La France catholique des années 1870 : pénitente et ultramontaine

Le temps des incertitudes

Du triple choc des années 1870-71 à l’Ordre moral

L’écroulement du régime impérial à Sedan, le 4 septembre 1870, annonce le début d’un long ébranlement pour les catholiques français. Leurs représentants se trouvent alors auprès du pape, en plein concile, et les travaux sont conclus aux premiers coups de canons.

La chute de Napoléon III fait du pape la cible des nationalistes italiens, soucieux de terminer l’unification en s’emparant de Rome : 

« On su immédiatement que l’écroulement de l’Empire sonnait le glas du pouvoir temporel du pape. Le cabinet de France signifia à Paris sans perdre de temps sa volonté de prendre possession de « Rome capitale ». (…) C’est sous sa responsabilité propre que Victor Emmanuel donna, quinze jours après la révolution parisienne, l’ordre d’assaut à la Porta Pia, symboliquement défendue par les soldats de Pie IX (20 septembre). Ainsi fut accomplie la ruine définitive d’une souveraineté qui avait duré plus de deux siècles et que la quasi-totalité des catholiques français avait été habitué à considérer comme essentielle à l’indépendance du pontificat » 118 .

La chute de l’Empire permet le retour de la République, la IIIe, dont Adolphe Thiers est le représentant avant d’en être le président. Son gouvernement va fortement vaciller sous les coups des révolutionnaires de la Commune, hostiles à la religion et aux prêtres en particulier, victimes désignées de ces vengeances populaires 119 . Après une répression sanglante par les troupes de la République, la France catholique semble se tourner vers la religion consolatrice.

Ce triple choc subi par les Français, la guerre contre la Prusse, l’emprisonnement du pape 120 et la Commune, convainc les croyants que la France doit entrer en pénitence, pour redevenir la fille aînée de l’Eglise, celle qui fut la première à fournir à l’Eglise un roi chrétien (Clovis, premier roi « barbare » à se convertir au christianisme), et se placer sous la protection de Pie IX et, pour beaucoup sous l’autorité d’un souverain retrouvé, protecteur des Français.

Les années 1873-1877, que l’on nomme la période de l’Ordre moral 121 , sont le point d’orgue d’une France catholique et monarchiste, nouvelle alliance entre la croix et la couronne d’avant 1789 : 

« Pour les ultras du catholicisme le salut de la France était au prix d’une double restauration : celle du Comte de Chambord sur le trône des Bourbons relevé ; celle du pape Pie IX sur l’Etat temporel reconstitué. Que la grande majorité des catholiques ait été monarchiste de 1871 à 1875, rien de surprenant n’a cela. Bien des Français inclinaient à penser qu’après tant de changements de régime, tant d’essais décevants de démocratie et de césarisme, seule la monarchie convenait à leur pays » 122 .

De son lointain refuge autrichien, Frohsdorf, le petit-fils de Charles X 123 incarne cet espoir monarchique : 

« On admit sans démonstration qu’il était destiné à devenir, sous l’heureux vocable d’Henri V, l’artisan de la régénération nationale. Pendant deux années il eut cette chance de réunir les suffrages de tous les catholiques (…) Il gâcha cette situation par son manifeste en faveur du Drapeau blanc (février 1873) » 124 .

Ainsi la période de l’Ordre moral essaye de faire oublier « les vingt années corrompues de la fête impériale » 125 . Pourtant la parenthèse se referme déjà et un député catholique propose l’amendement qui établit la IIIe République. Dès lors le fossé se creuse entre cléricaux et anticléricaux.

Notes
118.

André Latreille, René Rémond, Histoire du catholicisme en France, Paris, Spes, 1962, p. 402.

119.

L’archevêque de Paris, Mgr Darboy, est fusillé par les communards le 24 mai 1871.

120.

Dès l’occupation de Rome par les troupes italiennes, le pape se considère comme prisonnier au Vatican, dépossédé de ses terres, qui s’étaient fortement rétrécies au cours du siècle, ne lui laissant que la souveraineté sur Rome. Il faut attendre les accords du Latran en 1929 pour que la situation du pape soit clarifiée et que le Vatican devienne un état souverain.

121.

Au sens strict, la période de l’Ordre moral désigne les années qui s’écoulent entre la chute de A. Thiers le 24 mai 1873 et les élections d’octobre 1877. Ces années sont caractérisées par le développement d’une politique conservatrice, cléricale et monarchiste qui finit par échouer du fait de l’échec de la restauration monarchique (octobre 1873) et de l’implantation officielle du régime républicain (1875). Au sens large, l’Ordre moral caractérise un régime politique marqué par la lutte de plus en plus violente qui, de 1871 à 1880, oppose la France aristocratique, rurale, monarchiste, cléricale, à la France républicaine, laïque et en voie d’industrialisation.

122.

André Latreille, René Rémond, op. cit., p.407.

123.

Le Comte de Chambord (1820/1883), appelé l’enfant du miracle, car dernier héritier mâle de la branche légitimiste, après la mort de Charles X. Il vit dès l’âge de dix ans en exil et ne revient en France qu’en 1873 et de manière anonyme et rapide. Nombreux furent les royalistes à faire le voyage dans les années 1860.1870 pour le refuge de Frohsdorf : « Nous nous sentions à mille lieues de la France, ce château d’apparence claustrale, au fond de l’Autriche, avait un aspect morne et glacé ; on y vivait, figé dans une étiquette respectable, sans doute ; mais qui interceptait les bruits et jusqu’à l’air du dehors. Ce prince boiteux, cette princesse âgée, sourde et dépourvue de tout charme, malgré le désir évident de se montrer aimable, n’ayant su nous parler que de pèlerinages, tout cela nous bouleversa. Illusion, mysticisme, voilà ce qui régnait dans cet exil ! On se voyait au milieu de gens qui ont constamment rêvé et qui regrettent d’être interrompus dans leur sommeil. Hélas ! Pour les princes surtout, vivre loin de leur pays est le plus grand des maux. Le passé et les souvenirs les occupent trop ; ils n’ont pas appris à connaître le présent et ils n’envisagent guère l’avenir sans une sorte d’effroi qui les retient au moment où il faudrait prendre des résolutions définitives » M. de Sugny, in Jean-François Chiappe, Le Comte de Chambord … et son mystère, Paris, Perrin, 1990, p.262.

124.

André Latreille, René Rémond, op. cit., p.408.

125.

Claude Guillet, La rumeur de Dieu, Paris, Imago, 1994, p.191.