Discussion de l’expérience 2

L’objectif de cette étude était d’évaluer la capacité de sujets autistes à segmenter des séquences d’actions dirigées vers un but. Cependant, avant d’interpréter les résultats obtenus chez les autistes, nous allons faire le point sur les performances des enfants et des adultes normaux.

Les résultats de cette étude ont confirmé un certain nombre de données de la littérature. Nous avons montré que les sujets normaux étaient capables de segmenter et d’orienter leur attention sur un niveau ou un autre de la structure des séquences d’actions et cela quel que soit le niveau d’âge. En effet, les sujets réalisaient plus d’appuis quand nous leur demandions de segmenter la séquence en petites unités que lorsqu’ils devaient réaliser une segmentation en unités plus larges. Ce résultat suggère que, pendant la perception d’action, les consignes peuvent influencer la façon dont les informations sont encodées en orientant l’attention sur différents niveaux de la structure hiérarchique des actions. Nous avons également montré que les frontières identifiées coïncidaient fortement entre les unités courtes et les unités plus longues comme mis en évidence des études précédentes .

Ces données ont été observées tant chez les adultes que chez les enfants, suggérant une similitude des stratégies de segmentation. D’autre part, l’établissement du script prototypique a mis en évidence une grande concordance entre les actions identifiées par les enfants et par les adultes. Les scripts définis par les enfants étaient certes moins précis, mais la plupart des actions identifiées par les adultes l’étaient également par les enfants. De même, nous avons souligné le fort degré d’accord entre les enfants et les adultes dans les frontières détectées.

Des différences apparaissent néanmoins entre enfants et adultes. Les enfants, notamment les enfants de 8 ans, avaient quelques faiblesses à affiner leur segmentation car ils avaient tendance à ne pas faire plus d’appuis dans la segmentation fine que dans la segmentation spontanée. Tout se passe comme si dans la condition spontanée, les enfants orientaient immédiatement leur attention vers le niveau le plus bas de la structure de l’événement. Par ailleurs, les enfants de 8 ans faisaient plus d’appuis dans la segmentation en unités larges alors qu’ils n’identifiaient pas plus de frontières correctes pour cette condition que les enfants plus âgés ou les adultes. En d’autres termes, ils incluaient trop d’actions dans la segmentation en unités larges. Cela évoque des difficultés à regrouper les petites unités en unités plus larges, plus importantes.

L’ensemble de ces résultats nous permet de proposer que les enfants et les adultes possèdent des scripts de base identiques mais avec l’expérience et donc avec l’âge, d’une part le nombre d’actions composant les scripts augmente et d’autre part la structure hiérarchique des scripts se complexifie. Thommen avait montré que les stratégies de segmentation devenaient de plus en plus efficaces avec l’âge, mais nous considérons également que les représentations guidant la segmentation deviennent de plus en plus précises et riches avec l’âge. Nos résultats concordent avec ceux obtenus par Hudson et al. suggérant qu’avec l’âge, les scripts incluent une plus grande quantité d’informations et sont utilisés de manière plus efficace et flexible. Grafman avait proposé que soit des représentations complètes pouvaient être stockées dès la petite enfance mais en un nombre limité qui augmentait avec l’expérience ; soit les représentations étaient d’abord composées de quelques événements et avec l’âge, elles devenaient plus complexes et plus longues sur la base de la fréquence de cooccurrence des événements et de l’ordre dans lequel ils se réalisent. Nos résultats vont plutôt dans le sens de cette deuxième possibilité.

Considérons maintenant les résultats dans les groupes pathologiques. Comme les sujets normaux et avec retard mental, les enfants et adultes autistes étaient capables de segmenter et d’orienter leur attention sur un niveau ou un autre de la structure des séquences d’actions c’est-à-dire qu’ils réalisaient plus d’appuis dans la segmentation en unités courtes qu’en unités larges. Seuls les enfants autistes ont montré quelques difficultés pour la séquence moins familière où le passage d’un niveau à un autre d’analyse semblait moins évident. Le fait que le nombre d’appuis variait de manière similaire dans les différents groupes en fonction du type de segmentation, fin ou large, suggère que tous avaient correctement compris la tâche. Nous aurions pu nous attendre à observer des difficultés de shifting d’un niveau d’analyse à un autre chez les sujets autistes, mais le protocole a été élaboré afin de faciliter un tel shifting (délai entre les deux conditions, répétition des consignes et du niveau de segmentation).

En revanche, les sujets autistes, enfants et adultes, présentaient des difficultés à affiner leur segmentation en orientant immédiatement leur attention vers le niveau le plus bas de la structure de l’événement (du fait de l’absence de différence entre la segmentation spontanée et la segmentation en unités fines). Ce profil de performance avait tendance à être observé chez les enfants de 8 ans pouvant suggérer un simple retard chez les sujets autistes. Cependant les sujets avec retard mental ne présentaient pas cette difficulté (excepté les enfants avec retard mental pour la séquence « boire un verre de coca »). De plus, les enfants autistes ont identifié moins d’actions que les enfants normaux tant en segmentation spontanée qu’en segmentation en unités fines et ils détectaient moins de frontières pour les unités fines, suggérant des représentations moins précises, moins riches. Ce faible nombre d’actions et de frontières identifiées était également observé chez les adultes autistes mais leur performance ne différait pas de celle des adultes avec retard mental.

