle n’était plus là), mais ils ne l’étaient pas si le petit cercle prenait un parcours nouveau mais plus court et direct (en allant tout droit vers le grand cercle). Cela suggère que les enfants de moins d’un an interprètent les actions comme étant dirigées vers un but, ils évaluent l’action qui sera le moyen le plus efficace pour atteindre le but et ils s’attendent que l’agent utilise le moyen le plus efficace pour atteindre ce but.

Dès 12 mois, les enfants sont également capables de relier deux actions dans une séquence dirigée vers un but sur la base des liens causaux entre les deux actions et ils traitent des objets comme des agents intentionnels sur la base de leurs comportements d’interaction (capacité de perception et d’attention, capacité de communication, comportement dirigé vers un but) .

Les premières manifestations de la capacité de mentalisation apparaissent véritablement vers 18 mois, notamment avec la capacité de faire semblant . La capacité d’attention conjointe se développe également vers cet âge : l’enfant devient capable de diriger son attention sur l’objet qu’un adulte est en train de montrer du doigt ou de regarder, même quand cet objet n’est pas toujours directement visible. Meltzoff a montré que vers 18 mois, les enfants pouvaient imiter des actions intentionnelles même si le but de ces actions n’était pas achevé. Après avoir vu un adulte échouer plusieurs fois à atteindre le but d’une action, les enfants de 18 mois étaient en effet capables d’inférer le but de l’action (but qu’ils n’avaient jamais vu être réalisé) et de reproduire l’action complètement. Ils n’imitaient pas seulement ce qu’ils avaient vu mais ils inféraient ce que l’adulte avait l’intention de faire et le produisaient. Plus récemment, Csibra et al. ont mis en évidence cette capacité à inférer le but d’une action inachevée chez des enfants âgés de 12 mois.

Vers 2 ans, les enfants peuvent comprendre des états mentaux simples tels que le désir : ils prennent en compte le désir d’autrui pour prédire et attribuer les actions et réactions . A partir de 3 ans, les enfants acquièrent une compréhension des croyances des autres. C’est vers cet âge que les enfants commencent à réussir les tests de fausse croyance de 1er ordre, comme nous l’avons précédemment décrit. Par ailleurs, ils saisissent la différence entre les entités mentales et les entités physiques, ils utilisent de plus en plus de mots qui se réfèrent à des états mentaux (« je pense », « je sais ») et ils commencent à comprendre la différence entre savoir, penser et deviner.

Après 5 ans, les enfants se montrent capables de comprendre que les autres peuvent eux aussi se représenter des états mentaux. C’est vers cet âge que les enfants réussissent les tests de fausse croyance de 2nd ordre  : par exemple, Marie croit que Jean pense que l’objet est dans telle boîte. Ils comprennent aussi des états mentaux plus complexes comme l’ironie, le mensonge.

Beaucoup considèrent que les compétences de base de la théorie de l’esprit sont en place vers 5-6 ans et qu’ensuite cette capacité s’enrichit par l’expérience c’est-à-dire en se confrontant à de situations nouvelles et de plus en plus complexes. Cependant, pour d’autres, la théorie de l’esprit n’est qu’une étape dans le développement de la cognition sociale. Selon Thommen , « la compréhension des représentations d’autrui devient une première étape du développement qui amènera l’adolescent à réfléchir en termes relatifs sur les raisons et les circonstances d’une action. Pour Selman, c’est à douze ans que débute la compréhension par l’enfant du fait que ses propres actions peuvent être motivées par quelque chose qu’il ignore. Il engage des relations avec autrui en fonction de perspectives abstraites, de partages d’intérêts culturels ou symboliques. La personne devient cet être complexe inséré dans de nombreuses interactions sociales ou l’inter-individuel et l’intra-individuel se conjuguent ». Thommen cite les travaux de Selman qui repère cinq grandes étapes du développement de la cognition sociale : (a) indifférenciation du psychologique et du physique à 3 ans ; (b) représentation de la pensée de l’autre à 5 ans ; (c) récursivité et relativité des points de vue à 8 ans (l’enfant peut réfléchir sur sa propre pensée et se rendre compte que les autres peuvent en faire de même, il comprend que quelqu’un peut accomplir une action qu’il n’a pas forcément voulue, il comprend la réciprocité des pensées et des croyances et non seulement celle des actions) ; (d) théorisation d’autrui à la troisième personne à 12 ans (l’adolescent considère la personne comme un système stable d’attitudes et de valeurs dans le temps et est capable de réfléchir simultanément sur les intentions, les actions et leurs conséquences sur autrui), et finalement (e) compréhension de l’idée d’inconscient et de relation interpersonnelle au niveau culturel et social à 15 ans.

Après avoir précisé les étapes de développement de la capacité de théorie de l’esprit, nous allons passer en revue différents modèles et théorisations proposés pour comprendre ce développement.