Ce pèlerinage « ouvre la carrière » à des caravanes de plus en plus fréquentes, à des hommes puis des femmes de plus en plus enclins à découvrir des lieux qui sont à l’origine de leur foi. Cette première caravane a montré qu’il est possible de faire le pèlerinage aux Lieux Saints et que le retour est assuré, ce qui n’était pas toujours le cas quelques siècles auparavant. Cette réussite semble avérée du fait du retour de l’ensemble de la caravane mais M. de Guinaumont, président de la caravane, se fait cependant l’écho auprès de M. Baudon des souffrances endurées par les pèlerins au cours du pèlerinage : « Un pays rempli de brigands, des chemins dangereux de toute manière… périls de toutes sortes, au milieu desquels Dieu nous garde ! (…) Il a pu être utile que pour la première fois nous ayons paru en grand nombre pour produire plus d’effets ; mais il est bien démontré aujourd’hui que le nombre de quarante serait beaucoup trop grand pour l’avenir. Les difficultés de logement dans les couvents (qui ne nous sont pas toujours favorables), de nourriture, de transports, de manœuvres, de campements (…) une caravane de vingt pèlerins serait bien assez forte, une de quinze serait préférable. D’abord pour que les précautions matérielles puissent être mieux prises » 74 .
Voilà des propos qui atténuent l’enthousiasme religieux des premiers croisés en Terre Sainte. Ils montrent, une fois de plus, la forte conviction nécessaire pour entreprendre un pèlerinage dans un pays qui, malgré son charme biblique, reste à l’écart des progrès de la civilisation européenne du XIXe siècle. D’autre part, un pèlerinage inclut d’accepter de côtoyer les mêmes personnes pendant plusieurs semaines, et de se heurter ainsi aux caractères de chacun. Pour M. de Guinaumont, l’organisation des futures caravanes ne doit pas se faire dans la précipitation et au contraire requièrent beaucoup de prudence : « Les difficultés d’organisation et de direction d’une caravane doivent être pesées avec attention. Le Conseil Général de Saint Vincent de Paul peut-il prudemment accepter le patronage et la direction d’une œuvre pleine de difficultés et d’un avenir incertain ! Le mieux ne serait-il pas de laisser des sociétés former des caravanes, faciliter les réunions, indiquer quelles doivent être peu nombreuses, composées d’hommes ayant à peu près les mêmes allures, les mêmes relations, assortir les hommes pour qu’ils s’entendent mieux (…) Enfin il faut des hommes jeunes ou encore forts, car il ne faut pas dissimuler que les fatigues sont grandes et les privations aussi. Nous pensons que le départ d’une seconde caravane doit être ajourné. On risquerait beaucoup en se pressant » 75 . Cette lettre écrite depuis le Mont Carmel à la fin du pèlerinage (après près de deux mois de direction d’un pèlerinage !) révèle toute la lassitude d’un homme qui a eu en charge pour la première fois une caravane de quarante personnes. On ne pourra jamais savoir si cette fatigue est due aux conditions du voyage ou aux nombreux pèlerins peu habitués aux pérégrinations aux longs cours. Son appel est cependant entendu puisque la caravane prévue en novembre 1853 est reportée mais les organisateurs ne sont pas découragés pour autant puisque un pèlerinage est prévu pour Pâques 1854 et a bien lieu.
Cinquante quatre caravanes succèdent à la pionnière de l’été 1853, et dès 1855 se sont deux pèlerinages par an qui sont organisés, l’un à Pâques et l’autre au mois d’août dit « pèlerinage des vacances » 76 . La guerre de Crimée n’empêche pas l’organisation de caravanes en 1854 et 1855 à la différence des événements en Syrie et du massacre des chrétiens qui dissuade l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte d’envoyer des pèlerins durant l’été 1860. Les épidémies sont également des facteurs empêchant tout voyage, comme ce fut le cas lors de l’épidémie de choléra en 1865. En France, la guerre de 1870 et la commune l’année suivante empêchent tout type d’organisation privant la Palestine de caravanes de l’été 1870 à Pâques 1872. Les pèlerinages qui suivent cette date seront très aléatoires, à cause d’une faiblesse numérique de plus en plus criante.
Archives de la Société Saint Vincent de Paul - Dossier Palestine - 1851.1940 - Lettre de M. de Guinaumont au Président A.Baudron, le 2 octobre 1853.
Ibid.
Voir annexe, Tableau des pèlerinages de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte.