Tout d’abord l’itinéraire : le voyage par bateau reste immuable (par terre il s’avère impossible dans la durée, les régions traversées…) au départ de Marseille, arrivé à Jaffa, le retour pouvant se faire par Caïffa ou de plus en plus fréquemment par Beyrouth. La circulation dans le pays reste toujours aussi peu confortable. Dans un récit de pèlerinage de la caravane de l’été 1869 on aperçoit toujours autant l’étendue de l’aventure : « En Orient et en Palestine surtout, un voyage est une affaire importante, une entreprise fatigante et souvent dangereuse. On ne sait pas ce qu’est une route, et depuis quelques mois seulement, on y a vu passer pour la première fois des voitures qui essayent de se rendre de Jaffa à Jérusalem, mais les nombreux accidents qui arrivent pendant ce trajet prouvent que cette manière de voyager est encore à son état d’enfance » 77 . Le trajet reste invariablement le même avec la montée à Jérusalem 78 où Mgr Dequevauviller 79 et, après 1864, Mgr Poyet viennent accueillir, en dehors des murs de la ville, la caravane accompagnée d’un membre de la Custodie.
La vue de la Ville Sainte déclenche inévitablement les prosternations des catholiques français : « Descendant alors de cheval, nous entonnâmes avec un sentiment indescriptible le psaume Loetatus sum in his quoe dicta sunt mihi » 80 .
L’entrée dans Jérusalem continue de se faire par la porte de Jaffa, gardée par des soldats Turcs « en pantalon blanc, veste bleu et fez rouge » 81 . Le séjour dans la Ville Sainte s’agrémente de nouvelles visites au fur et à mesure de l’installation de nouvelles congrégations et du développement des établissements et des paroisses du Patriarcat 82 . Certains pèlerins obtiennent la permission de passer une nuit au Saint Sépulcre dans le couvent intérieur pour pouvoir dire ou entendre la messe dans le Saint Tombeau. Le reste des visites en Terre Sainte se fait suivant le modèle du pèlerinage de 1853 à l’exception parfois de la traversée de la Samarie qui n’offre pas toujours de suffisantes règles de sécurité pour entamer sa traversée 83 et ainsi la Galilée est atteinte par mer au départ de Jaffa jusqu’à Caïffa.
En ce qui concerne les pèlerins, hormis la caravane pionnière, forte de 40 pèlerins, et celle de 1859, composée de 56 participants, les autres groupes peinent à atteindre les dix participants, chiffre fatidique pour obtenir des réductions auprès des Compagnies Maritimes. Deux caravanes sont tout de même parties avec moins de dix pèlerins, à Pâques 1856 avec sept personnes et à Pâques de l’année suivante avec neuf personnes. La moyenne se situe autour de 15 participants, ce qui, malgré l’initiative de mettre en place un pèlerinage collectif, reste un chiffre modeste, et le sera encore plus quand se développent les Pèlerinages de Pénitence.
Les pèlerins du Second Empire font partie des classes dirigeantes de la société française, catholiques pratiquants, membres des Conférences de Saint Vincent de Paul ou d’autres associations catholiques. La forte majorité des membres laïcs est issue de la noblesse, Ainsi la présidence de la caravane, lorsqu’elle est attribuée à un laïc, revient presque systématiquement à un noble, de Paris ou de province 84 . Les religieux représentent environ le tiers des participants : sur les 32 premières caravanes (1853/1873) on recense 597 pèlerins dont 180 religieux. Prenons l’exemple de la caravane de Pâques 1862 qui compte 36 pèlerins : le président est le Marquis de Raigecourt de Paris, les vice-présidents sont un belge M. Van Den Bussch et M. Bignon, du château de Rozel-les-Pieux (Cherbourg), l’aumônier le R.P du Fougerais, supérieur du petit séminaire de Saint Lo. Parmi les pèlerins français, au nombre de 22, on recense dix nobles et six religieux. Parmi les membres de la noblesse on note la présence de Paul de Solages, propriétaire des mines de Carmaux dans le Tarn. Parmi les membres du clergé, l’abbé Pagès de Nézignan-L’Evêque dans l’Hérault est pèlerin pour la deuxième fois et le sera encore une troisième à Pâques 1863, et l’abbé Verrier, chanoine honoraire de Bayeux publie un récit de pèlerinage à la suite de cette pérégrination. Les autres membres de la caravane, ni nobles, ni religieux, viennent de la France entière mais l’absence d’indication les concernant ne nous permet pas d’en tirer une analyse particulière. La présence d’étrangers est ici importante, on recense 11 pèlerins belges dont deux abbés, deux luxembourgeois, un abbé et un prussien.
