Modèles et théorisations sur le développement de la théorie de l’esprit

Les architectures modulaires

Le principe de ces modèles est que la théorie de l’esprit repose sur un module cognitif spécifique et inné : la théorie de l’esprit serait déterminée par des traitements spécialisés c’est-à-dire qui ne s’appliquent pas à d’autres domaines cognitifs et qui peuvent être sélectivement perturbés.

Premack et Premack distinguent 3 systèmes. Le système intentionnel constitue le premier niveau et est activé par des mouvements autonomes, dirigés vers un but et automatiquement interprétés comme intentionnels. Le deuxième système, appelé système social, est activé par les interactions entre des objets intentionnels c’est-à-dire par les représentations formées par le système intentionnel. Il permet d’attribuer des attributs positifs et négatifs à ces interactions. Les représentations du système social sont envoyées à un système de théorie de l’esprit qui explique les interactions en termes d’états mentaux.

Leslie propose un modèle de la compréhension de l’agentivité et postule l’existence de trois modules. Le premier module ToBy (« Theory of Body Mechanism ») se met en place vers 3-4 mois et permet à l’enfant de reconnaître que les agents ont une source interne d’énergie qui rend possible les déplacements auto-propulsés, autonomes. Les deux autres modules traitent les propriétés intentionnelles des agents plutôt que leurs propriétés mécaniques. ToMM1 (« Theory of Mind Mechanism system1 ») se développe vers 6-8 mois et permet à l’enfant de considérer les personnes et les agents comme pouvant percevoir l’environnement et réaliser des buts. Le troisième module, ToMM2 (« Theory of Mind Mechanism system2 ») se développe pendant la seconde année de vie et permet à l’enfant de se représenter les agents comme possédant des états mentaux. Au cours du développement, ces trois modules sont distincts et organisés de manière hiérarchique : ToBy fournit les entrées à ToMM1 et ToMM1 fournit les entrées à ToMM2.

Les deux modules de ToMM sont indispensables à la capacité de faire semblant, pour comprendre le faire semblant d’autrui et attribuer des états mentaux, et sont indépendants des mécanismes liés au développement d’autres types de représentations n’impliquant pas les états mentaux (photographies, cartes, graphiques).

Néanmoins, selon Leslie et collaborateurs , ToMM doit être supplanté par un autre mécanisme quand l’enfant doit sélectionner le contenu correct des états mentaux, notamment quand l’enfant doit sélectionner le contenu correct des croyances qui sont fausses. Ainsi, pour réussir les tâches de fausse croyance, ToMM identifie spontanément au moins deux croyances possibles : une croyance vraie (la localisation réelle de l’objet) et une croyance fausse. Un mécanisme de sélection (SP, « Selective Processor ») est alors nécessaire pour permettre à l’enfant d’inhiber la réponse la plus saillante basée sur la localisation réelle de l’objet. SP est un mécanisme exécutif non modulaire, dont la fonction est d’inhiber des réponses saillantes mais non pertinentes. Ce mécanisme ne serait pas fonctionnel avant l’âge de 4 ans. Cela implique d’une part qu’avant 4 ans, les enfants pourraient réussir des tâches de théorie de l’esprit n’impliquant pas SP ; et d’autre part que les enfants de moins de 4 ans ne réussissent pas les tâches classiques de fausse croyance, non pas par manque de théorie de l’esprit, mais parce que le mécanisme de sélection n’est pas fonctionnel.

Baron-Cohen propose un autre modèle composé de trois modules précoces et constitutifs d’un dernier module de théorie de l’esprit (ToMM). Il distingue un détecteur d’intentionnalité (ID, « Intentionality Detector »), un détecteur de la direction des yeux (EDD, « Eye Direction Detector ») et un mécanisme d’attention partagée (SAM, « Shared Attention Mechanism »). Les deux premiers modules sont élémentaires, perceptifs et disponibles dès la naissance. Le détecteur d’intentionnalité permet d’interpréter les stimuli qui agissent de manière autonome en termes d’états mentaux volitionnel de but et de désir. Il rapproche ce mécanisme des mécanismes ToBy et ToMM1 décrits par Leslie. Le détecteur de la direction des yeux permet de détecter la présence des yeux, d’évaluer la direction des yeux et surtout d’interpréter les stimuli en termes de ce que voit l’agent : si un agent a les yeux dirigé vers un objet, alors il voit cet objet. Ces deux premiers modules sont nécessaires au développement du module SAM (vers 12-18 mois) qui est plus complexe et dont la fonction est de créer des représentations triadiques c’est-à-dire de préciser les relations entre le sujet, une autre personne et un objet (qui peut être une troisième personne). Il permet également de relier EDD à ID : la direction du regard peut être interprétée en termes de désirs et de buts. Le dernier module ToMM se développe (de 18 à 48 mois) à partir des représentations triadiques de SAM et les convertit en métareprésentations.