Les résultats ont également montré que les enfants autistes réalisaient plus d’appuis que les enfants normaux dans la segmentation en unités larges alors qu’ils identifiaient autant de frontières correctes suggérant quelques difficultés à regrouper les petites unités en unités plus larges, plus importantes. Ces résultats étaient également observés chez les enfants de 8 ans mais pas chez les enfants avec retard mental.

En revanche, pour la segmentation en unités larges, les adultes autistes réalisaient autant d’appuis et ils identifiaient autant de frontières correctes que les adultes avec retard mental et normaux. Seuls les adultes avec retard mental avaient des difficultés dans l’identification des unités larges : ils réalisaient autant d’appuis que les autres sujets mais identifiaient moins de frontières correctes.

Dans cette étude, les différences significatives étaient essentiellement observées entre les sujets autistes et les sujets normaux, les sujets avec retard mental présentant souvent des performances intermédiaires entre autistes et normaux. Cela peut suggérer un effet du retard mental mais qui n’est pas suffisant pour expliquer l’importance des difficultés présentées par les sujets autistes.

En outre, les difficultés observées chez les sujets autistes ne nous semblent pas liées à un trouble d’attention ou de mémoire car les autistes réussissaient aussi bien que les sujets avec retard mental les tâches de reconnaissance et de rappel libre. Les sujets autistes et avec retard mental avaient tendance à rappeler les événements de manière désorganisée mais surtout pour la séquence non pas la plus longue dans le temps mais contenant une quantité d’informations plus importantes (il y a plus d’actions dans la séquence « se laver les dents »). Cela peut suggérer quelques difficultés de mémoire de travail mais tant chez les autistes que chez les sujets avec retard mental.

En résumé, les sujets autistes étaient capables d’orienter leur attention à différents niveaux d’analyse de la structure hiérarchique des actions : leurs représentations pouvaient influencer leur perception des actions. Par ailleurs, ils semblaient avoir une représentation préservée des buts et des principaux sous-buts (segmentation en unités larges) mais ils présentaient des difficultés plus marquées à produire des scripts fins et précis c’est-à-dire à détecter toutes les actions nécessaires à l’accomplissement des buts et des sous-buts.

Les performances des sujets autistes sont différentes de celles observées chez les patients fronto-lésés et chez les patients schizophrènes qui présentaient au contraire des difficultés pour segmenter les actions en unités larges alors que l’analyse en unités fines semblait intacte. Les autistes présentent donc des perturbations dans la représentation hiérarchique des actions mais à un niveau différent des patients fronto-lésés et schizophrènes. C’est moins la représentation du but que la définition des moyens nécessaires à la réalisation du but qui serait affectée chez les autistes.

Zacks, Tversky et Iyer ont demandé à des adultes normaux de décrire les actions pendant une tâche de segmentation et ils ont montré que les descriptions étaient qualitativement différentes entre la segmentation en unités fines et celle en unités larges. Au niveau le plus large, les descriptions portaient sur des actions impliquant différents objets ou différentes parties importantes d’un objet, alors qu’au niveau le plus fin, les descriptions impliquaient différentes actions réalisées sur un même objet. En d’autres termes, les unités larges seraient « ponctuées » par les objets et les unités fines seraient « ponctuées » par des actions précises sur un même objet. Dans notre étude, les sujets autistes semblent donc avoir plus de difficultés au niveau impliquant la définition d’actions précises et réalisées sur un seul et même objet.

Par ailleurs, selon Byrne , un comportement nouveau, c’est-à-dire qui n’est pas encore dans le répertoire moteur, peut être imité en disséquant ce comportement en une séquence d’actes, de mouvements plus simples qui sont eux déjà mémorisés. Dans cette étude, les anomalies observées chez les autistes portent justement sur la segmentation en unités plus fines et donc peuvent rendre compte de leur difficulté accrue à imiter les gestes sans signification (généralement nouveaux) par rapport à l’imitation d’utilisation d’objets.

Ces résultats peuvent également suggérer que les influences top-down des représentations sont efficaces alors que les mécanismes bottom-up d’extraction des caractéristiques physiques des actions sont perturbés. Or un certain nombre de données ont rapporté des troubles dans certains aspects de la perception visuelle des mouvements qu’il s’agisse du mouvement physique ou du mouvement biologique . Ainsi, les enfants autistes ont une faible réactivité posturale à la vision du mouvement environnemental , des difficultés dans la reconnaissance de mouvements biologiques et dans la détection d’un mouvement cohérent, global dans un ensemble bruité . Ces difficultés perceptives semblent d’autant plus manifestes que le mouvement est rapide .