Ces personnes, aisées, fortunées pour certaines, déboursent une somme importante pour participer à ce voyage que cela soit le coût du transport, qui ne diminue pas au fil des caravanes, ou les annexes. En septembre 1863, le coût est de 1300 francs en première classe et de 1100 francs en deuxième 85 , ce qui représente un montant élevé à quoi il faut ajouter des frais de préparatifs qui peuvent très vite dépassés le montant du voyage.
Dans les renseignements pratiques donnés aux pèlerins avant le départ, on leur indique ce dont ils ont besoin : « Une malle en cuir (…) un costume de voyage composé : d’un chapeau de feutre mou, d’un haut de forme et à larges bords, avec une enveloppe en calicot blanc flottante par derrière sur le col, pour préserver du soleil. Une redingote en drap, avec cinq poches. Un caban en gros drap, pour s’envelopper et se préserver de la pluie. Une chemise de couleur en coton, ou mieux en flanelle. Une paire de gants en cuir, un couteau, un portefeuille, crayons, plumes, papiers à lettres pour notes et dessins. (…) Les pèlerins feront bien de se munir d’armes apparentes, telles que fusils à deux coups, revolvers, c’est un porte-respect ; tous les indigènes sont armés, ne pas l’être serait une marque d’infériorité » 86 . On pourrait ajouter que la selle est souhaitable pour les trajets à cheval.
A la lecture de telles recommandations, on s’aperçoit du coût que peuvent représenter les préparatifs pour le voyage, sans parler de l’inquiétude décourageante que peut susciter chez les moins téméraires l’idée d’emporter un revolver. A côté de ces multiples dépenses il ne faut pas oublier que sur place les pèlerins sont fortement sollicités par les indigènes grâce au mot magique de bakchich mais également par toutes les structures catholiques qui attendent la caravane des pèlerins français avec empressement puisqu’elle est source de financement. Nous n’avons aucune indication permettant d’évaluer les sommes versées par les pèlerins aux congrégations, au Patriarcat ou à la Custodie, qu’elles soient données sur le moment, ou de retour en France
Pour parachever cette étude sur les pèlerins de la rue de Furstenberg sous le Second Empire, il faut s’arrêter sur le cas des pèlerines qui ne sont acceptées au sein des caravanes qu’à partir de 1868.
Pourquoi une telle réticence ? Il apparaît d’emblée que les fatigues du voyage, sa durée, le climat du pays visité sont les excuses pour ne pas accueillir des dames au sein des caravanes. Ces raisons sont entièrement valables même si elles sont susceptibles d’être contrecarrées par les nombreux exemples de femmes ayant entrepris le pèlerinage aux Lieux Saints à l’exemple de Madame de Montefiore 87 dans les années 1820 ou de la Comtesse de Gasparin en 1848.
Il n’en reste pas moins que le voyage est éprouvant, les trajets à l’intérieur du pays à dos de cheval sont pénibles et la dignité d’une européenne peut à tout moment être mise à mal. Les exemples sont nombreux de dames qui subirent les dures lois de l’aventure orientale, à l’exemple de la femme de Samuel Bey, ancien ministre des Affaires étrangères du vice-roi d’Egypte, qui s’était jointe à la caravane de Pâques 1867 lors de l’excursion à Jéricho et qui a succombé en quelques heures à une insolation.
La décision d’accueillir des dames au sein des caravanes n’est ainsi prise qu’en 1868, quinze ans après la première caravane : « Depuis longtemps il avait été dit que la Terre Sainte n’était pas un pays si dangereux que les femmes chrétiennes dussent renoncer d’y aller prier avec leurs maris, avec leur fils… cette proposition a été accueillie par une caravane mixte et le neuf février dernier, douze personnes ont inauguré, dans les meilleures conditions de succès, ces pèlerinages d’un système nouveau » 88 . Nous ne saurons pas si cette décision a été prise uniquement à cause de l’amélioration des questions de sécurité ou pour accroître les effectifs restés faibles, ce qui menace chaque année de voir disparaître les caravanes françaises.
Dans ce premier pèlerinage mixte, on fait une distinction entre une caravane des hommes et une caravane des familles où l’on dénombre six femmes, en majorité issues de la noblesse, qui accompagnent leur mari, ou leur employeur puisque l’on note la présence d’une femme de chambre. Cette initiative, qui s’est avérée heureuse, se poursuit après la guerre de 1870 mais sans distinction entre les caravanes, le pèlerinage n’étant plus composé que d’une caravane mixte.
Bulletin de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte, BNF, Tome VII, 1872/1874.
Où le passage par la localité d’Abou-Gosh n’est plus redouté comme au début du siècle et prend un tour folklorique puisque à l’été 1855 Ibrahim Abou-Gosh offre une collation aux pèlerins lors de leur passage !
Théophane Dequevauviller est né dans la Somme en 1811, il arrive à Jérusalem en 1851. Il devient premier chancelier du Patriarcat latin. La fonction de chancelier comportait outre l’expédition des affaires courantes de la Curie diocésaine, l’entretien de fréquentes relations avec le Consulat de France. En 1861, la caravane des vacances fut accueillie par l’abbé Dequevauviller, chancelier du Patriarche, l’abbé Moretain, curé de Beit-Sahour et le kawas du Patriarcat. Ils étaient accompagnés d’un agent et deux kawas du consulat de France.
Pèlerin anonyme, Un pèlerinage en Terre Sainte, 1869, Marseille, 1870.p.12.
Ibid, p.12.
Dans les instructions et renseignements pour les responsables des caravanes il est noté : « Pendant leur séjour à Jérusalem, aussi bien que dans les autres villes de la Terre Sainte, le président et autres membres de la caravane feront bien de visiter les écoles catholiques et tous les établissements de charité. Leur présence ne peut manquer d’y être un encouragement et un sujet d’édifications. Ils jugeront par eux-mêmes des besoins de ces divers établissements et pourront fournir au comité d’utiles documents sur leur état ». Bulletin de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte, BNF, Tome VII, 1872/1874. Voir annexe, Installation des instituts masculins et féminins en Terre Sainte jusqu’en 1914.
Dans une dépêche à l’ambassadeur de France à Constantinople, le consul de Jérusalem note en 1858 les problèmes en Samarie : « l’état d’agitation qui règne entre la Samarie et la Galilée et les informations peu rassurantes qu’avait pris le soin de me transmettre M. Edmond de Lesseps sur la sécurité de plusieurs autres points de l’Eyalet de Saïda n’ont pas permis à cette caravane de se rendre par terre à Beyrouth et surtout par la voie de Naplouse ». MAE Nantes-Jérusalem-A-122/124, 22 septembre 1858.
On peut citer le cas de Louis de Baudicour, président de la caravane de Pâques 1861. Il fut pendant trente ans secrétaire général de la Société de Saint Vincent de Paul. Il a fondé, rue de Verneuil, sous le nom d’Institut catholique, le premier cercle catholique de la rue de Grenelle.
Bulletin de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte, BNF, tome III, 1862/1863.
Bulletin de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte, BNF, tome III, 1862/1863.
Moïse et Judith Montefiore entreprennent leur premier voyage en Palestine en 1827 et décident devant la misère des juifs qu’ils rencontrent de mettre leur fortune au service de cette population. Ils vont entreprendre de nombreux voyages entre l’Angleterre et Jérusalem et être les premiers à construire des habitations en dehors des murs de la Ville Sainte.
Bulletin de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte, BNF, tome VI, août 1866/mars 1868.