En 1853 se produit un événement inéspéré, oublié depuis des siècles : l’arrivée en Terre Sainte, terre du Christ, ancien royaume des croisés, d’un pèlerinage de catholiques français. Pourquoi une telle initiative dans une région oubliée de tous les Européens chrétiens qui ont trouvé à Rome la nouvelle source de leur foi ?
En 1847 est réinstauré le Patriarcat Latin de Jérusalem qui avait disparu depuis la fin de la présence franque au XIIIe siècle. Mgr Valerga est le nouveau patriarche de la Ville Sainte. Italien, il s’est illustré à Mossoul où les conditions de vie pour un prêtre catholique furent parfois périlleuses. Ce nouveau patriarche prend ses fonctions en même temps que le consul de France, Paul-Emile Botta, qui fut également en poste à Mossoul, dont l’amitié sera un bien précieux pour la France et le catholicisme dans ces premières années de réinstallation officielle de la religion romaine 51 .
A l’arrivée, en 1848, de Mgr Valerga, la situation est peu encourageante et la tâche immense. Dans une lettre adressée à l’Oeuvre de la Propagation de la Foi de Lyon, en 1849, le secrétaire du patriarcat décrit l’état des lieux :
« La situation morale des catholiques de la Palestine est déplorable. Nulle part ailleurs on ne voit tant de facilité pour menacer de l’apostasie et l’effectuer. Il y a dans le diocèse 4500 latins et autant de grecs et de maronites. Mgr Valerga n’a que deux prêtres latins, un secrétaire avec lui et un second à Bethléem où se trouvent 2000 catholiques latins, il lui faudrait deux prêtres de plus » 52 .
Deux ans plus tard, en 1851, dans une nouvelle lettre à l’Oeuvre de la Propagation de la Foi, le secrétaire du prélat donne des renseignements toujours aussi peu encourageants sur les possibilités d’agir du Patriarche : «Les moyens manquent à Mgr Valerga, le Saint Siège ne lui alloue que ce qui est strictement nécessaire pour vivre d’une manière décente et il lui est impossible de fonder des écoles, de payer des maîtres, d’ouvrir un séminaire pour former un clergé indigène latin, établissement qui seul pourra sauver ici le catholicisme. Pour toutes ces choses qui se rapportent particulièrement à l’apostolat, Mgr Valerga serait obligé de recourir au couvent qui est maître de refuser ou d’accorder ses secours pécuniaires et qui maître également de les retirer tiendrait toujours le Patriarche de Jérusalem sous sa dépendance » 53 .
Cette vision pessimiste du catholicisme en Terre Sainte n’est pas démentie par le consul de France Paul-Emile Botta, qui arrive en poste en 1848 :
« Il faut le dire, l’état du catholicisme dans ce pays-ci est déplorable, pour le peuple c’est une forme et rien de plus parce qu’il est dans l’ignorance la plus profonde, aussi change-t-il de religion avec une insouciance et une facilité dont on ne verrait pas d’exemple dans d’autres parties de l’Orient. Chaque jour pour ainsi dire nous voyons des familles de villages entiers se faire grecs ou arméniens schismatiques si le couvent latin refuse de leur donner de l’argent ou une maison, et ils reviennent avec la même facilité si plus tard ils y trouvent un avantage pour recommencer encore à la première occasion, sauf les exceptions, bien entendu, la religion est ici un trafic » 54 .
Dans cette présentation bien sombre du catholicisme en Terre Sainte, Mgr Valerga réussit à faire venir des congrégations religieuses, et en premier lieu les Sœurs de Saint Joseph de l’Apparition. Cette congrégation française, fondée par Emilie de Vialar en 1832 ouvre des écoles et des orphelinats à Jérusalem et Jaffa, puis un hôpital dans la Ville Sainte. Elle fut ainsi la pionnière de nombreuses congrégations féminines qui suivirent leurs traces 55 .Nous évoquerons plus loin le rôle de cette congrégation dans l’assistance que les sœurs apportèrent aux caravanes de pèlerins, avec en particulier la célèbre Sœur Joséphine.
Suite à la réinstallation du Patriarcat latin en Palestine, on note la création d’une Conférence de Saint Vincent de Paul 56 à Jérusalem en 1851, en partie à l’origine de l’initiative d’envoyer des caravanes de pèlerins français.
La Conférence de Jérusalem se définit comme un mouvement de charité en direction des plus démunis avec tout de même une priorité pour les catholiques. On peut ainsi noter dans le premier compte-rendu de la conférence, du 23 décembre 1851, qu’elle s’occupe de la visite des familles pauvres, en les secourant en aliments et en vêtements, surtout les enfants qui fréquentaient les écoles des Sœurs de Saint Joseph. La Conférence est présidée par M. Lequeux, chancelier du Patriarcat, assisté par un membre du Patriarcat latin, Don Giovanni Gavazzi et Georges Wigley du Consulat Anglais. On compte également 21 membres, laïcs ou prêtres faisant parti de cet organisme dont M. Botta, consul de France et M. Pitzamano, consul d’Autriche.
