Un dernier point concernant ces pèlerinages romantiques reste à apprécier : la rencontre avec les différentes communautés présentes en Terre Sainte. La connaissance par les Européens des populations orientales reste vague et sujette à de nombreux clichés. Pour de nombreux pèlerins, la plupart des hommes et des femmes rencontrés sont des Arabes ou des bédouins (ils leur sera difficile de faire la distinction) assimilés à la religion mahométane. Dans leurs récits, l’impression qui domine est celle d’un européen supérieur, civilisé face à une population pauvre, sale, à mi-chemin entre l’homme et l’animal. Chateaubriand qui a connu « le sauvage américain » fait une comparaison peu flatteuse pour l’Arabe : « Tout annonce chez l’Américain le sauvage qui n’est point encore parvenu à l’état de civilisation, tout indique chez l’Arabe l’homme civilisé retombé dans l’état sauvage » 45 .
Une fois en Palestine, les pèlerins sont d’abord confrontés à l’autorité du pays, c'est-à-dire les Turcs, qu’ils ne voient que comme une force d’inertie, incapable de gérer les affaires du pays et les populations rebelles. Les gouverneurs semblent mieux considérés par les pèlerins, surtout ceux qui auront la chance d’être reçus par cette autorité. Michaud, en 1830, doit attendre des heures un gouverneur qui ne s’est jamais présenté. Luynes en 1863 fait par contre l’éloge du gouverneur de Jérusalem Izzet Pacha : « Il unit à la bonne grâce et à la politesse des pays les plus civilisés la dignité et le sérieux des Orientaux. Sa déférence pour les étrangers, et surtout les Français, était très marquée, mais sans humilité. Il nous reçut avec un obligeant empressement, notre entretien fut agréable et varié, sans ennui » 46 . Parmi les sujets des gouverneurs ottomans, la population musulmane reste la plus nombreuse et la plus visible. Les Européens auront beaucoup de mal dans leur vocabulaire à faire la distinction entre Arabe, Turc, Musulman ou Oriental, et la plupart du temps ces termes seront utilisés comme des synonymes. Les adjectifs les plus usités pour évoquer les musulmans seront fainéants, oisifs et paradoxalement impulsifs et agressifs. Cette vision est renforcée par la pauvreté de ces êtres, voire les maladies inérentes à cette situation comme le cas le plus douloureux des lépreux. Ainsi, l’incompréhension reste totale entre l’européen fraîchement débarqué et le musulman, dont la vie, la culture, la religion diffère totalement des critères occidentaux.
François René de Chateaubriand, op. cit., p.1013.
Nathalie Clausse, op. cit., p.489.