La pratique religieuse des Français au cours de cette période instable

Malgré le contexte de luttes religieuses, la vitalité du catholicisme reste forte. L’historiographie a reconsidéré l’image d’une pratique religieuse qui opposerait la campagne fervente et la ville athée. Il apparaît aujourd’hui que ce trait reste caricatural, tout comme la forte déchristianisation du monde ouvrier. Sur une carte de France, on peut déceler tout d’abord une forte piété dans l’Ouest armoricain, souvenir de la résistance à la Révolution française. De Bayonne à Lyon, une grande bande de ferveur religieuse : « En 1905, dans le diocèse de Cahors (Lot) pour 225 000 habitants, on compte 60 000 hommes et jeunes gens à Pâques et 80 000 femmes, soit 70 à 85%. Ces taux sont analogues des Basses-Pyrénées à l’Ardèche » 126 . Lyon apparaît comme la capitale religieuse de France, en opposition à Paris, peu touchée par la ferveur religieuse. L’est de la France est l’autre grande région religieuse depuis la Flandre jusqu’à la Savoie. Face à cette France de la pratique religieuse, l’anticléricalisme est dominant à Paris et dans le Bassin parisien, la Bourgogne, le Centre, le Limousin, les Charentes, le Périgord et la Guyenne : « La pratique pascale des hommes dépasse rarement 10% et se situe souvent aux alentours de 5%. En Eure-et-Loir en 1841, un prêtre ayant obtenu que cinq à sept hommes de 25 à 50 ans communient pour la fête patronale, ceux-ci sont couverts de sarcasmes à la sortie. (…) dans le sud du Morvan, on se marie sans prêtre, on enterre sans prêtre, on meurt sans prêtre. Toutes les messes sont oubliées les dimanches, et cela de la part de 19 personnes sur 20 » 127 . La région du midi de la France apparaît en demi-teinte, les villes connaissant un plus grand zèle religieux, à l’exception peut-être de Béziers qui « est devenu le pourrissoir de région » 128 dû fait d’un trop grand nombre de maisons de tolérance.

Ces chiffres sont cependant à prendre avec précaution : l’Eglise, forte de plusieurs siècles de présence, voire de domination, détient une position privilégiée dans toutes les structures communautaires. Le baptême, le mariage, l’enterrement sont toujours des actes religieux que même les moins pratiquants continuent à honorer. Des lois ou une pratique faible ne pourront pas détruire facilement ces traditions. D’autre part, la pratique religieuse est mouvante et une certaine rechristianisation a pu se faire au cours du siècle dans certaines régions, en fonction du dynamisme d’évêques, et de l’évolution de la politique papale. Il n’en reste pas moins que la pratique n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire, loin s’en faut, et que la religion, tout en restant un socle de la société française, connaît de nombreuses fissures durant cette époque.

En somme, ce XIXe siècle tant critiqué par les catholiques intransigeants, n’est pas vécu sur le mode exclusif d’un refus. Le catholicisme participe au changement social et contribue à sa manière à la promotion des femmes. Elles constituent plus que jamais la part majoritaire des fidèles, au contraire de nombreux hommes qui considèrent la femme comme « la déléguée du foyer aux affaires religieuses ». De nombreux travaux ont mis en évidence ce « dimorphisme sexuel » 129 .

Notes
126.

Gérard Cholvy, Etre chrétien en France au XIXe siècle, Paris, Editions du Seuil, 1997, p.83.

127.

Ibid, p.86.

128.

Ibid, p.88.

129.

Ralph Gibson, Le catholicisme et les femmes en France au XIXe siècle, in Revue d’histoire de l’Eglise de France, n°202, janvier-juin 1993, p.63-93.