Hypothèse d’un trouble de théorie de l’esprit dans l’autisme

Données expérimentales

En 1985, Baron-Cohen, Leslie et Frith ont adapté le paradigme de fausse croyance de Wimmer et Perner et l’ont proposé à des enfants autistes, des enfants avec retard mental non autistes et des enfants normaux. La scène jouée impliquait deux poupées, Sally et Anne, qui avaient chacune un récipient. Sally mettait une balle dans son panier et sortait. Anne prenait la balle de Sally et la déposait dans sa boîte. Sally revenait et on demandait à l’enfant où est-ce que Sally allait chercher sa balle ? Les résultats ont montré que 85 % des enfants normaux, 86 % des enfants avec retard mental mais seulement 20 % des enfants autistes répondaient correctement. La plupart des enfants autistes avaient donc des difficultés pour inférer l’état mental (ici la croyance) d’une personne. Une autre étude a montré que si certains enfants autistes réussissaient les tâches de fausse croyance de premier ordre, très peu réussissaient celles de deuxième ordre reposant sur l’inférence d’états mentaux imbriqués (c’est-à-dire inférer l’état mental d’une personne à propos de l’état mental d’une autre personne, du type Marie croit que Jean pense que…) .

Depuis ces expériences princeps, des difficultés de théorie de l’esprit chez les autistes ont été démontrées dans de nombreuses études reposant sur des paradigmes divers, adaptés à l’âge mental et explorant des états mentaux variés et autres que la fausse croyance (voir Tableau 1). Par exemple, les enfants autistes ont des difficultés à distinguer des événements physiques et mentaux, à comprendre que des émotions peuvent être la conséquence d’états mentaux complexes (tels que des croyances), à comprendre la tromperie. Leur lexique de termes référant à des états mentaux (comme penser, savoir, espérer, souhaiter) est limité, tant sur le plan expressif (discours spontané) que sur le plan réceptif (en reconnaissance). Ils ont des difficultés à inférer des états mentaux à partir de la direction et de l’expression du regard. Ils sont peu capables de jeux symboliques et de faire semblant.

Tableau 1. Quelques tests de théorie de l’esprit échoués par les enfants autistes.
1 Distinction mental – physique Baron-Cohen, 1989a
2 Compréhension des fonctions de l’esprit Baron-Cohen, 1989a
3 Distinction apparence – réalité Baron-Cohen, 1989a
4 Fausse croyance de 1er ordre Baron-Cohen et al. 1985, 1986; Leekam et Perner 1991; Perner et al. 1989; Reed et Peterson 1990; Swettenham 1996; Swettenham et al. 1996
5 « Voir c’est savoir » Baron-Cohen et Goodhart 1994; Leslie et Frith 1988
6 Reconnaissance de termes exprimant des états mentaux (penser, savoir, imaginer) Baron-Cohen et al. 1994
7 Production spontanée de termes exprimant des états mentaux Baron-Cohen et al. 1986; Tager-Flusberg 1992
8 Jeu de faire semblant Baron-Cohen 1987; Lewis et Boucher 1988; Ungerer et Sigman 1981; Wing et Gould 1979
9 Compréhension que les émotions peuvent être liées à des états mentaux complexes (croyances) Baron-Cohen 1991; Baron-Cohen et al. 1993
10 Inférence d’états mentaux simples à partir de la direction du regard Baron-Cohen et Cross 1992; Baron-Cohen et al. 1995
11 Monitoring de ses propres intentions Phillips et al. 1998
12 Tromperie Baron-Cohen 1992; Sodian et Frith 1992; Yirmiya et al. 1996
13 Compréhension de l’ironie, des métaphores et des sarcasmes Happé, 1993
14 Analyse de la pragmatique du discours Baron-Cohen 1988; Tager-Flusberg 1993
15 Reconnaissance de violations de règles de la pragmatique Surian et al. 1996
16 Imagination Scott et Baron-Cohen 1996
17 Corrélation avec les compétences sociales Frith et al. 1994
18 Fausse croyance de 2nd ordre Baron-Cohen 1989b; Bowler 1992; Happé 1993; Ozonoff et al. 1991
19 Compréhension d’histoires impliquant des états mentaux complexes Happé 1994
20 Décodage d’états mentaux complexes à partir de l’expression du regard Baron-Cohen et Hammer 1997; Baron-Cohen et al. 1997a,b

Données tirées de Baron-Cohen, S. . Les références des études citées dans ce tableau sont fournies en Annexe 1.

A partir de ces données, l’hypothèse d’un déficit spécifique et primaire dans la capacité de théorie de l’esprit chez l’enfant autiste a été proposée. Un tel déficit permettrait de rendre compte des principaux troubles des relations sociales, de la communication et de symbolisation observés dans l’autisme .

Si les personnes autistes ne saisissent pas l’effet de leur comportement sur celui d’autrui, s’ils n’ont pas conscience que les autres et eux-mêmes sont des êtres capables de mentalisation, alors leurs interactions sociales seront entravées. Cependant tout le champ des interactions sociales n’est pas forcément atteint : seuls les comportements sociaux nécessitant la mentalisation seraient perturbés.

Les problèmes de langage observés dans l’autisme concernent principalement le domaine de la communication et les aspects pragmatiques du langage. Ceux-ci peuvent s’expliquer par une incapacité à comprendre le sens du message et les intentions du locuteur. Ainsi les personnes autistes ont des difficultés importantes à comprendre les métaphores ou l’ironie et ont tendance à tout prendre au sens littéral.

Le déficit de symbolisation serait la conséquence d’une difficulté à attribuer et à représenter des états mentaux non directement en lien avec la réalité et même opposés à la réalité.

Selon Georgieff , cette hypothèse d’un défaut de théorie de l’esprit s’est avérée féconde pour la compréhension de la clinique de l’autisme offrant « une relecture des anomalies de la représentation de soi, d’autrui, et de la distinction entre soi et le monde objectal ou autrui, de l’absence des jeux symboliques et de faire semblant, toutes anomalies largement étudiées déjà en psychologie clinique en termes d’identité et d’intersubjectivité. »