Panorama de l’histoire des pèlerinages en Terre Sainte

Sur les traces du pèlerin de Bordeaux (333)

Il faut attendre le IVe siècle après Jésus-Christ pour que des pèlerins chrétiens commencent à se rendre à Jérusalem. Les trois siècles précédents furent plutôt ceux de la dispersion, résultat des troubles qui suivirent les révoltes juives de 70 et 135 et de l’hostilité que provoque la nouvelle religion dans cette partie de l’Empire romain. Lorsque après 325, l’empereur Constantin accorde à l’Eglise, non seulement la liberté, mais un régime de faveur, le mouvement pour les Lieux Saints se développe et prend une grande ampleur. Les premiers venus essayent d’abord d’identifier les lieux où le Christ a vécu, et la redécouverte du site le plus prestigieux, le tombeau du Christ, va considérablement augmenter le nombre des pèlerins. Ils pourront prier dans la basilique construite suivant la volonté de l’impératrice Hélène, mère de Constantin, à l’emplacement même où a reposé le corps du Christ.

Le IVe siècle apparaît comme la période où la Palestine se couvre d’un « blanc manteau » d’églises sur tous les sites où on peut rattacher un épisode évangélique. Cette floraison de lieux saints provoque l’affluence d’un grand nombre de pèlerins. Il n’est pas possible d’en connaître le nombre mais Pierre Maraval décrit des foules entières présentes à Jérusalem lors des grandes fêtes chrétiennes :

« Des multitudes de pèlerins qui gagnent Jérusalem, en particulier lors des grandes fêtes, l’Epiphanie, les fêtes pascales ou la Dédicace du Martyrium (le 14 septembre : cette fête deviendra en Occident celle de l’Exaltation de la croix). (…) Ils viennent souvent de loin : non seulement des provinces orientales de l’empire, voire de pays situés hors de ses frontières – Perses, Arméniens, Géorgiens -, mais aussi d’Occident, malgré la longueur et les difficultés de ce voyage » 7 .

L’un des plus anciens récits de pèlerinages dont nous disposons est celui d’un pèlerin de Bordeaux qui a laissé un Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, datant de 333. On suppose qu’il s’agit d’un fonctionnaire impérial. Ce voyageur est un authentique pèlerin, qui se déplace pour voir et vénérer des lieux qu’il tient pour saints. Son texte permet de mieux connaître la physionomie de la Palestine et de Jérusalem en particulier.

L’extrait ci-dessous est l’une des premières descriptions qui nous soit parvenue du tombeau du Christ :

« En sortant du rempart de Sion, et qu’on va vers la porte de Néapolis, il y a sur la droite, un peu plus en bas dans la vallée, des murs : c’est l’emplacement de la maison et du prétoire de Pilate ; c’est là que le Seigneur fut entendu avant de souffrir. Sur la gauche se trouve la petite éminence du Golgotha, où le seigneur fut crucifié. A environ un jet de pierre, se trouve la grotte où fut déposé le corps du Seigneur et où il ressuscita le troisième jour. C’est là que récemment, sur l’ordre de l’empereur Constantin, a été faite une basilique, c'est-à-dire une église, d’une admirable beauté » 8 .

L’intérêt de ce récit réside également dans le fait que ce pèlerin précise toutes les étapes qu’il parcourt, les distances, les relais, ce qui, hormis une énumération parfois fastidieuse, permet d’avoir une meilleure connaissance des routes empruntées et des conditions de son voyage.

Tout au long du premier millénaire chrétien, les pèlerinages se poursuivent, en dépit de l’invasion perse et de la conquête musulmane. La concession du protectorat des Lieux Saints à Charlemagne par le calife de Bagdad, Haroun-al-Raschid, assure pour deux siècles un régime de coexistence pacifique entre musulmans et chrétiens et la venue facilitée des pèlerinages 9 . A la fin du Xe siècle, le protectorat byzantin a remplacé celui de Charlemagne mais la tutelle chrétienne continue, jusqu’aux événements de 1009, où Jérusalem est pillée par les musulmans, le Saint-Sépulcre détruit par les autorités de Syrie. A partir de cette date, les pèlerinages s’organisent comme de véritables expéditions, ce qui fait dire à Paul Alphandéry : 

« Quelque chose est en train de changer, porté par cette puissance magnifique qui fait la volonté du pèlerinage, toutes difficultés vaincues, pour l’accomplissement d’un indispensable salut. La vie religieuse de l’occident a trouvé aux Lieux Saints son centre, et dans l’acte de pèlerinage, l’œuvre suprême de religion, individuelle et de plus en plus collective » 10 .

Le XIe siècle annonce les croisades, tellement les récits décrivent la venue de foules immenses aux Lieux Saints. On note le départ de familles entières, de villages entiers pour Jérusalem. Le moine Glaber, en 1033, note « l’afflux de tout l’univers, vers le Saint-Sépulcre de Jérusalem, d’une multitude si innombrable que personne n’aurait jusqu’alors pu l’imaginer » 11 .

Notes
7.

Pierre Maraval, Les pèlerinages du IVe au VIe siècles, Le Monde de la Bible, n°52, janvier-février 1988.

8.

Pierre Maraval, Le pèlerin de Bordeaux, in Récits des premiers pèlerins chrétiens au Proche Orient (IVe-VIIe siècle), Paris, Editions du Cerf, 1996, p.32.

9.

Une organisation de plus en plus développée se met en place sur les routes de pèlerinage pour accueillir les pèlerins. Au cours des IVe et Ve siècles, ce sont les églises et les monastères du pays qui remplissent ces fonctions. A l’époque byzantine, l’administration impériale recourt à la fondation de xenodochia, des hospices réservés aux pèlerins, où ceux-ci sont logés et nourris, et où ils disposent d’une chapelle pour leurs prières. Cependant, c’est sous le règne de Charlemagne, que de nombreuses donations sont faites pour la création d’hospices, dont le plus important est celui de Jérusalem, baptisé « l’Hôpital de Charlemagne ». Sa vocation est de nourrir et loger les pèlerins mais aussi d’offrir des renseignements sur les LieuxSaints, ainsi que l’accès aux textes sacrés, grâce à la « bibliothèque de Charlemagne ».

10.

Paul Alphandéry, La chrétienté et l’idée de croisade, les premières croisades, Paris, A. Michel, 1954, p.20.

11.

Ibid.