Une renaissance catholique

Ces voyageurs, fiers de se proclamer français, restent d’abord des pèlerins catholiques, heureux de venir renforcer leur foi sur les Lieux Saints, même si nous avons pu noter quelques failles dans l’ardeur chrétienne de certains, surtout après les années 1870. Le but premier de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte reste toujours le même au fur et à mesure des caravanes : ranimer par les pèlerinages la piété et la charité envers les Lieux Saints. L’autre but affiché en 1853 est de soutenir les catholiques locaux, peu nombreux face aux orthodoxes et aux musulmans. Mgr Darboy, archevêque de Paris, lors de l’assemblée générale de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte en mai 1865 rappelle ce but de l’œuvre : « Encourager les catholiques de Terre Sainte, depuis si longtemps opprimés et délaissés, favoriser le respect et le développement de la foi catholique sur les lieux mêmes d’où elle s’est répandue dans le reste du monde » 113 . Les pèlerins en partance pour les Lieux Saints sont confortés dans leur mission par les nombreuses faveurs spirituelles accordées par Pie IX, comme le prouve l’indulgence plénière octroyée à la caravane de l’été 1862 : « Nous accordons miséricordieusement dans le Seigneur, à tous et chacun des fidèles de l’un et l’autre sexe déjà inscrits ou qui se feront inscrire à l’avenir dans l’œuvre pieuse dite : Œuvre des pèlerinages en Terre Sainte, l’indulgence plénière des péchés qu’ils pourront gagner aux fêtes de l’Invention de la Sainte Croix de Notre Seigneur et de l’Annonciation de la bienheureuse Vierge Immaculée, pourvu qu’en ces jours, vraiment pénitents, s’étant confessés et ayant reçu la sainte communion, ils prient Dieu avec instance pour la Concorde des princes chrétiens, l’extirpation des hérésies et l’exaltation de notre sainte mère l’Eglise » 114 .

Au cours des années 1850-1860, le retour en force du catholicisme se confirme grâce en grande partie au patriarche Valerga, qui ne ménage pas ses efforts pour créer de nouvelles paroisses, un séminaire, mais également faire venir de nouvelles congrégations. Nous avons cité précédemment la chronologie de l’arrivée des différentes congrégations, féminines dans un premier temps. On peut signaler la particularité de la congrégation des sœurs de Notre-Dame de Sion où les pèlerinages vont jouer un rôle concret. Le fondateur, le Père Marie-Alphonse Ratisbonne, profite de la caravane d’août 1855 pour visiter les Lieux Saints et surtout pour entrevoir la possibilité d’installer des membres de sa congrégation. Ainsi, quelques mois plus tard, avec l’assentiment du patriarche, un petit nombre de religieuses, arrivant de Paris, s’installent dans une maison de Jérusalem où elles établissent un orphelinat 115 .

Le rôle de l’Oeuvre des pèlerinages dans la renaissance catholique en Terre Sainte est mince mais néanmoins réel, par la continuité des caravanes, par la valeur des pèlerins, et les relations qui s’installent avec les différentes autorités catholiques de Palestine. Même les franciscains, réticents dans un premier temps à toute incursion dans leur pré carré, semblent faire bonne figure face aux catholiques français, à l’image de l’accueil réservé à la 15e caravane d’août 1861 : « L’hospitalité reçue à la Casa Nova et dans les autres couvents de Terre Sainte est maintenant, sous tous les rapports, aussi parfaite que les pèlerins peuvent le désirer.(…) Ajoutez à cela que maintenant on trouve à Jérusalem, dans leur couvent, au moins six à huit Pères ou Frères qui parlent français » 116 .

Ce prestige dévolu aux caravanes françaises sera d’autant plus grand que, face à elles, la Palestine voit défiler des milliers de pèlerins russes qui chaque année viennent prier aux Lieux Saints. Bien évidemment la comparaison du nombre de pèlerins tourne à l’avantage immédiat des orthodoxes, mais ils sont pour la plupart issus des classes pauvres du pays et ne peuvent entreprendre ce voyage que grâce aux secours de la famille impériale qui trouve par ce biais le moyen d’augmenter son influence. Les pèlerins français, faibles en nombre, sont par leur distinction et le prestige dû à la France des pèlerins toujours fort attendus : « Le contraste devient chaque année de plus en plus flagrant entre les pèlerins catholiques et schismatiques. Ceux-ci appartiennent presque tous à la classe du peuple ; ceux-là au contraire, sont issus de familles distinguées ou occupent dans la sphère sociale un rang notable. Les premiers ont une foi vive, une piété éclairée, tandis que les derniers, sans instruction et sans dignité personnelle, se livrent aux pratiques les plus superstitieuses » 117 . Cet extrait, qui ne manque pas de parti pris, n’énonce pas moins une part de vérité, surtout dans un pays où le paraître est extrêmement important. Les pauvres pèlerins russes, habillés de noir qui débarquent en Terre Sainte au prix de nombreux efforts et de multiples privations n’ont rien pour fasciner les populations locales. Il convient d’ajouter que les pèlerins français, aisés pour la plupart, sont aussi des acheteurs potentiels de souvenirs, d’objets de piété divers et cela ne peut laisser indifférents les marchands de Jérusalem, Bethléem ou Nazareth !

Notes
113.

Ibid.

114.

Ibid.

115.

Le couvent sera connu par la suite sous le nom du couvent dit de l’Ecce Homo.

116.

Bulletin de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte, BNF, tome III, 1862/1863.

117.

Bulletin de l’Oeuvre des pèlerinages en Terre Sainte, BNF, tome IV, 1863/1864.