Les précurseurs de la théorie de l’esprit

Nous avons vu dans les différents modèles et théorisations que la capacité de théorie de l’esprit dépendait du développement d’autres fonctions plus bas niveau, de précurseurs. Toutefois avant de pouvoir avancer l’hypothèse d’un trouble primaire au niveau de la théorie de l’esprit dans l’autisme, il nous semble indispensable de s’assurer de l’intégrité de tous les précurseurs de cette capacité. En effet, si un trouble est observé dans l’autisme au niveau d’un ou plusieurs précurseurs, le déficit en théorie de l’esprit apparaît comme secondaire, comme une conséquence d’un déficit plus bas niveau.

Un certain nombre de travaux se sont intéressés aux aspects émotionnels, à la perception du regard, à l’attention conjointe mais peu se sont préoccupés des aspects liés à l’action. Or, nous pouvons remarquer l’importance de l’action dans les différents modèles et théorisations de la théorie de l’esprit et nous nous étonnons que ce niveau ait été peu étudié dans l’autisme.

Dans leur modèle respectif, Baron-Cohen et Leslie situent le déficit des sujets autistes au niveau du dernier module, le module de théorie de l’esprit. Or, dans le modèle de Baron-Cohen , des perturbations sont par exemple observées dès le module d’attention partagée. Par ailleurs, il nous semble que le nombre d’arguments en faveur de l’intégrité du module ID (détecteur d’intentionnalité) est insuffisant et nous nous interrogeons sur la pertinence des études rapportées qui ont essentiellement exploré la compréhension du désir sans tenir compte de l’aspect très élémentaire et perceptif de ce module. En effet, ID est un mécanisme qui fonctionne sur une base sensorielle et qui permet « d’interpréter tout ce qui a mouvement propre ou tout ce qui produit un son non aléatoire comme un agent avec des objectifs et des désirs » . Plusieurs études ont mis en évidence des difficultés chez des sujets autistes dans un paradigme considéré par Baron-Cohen lui-même comme un indice de fonctionnement de ID. Ce paradigme est basé sur le travail de Heider et Simmel et consiste à présenter aux sujets des formes géométriques se déplaçant les unes par rapport aux autres. Les sujets normaux ont tendance à interpréter ces mouvements en termes volitionnels et intentionnels. Face à ce type de matériel, les descriptions données par les personnes autistes sont apparues moins précises et moins adaptées .

Beaucoup s’accordent pour suggérer que la capacité de mentalisation a évolué à partir d’un système de représentation de l’action . Mais la possibilité d’un déficit au niveau de ce système dans l’autisme a été peu étudiée, à l’exception de l’imitation. Des difficultés d’imitation dans l’autisme sont en effet fréquemment rapportées . Les troubles observés sont variés : difficultés d’imitation de postures et de mouvements corporels symboliques ou non symboliques, difficultés d’imitation de gestes séquentiels et d’actions familières ou nouvelles, difficultés d’imitation différée et de mime d’actions, etc.

Pour Rogers et Pennington , les difficultés d’imitation des personnes autistes seraient liées à un défaut dans la coordination des représentations de soi et d’autrui expliqué par les partisans de l’approches simulationniste par un défaut du système miroir. En effet pour Rizzolatti et collaborateurs , le système miroir est directement impliqué dans la compréhension de l’action et l’imitation en permettant la formation et l’intégration des représentations soi-autrui, encore appelées représentations partagées.