Déficit des fonctions exécutives comme déficit primaire ?

Nous avons montré qu’un nombre important de données convergent vers l’existence d’un déficit exécutif dans l’autisme et certains ont proposé qu’un tel déficit pourrait être primaire. Nous allons donc reprendre les critères d’un déficit primaire tels que définis par Pennington et Ozonoff .

Premièrement, en ce qui concerne la question de l’universalité de ce déficit, nous avons déjà souligné que des troubles exécutifs ont été observés à tous les niveaux d’âge et de développement. Des anomalies des fonctions exécutives ont même été observées chez des parents de sujets autistes .

Toutefois, il paraît important de préciser les différentes perturbations exécutives possibles et d’étudier leur expression au cours du développement. En effet la nature des déficits exécutifs dans l’autisme semble varier avec le niveau de développement. C’est-à-dire qu’un déficit particulier observé pendant l’enfance peut évoluer et s’exprimer de manière différente à un âge plus avancé. Par exemple, des déficits d’inhibition motrice sont souvent rapportés chez les jeunes enfants autistes, alors qu’ils ne sont pas observés chez des adolescents autistes non retardés, ces derniers présentant plutôt des difficultés de flexibilité et de planification.

Si les fonctions exécutives se développent chez l’enfant normal de la petite enfance jusqu’à l’adolescence et même au-delà, quelle est la courbe de développement de telles fonctions en cas de perturbation ? Est-ce que le développement est anormal ou simplement retardé sans jamais atteindre le niveau de maturité ? Est-ce que le développement de toutes les fonctions exécutives est pareillement perturbé ?

Deuxièmement, les déficits exécutifs semblent peu spécifiques de l’autisme car ils sont observés dans d’autres pathologies comme par exemple dans le trouble d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou le syndrome de Gilles de la Tourette. Cependant nous allons avancer quelques arguments qui permettent de ne pas s’arrêter à cet apparent manque de spécificité.

Tout d’abord, la majorité des tâches exécutives classiques sont des tâches complexes et multidéterminées c’est-à-dire qu’elles impliquent une multitude de sous-processus. Par exemple, des difficultés dans l’épreuve du WCST peuvent être liées à des problèmes de compréhension des exigences de la tâche, à un déficit de flexibilité comportementale, à une difficulté à utiliser les feedbacks de l’examinateur, à un déficit dans la conceptualisation des règles de classement, à des difficultés de maintien en mémoire des règles, à une difficulté à inhiber des réponses persévératives ou non pertinentes, etc. Cette complexité des épreuves exécutives augmente leur sensibilité à un dysfonctionnement frontal mais elle complique l’analyse des perturbations sous-jacentes. Ainsi les échecs à une même tâche pourraient être expliqués par des causes différentes suivant les pathologies considérées.

Par ailleurs, certaines études ont montré des patterns distincts de déficits exécutifs selon les groupes : les autistes présenteraient davantage de difficultés en flexibilité, mémoire de travail et planification, alors que les enfants TDAH auraient essentiellement des déficits d’inhibition et de maintien de l’attention . La confrontation de différentes populations au moyen d’un ensemble bien différencié et hiérarchisé de tâches évaluant diverses composantes exécutives permettrait de mieux préciser des profils distincts de troubles exécutifs. Mais pour cela il est indispensable de contrôler l’existence de comorbidité dans les pathologies étudiées. En effet très peu d’études semblent avoir tenu compte de la présence possible de pathologies associées (par exemple, des enfants autistes présentant un TDAH), et dans ce cas comment comprendre ce qui est spécifique à l’autisme ou ce qui est commun à une association de troubles neurodéveloppementaux.

Il se peut également que des pathologies distinctes présentent un déficit central des fonctions exécutives mais que celui-ci soit lié à des mécanismes cérébraux différents. Pennington et Ozonoff suggèrent par exemple : (a) des différences de sévérité dans une perturbation frontale ; (b) des différences dans le moment de survenue de la perturbation au cours du développement cérébral ; (c) une perturbation de différentes parties du cortex préfrontal ; (d) une perturbation frontale associée à une atteinte localisée ou diffuse, d’une ou plusieurs autres régions cérébrales selon les pathologies.

Enfin si les liens entre troubles exécutifs et comportements restreints, répétitifs et stéréotypés ont déjà été abordés, une question demeure : est-ce que les troubles exécutifs peuvent rendre compte des autres symptômes caractéristiques de l’autisme ?

Il apparaît que de nombreuses données attribuées à un défaut de cohérence centrale peuvent être expliquées par un déficit exécutif . La tendance à traiter préférentiellement les informations à un niveau local pourrait être la conséquence d’un problème de « shifting » entre les niveaux local et global. Plusieurs tâches visuospatiales impliquent d’inhiber les informations d’un niveau afin de traiter efficacement celles à un autre niveau. Un trouble de mémoire de travail pourrait orienter les traitements vers de plus petites unités d’informations. Des déficits de planification pourraient entraîner un traitement fragmentaire dans certaines tâches. La cohérence centrale impliquerait donc des processus exécutifs mais elle ne peut pas pour autant être réduite à cela. Les études s’intéressant aux interactions entre fonctions exécutives et cohérence centrale sont encore peu nombreuses, ce qui limite les interprétations sur ce point.

Qu’en est-il des liens entre déficits exécutifs et troubles des interactions sociales et de la communication ? Pour certains, le développement de l’attention conjointe est associé à la maturation des lobes frontaux, des déficits d’attention conjointe étant fréquemment rapportés chez les enfants fronto-lésés. D’autre part, il apparaît qu’il existe une forte corrélation entre attention conjointe et flexibilité cognitive chez les enfants normaux et chez les enfants autistes .

Sur le plan de la communication verbale, des anomalies typiques comme les écholalies, les inversions pronominales, la rigidité et la persévération des mêmes thèmes pourraient être rattachées à un défaut de contrôle exécutif.

Le jeu de faire semblant, habituellement déficitaire dans l’autisme, implique une distanciation par rapport à la réalité et d’inhiber temporairement les plans d’actions évoqués par les objets et de générer un plan d’action différent .

L’imitation requiert de prêter attention, de maintenir en mémoire et de reproduire la séquence de mouvements ou d’actions réalisée par le modèle. Or nous avons déjà souligné que pour de nombreux auteurs, les capacités imitatives jouent un rôle crucial dans le développement des relations sociales et interpersonnelles . Donc un trouble précoce de l’imitation, consécutif d’un dysfonctionnement exécutif, entraînerait une cascade de déficits touchant la sphère des interactions sociales.

Il apparaît que ces fonctions d’attention conjointe, de faire semblant et d’imitation sont classiquement considérées comme des précurseurs de la capacité de théorie de l’esprit. La question est de savoir si l’atteinte de ces différentes fonctions est liée à un trouble exécutif ou un trouble métareprésentationnel, c’est-à-dire lequel des deux déficits, théorie de l’esprit ou fonctions exécutives, est primaire dans l’autisme.