Déficit de théorie de l’esprit comme déficit primaire ?

Un déficit primaire peut être considéré comme la cause cognitive proximale des différentes perturbations comportementales caractéristiques d’une pathologie. Pennington et Ozonoff ont précisé certains critères définissant un déficit primaire :

Si nous considérons l’hypothèse d’un déficit primaire de théorie de l’esprit dans l’autisme, au vu de ces critères plusieurs limitations apparaissent.

Premièrement, le déficit en théorie de l’esprit dans l’autisme manque d’universalité. Si la théorie de l’esprit est un trouble universel dans l’autisme, comment expliquer qu’un nombre significatif de personnes autistes soit capable de réussir les tests de fausse croyance ou d’autres tests de théorie de l’esprit ? Selon les études, 15 à 60 % des autistes réussissent les tâches de fausse croyance. Ces enfants qui réussissent sont souvent plus âgés et ont de meilleures capacités verbales que ceux qui échouent, mais ils présentent malgré tout d’importantes difficultés dans la compréhension de situations sociales. Happé a montré une corrélation importante entre la réussite aux tâches de fausse croyance et l’âge mental verbal. Selon Baron-Cohen, certains sujets autistes pourraient développer des capacités de mentalisation sans pour autant atteindre un niveau correspondant à leur âge réel ou utiliser des stratégies compensatrices qui restent néanmoins peu automatiques et moins efficaces.

Deuxièmement, le déficit en théorie de l’esprit ne semble pas spécifique à l’autisme. Des déficits dans les tâches de théorie de l’esprit ont été mis en évidence dans la schizophrénie , chez des enfants avec retard mental , des enfants sourds de naissance , des enfants porteurs d’une trisomie 21 ou d’un syndrome de Williams-Beuren . Les partisans de la théorie de l’esprit considèrent que les problèmes observés dans ces autres pathologies sont souvent moins sévères et plus subtiles, parfois liés au retard global et particulièrement verbal, parfois la conséquence d’autres troubles cognitifs. En effet l’échec dans les tâches de théorie de l’esprit est souvent corrélé avec d’autres déficits en particulier des déficits exécutifs. Est-ce que les déficits en théorie de l’esprit observés dans ces autres pathologies sont de même nature ou non que ceux observés dans l’autisme ? A notre avis, la réponse à cette question demande un nombre plus important d’études et une comparaison directe entre sujets autistes et autres pathologies.

Ces deux premières critiques soulèvent le problème des tâches de fausse croyance . Nous avons vu que les tâches de fausse croyance sont considérées comme des tâches classiques, standards pour évaluer les capacités de théorie de l’esprit. Cependant, les tâches de fausse croyance sont des tâches complexes qui ne mesurent qu’un aspect de la théorie de l’esprit et dont la réussite peut dépendre d’autres fonctions que la théorie de l’esprit (compréhension syntaxique, mémoire, raisonnement, fonctions exécutives). Ainsi, de nombreuses études ont tenté de simplifier les tâches de fausse croyance en modifiant par exemple la forme des questions ou en simplifiant les demandes attentionnelles et mnésiques. De telles modifications contribuent à accroître la réussite des sujets dans ce type de tâche et on observe une réussite à des âges plus précoces. Une étude récente de Onishi et Baillargeon montrent ainsi une forme implicite de compréhension de la fausse croyance chez des enfants normaux dès 15 mois.

Leslie et collaborateurs soulignent eux-mêmes l’importance des processus d’inhibition dans la réussite des tâches de fausse croyance chez les enfants normaux, hypothèse reprise et confirmée par de nombreuses données .

Enfin, bien que la théorie de l’esprit permette de rendre compte de nombreux symptômes observés dans l’autisme, en particulier ceux concernant la cognition sociale et la communication, certaines limites apparaissent. En effet, le mécanisme de théorie de l’esprit tel que décrit par les approches modulaires n’est fonctionnel que vers l’âge de 4 ans, or des perturbations comportementales sont observées dès le plus jeune âge chez les enfants autistes. Par exemple dès la première année les enfants autistes ont des difficultés d’interactions sociales, manquent de sourire social, d’expressions faciales et de réponses émotionnelles appropriées.

En outre, le déficit de théorie de l’esprit explique difficilement les autres symptômes de nature non sociale et pourtant caractéristiques de l’autisme (les comportements restreints et stéréotypés, les intérêts limités, les écholalies, les capacités cognitives supérieures dans certains domaines). Selon les partisans de la théorie de l’esprit, ces troubles sont moins spécifiques de l’autisme et pourraient être la conséquence d’un déficit associé. Frith a ainsi proposé l’hypothèse d’un trouble d’intégration des informations perceptives afin de rendre compte des excellentes capacités visuospatiales observées dans l’autisme. Selon Frith, les autistes présenteraient un déficit de cohérence centrale c’est-à-dire un avantage dans le traitement des informations locales associé à des difficultés relatives dans le traitement et l’intégration des informations à un niveau global. De telles difficultés perceptives ont été démontrées dans les domaines de la perception auditive, de la perception visuelle (tâches visuospatiales, illusions visuelles, perception du mouvement, etc.) et du langage (traitement sémantique) . Au vu de certains résultats, l’hypothèse d’un déficit de cohérence centrale a été modifiée dans le sens où il apparaît que les autistes sont tout à fait capables de traiter les informations à un niveau global mais contrairement aux sujets normaux ils présenteraient une supériorité et une antériorité du traitement local sur le traitement global. Par ailleurs, d’abord considérée comme un déficit explicatif des troubles sociaux, cette hypothèse de cohérence centrale semble plutôt être un déficit associé à d’autres troubles plus primaires notamment à un déficit en théorie de l’esprit.

Au regard de ces nombreuses critiques, certains auteurs se sont intéressés à d’autres perturbations fondamentales dans l’autisme et plus particulièrement à un trouble des fonctions exécutives.