Cette Conférence, dont le but premier est l’aide aux plus pauvres a également la volonté de régénérer la foi catholique en Terre Sainte et d’en appeler à la France pour recréer un mouvement en direction des Lieux Saints. Dans une lettre du 6 janvier 1852, le président Lequeux exprime son vœu de voir les catholiques occidentaux s’intéresser aux Lieux Saints : « C’est principalement sur l’aide de nos Confrères d’Occident que nous comptons pour étendre en Terre Sainte la charité catholique(…) aussi espérons nous avoir le bonheur d’accueillir beaucoup de nos chers confrères, qui devraient être les premiers à enseigner de nouveaux aux catholiques d’Occident le chemin de Jérusalem qu’ils ont si longtemps et si malheureusement oublié. L’Eglise a toujours recommandé instamment aux fidèles le pèlerinage des Saints Lieux, et il en coûte si peu aux temps actuels pour l’accomplir » 57 . Dans une autre lettre du 12 mai 1852, M. Lequeux insiste de nouveau sur cette venue des catholiques occidentaux : « C’est surtout la présence permanente de fidèles occidentaux qui produirait, ici, un bien immense, dans l’état actuel de prostration morale et surtout matérielle où se trouve actuellement la Terre Sainte (…) aussi autant que nous le pouvons, faisons nous appel à ceux de nos confrères qui ne sont pas arrêtés par leurs devoirs, de devenir les pionniers de la Foi en Terre Sainte, de payer de leur personne dans cette cause sacrée » 58 .
Mgr Valerga est nommé le 10 octobre 1847 Patriarche de Jérusalem et arrive dans la Ville Sainte en janvier 1848. Il est âgé de 45 ans et a été ordonné prêtre en 1836. Il fut très vite imprégné de l’Orient, en premier lieu par ses connaissances en hébreu et arabe, ce qui en fit un traducteur précieux pour les services de la Propagande, et en deuxième lieu par ses premières missions en Syrie, puis en Mésopotamie, où à Mossoul, il côtoya le consul Botta, mais également les fanatiques musulmans ce qui lui valut de nombreux coups de poignards !
A Jérusalem, il va déployer une grande énergie pour rétablir le prestige catholique, étant obligé à son arrivée d’être hébergé par les Franciscains. Il va multiplier les nouvelles paroisses, créer un séminaire pour le clergé indigène… A sa mort en 1872, après 25 ans à Jérusalem, il reste celui qui a redonné ses lettres de noblesse au catholicisme en Terre Sainte.
Paul-Emile Botta arrive en octobre 1848 à Jérusalem, à l’âge de 46 ans. Il entame une brillante carrière de botaniste par un tour du monde en 1826-1829, et d’archéologue, avec en particulier la découverte de sites assyriens, alors qu’il était en poste à Mossoul. Malgré la description peu élogieuse de Flaubert qui le qualifie « d’homme en ruines, homme de ruines, dans la ville des ruines », il semble très apprécié des pèlerins français de passage, heureux de trouver « un homme civilisé » dans ces profondeurs de l’Orient. Laissons à Maxime Du Camp le soin de décrire ce consul : « Hospitalier comme un chef de grande tente, érudit, archéologue perspicace, connaissant toutes les langues de l’Orient, maigre comme un ascète, inquiet, nerveux, fou de musique, mangeur d’opium et charmant. Il avait alors une cinquantaine d’années ; la grâce l’avait touché, il se considérait comme le gardien du tombeau de son Dieu ; (…) si emporté, si excessif qu’il fût dans sa conversation, il restait d’une irréprochable courtoisie dans ses relations et était avec ses subordonnés d’une bonté paternelle ». Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires, vol.1, Paris, 1892, pp.362-363.
OPM, EO7030, Patriarcat de Jérusalem, lettre du secrétaire du patriarcat à l’Oeuvre de la Propagation de la Foi, le 23/11/1849.
OPM, E19, Patriarcat de Jérusalem, lettre du secrétaire du patriarcat à l’Oeuvre de la Propagation de la Foi, le 24/11/51.
OPM, E 19, lettre de M. Botta, consul de France à Jérusalem à M. de Montalembert, le 26 novembre 1848.
Voir annexe, Installation des instituts masculins et féminins en Terre Sainte jusqu’en 1914.
La Société de Saint Vincent de Paul a été fondée au mois de mai 1833. Un étudiant lyonnais, Frédéric Ozanam, arrivé à 18 ans à Paris pour rejoindre la société des Bonnes Etudes dirigée par E.Bailly, a voulu fonder une œuvre de charité avec d’autres étudiants. Ils se réunirent sous la présidence de E.Bailly à son journal « La Tribune Catholique ». Le rôle essentiel de l’œuvre serait la visite à domicile des familles indigentes auxquelles on remettrait des secours, non pas en argent, mais en nature, au moyen de bons délivrés sur les commerçants du quartier et payés à ceux-ci par la Conférence. Les ressources normales proviendraient des quêtes faites aux séances, chaque membre fournissant, suivant ses moyens, une contribution dont lui seul fixerait et connaîtrait le montant. Quant au nom qu’il importait d’adopter pour l’œuvre, les opinion échangées se rallièrent à la dénomination de « Conférence de Charité » par analogie avec la « Conférence d’histoire » à laquelle appartenait tous ses membres et au sein de laquelle son idée première était née. Un siècle plus tard on compte 10.500 conférences dans le monde et plus de 160.000 membres actifs.
Archives de la Société Saint-Vincent de Paul- dossier Palestine- 1851/1940.
Ibid.