Dynamique catholique contre dynamique laïque républicaine

Le XIXe siècle a aussi été caractérisé comme le siècle des religieux et des religieuses. Pierre Pierrard, dans son Histoire de l’Eglise catholique dresse, pour le XIXe siècle, un tableau sans précédent du développement des ordres religieux : 

« En 1899, il y avait en France cent quatre instituts d’hommes, mais dès 1860 on comptait huit cent dix-sept congrégations féminines, presque toutes à la fois enseignantes et de gardes-malade, double vocation très appréciée au village. Elles contrôlaient huit mille écoles publiques et cinq mille cinq cents écoles libres » 130 . A cela il faut ajouter le formidable engouement missionnaire qui s’empare des ordres religieux français : « Le XIXe siècle fut incontestablement le siècle des missionnaires français : ils étaient trois cents en 1789 et soixante dix mille cent quatorze –des deux sexes- en 1900 » 131 .

Pour les séculiers, la période 1870/1880 apparaît comme « une période bénie », l’apogée en nombre de prêtres « la France compte alors quinze prêtres séculiers pour dix mille habitants, contre onze au lendemain de la Révolution (mais trente en 1790) » 132 . 1875 est le sommet de la courbe pour tout le siècle avec un prêtre pour 639 habitants.

Le catholicisme reste, en France, la religion dominante au cours du XIXe siècle, mais sa place au sein de la société française est incertaine. Il semble que le clergé ne soit plus en phase avec cette population française qui a vécu de nombreux traumatismes au cours du siècle et « par bien des aspects, la question essentielle que le XIXe siècle posait au catholicisme était de savoir comment un modèle religieux cohérent pouvait durer dans un contexte sociopolitique largement bouleversé » 133 .

Le retour de la République, la IIIe, tout en ne remettant pas en question le Concordat 134 , amplifie les oppositions, radicalise les tenants de la laïcité et l’anticléricalisme. Paul Bert, républicain anticlérical montre bien la tâche énorme qui attend son parti : « Il s’agit d’une religion qui inscrit au registre de ses baptêmes les 97% des enfants de ce pays et dont les prêtres sont appelés au lit de presque tous ceux qu’elle a baptisés (…) qui pendant quatorze siècles a élevé à sa guise les enfants du pays, les a pénétrés de son esprit jusqu’à la moelle (…) qui a pétri, peut-on dire l’âme de la France » 135 . La tâche de laïcisation, voulue par les républicains, principalement dans le domaine de l’éducation où les religieux ont dans certaines régions un quasi monopole surtout pour l’éducation des filles, s’annonce immense et semée d’embûches. Les plus fervents défenseurs de la royauté comme ceux qui sont attachés à une France catholique se montrent des adversaires tenaces. Eugène Veuillot, frère du célèbre polémiste catholique et ultramontain déclare dans l’Univers du 2 janvier 1883 « qu’entre la République et la France religieuse, l’accord est devenu impossible. On ne peut attendre des catholiques qu’ils suivent jamais le parti qui les a déclarés l’ennemi et qui, maître du pouvoir, tourne contre leurs croyances et leurs consciences les forces de l’Etat (…) M.Gambetta a dit qu’il y avait maintenant deux Frances : c’est presque vrai (…) Mais la France catholique aura raison de la France Républicaine ».

Un an plus tôt, le sénateur Gabriel de Belcastel, légitimiste et ardent défenseur du catholicisme 136 écrit au président du Conseil Léon Gambetta pour défendre la place de Dieu au sein de l’Etat français : « Je n’ai point à défendre une Constitution que je n’ai ni faite ni votée. Lorsqu’elle fut l’œuvre d’une Assemblée qui fonda la République sans y croire, si je me suis fait une loi de conscience d’obtenir qu’on y gravât le nom de Dieu, ce n’est point pour garder cette Constitution fragile et mauvaise contre les attaques des hommes et les injures du temps, mais pour garder l’honneur religieux de la France par un acte national de foi. En fléchissant le genou devant le Maître souverain de toutes les patries, elle était fidèle à la loi suprême et aux traditions les plus générales comme les plus sacrées de l’univers. ( …) Prenez garde ! Vous pouvez expulser Dieu d’une Constitution qui va mourir, vous ne l’expulserez jamais du gouvernement du monde. A l’heure même où vous lui donnez son congé, il s’apprête à vous signifier le vôtre ; il compte les semaines de votre pouvoir débile. Vous tomberez comme les autres, plus bas que les autres, et longtemps après que vous serez tombés, l’Eglise immortelle, debout sur les cendres des ennemis de Dieu, célèbrera des sacrifices réparateurs pour l’apostasie nationale que vous aurez tenté d’accomplir en passant » 137

Au cours des années 1870, la situation du catholicisme en France est ainsi davantage celle d’un « discordat » que d’un concordat. Cette lutte pour la laïcité, dont le ton devient de plus en plus haineux avec les premières expulsions de religieux en 1880 (dont les assomptionnistes) et les lois Ferry, tourne à l’avantage des républicains avec la séparation des Eglises et de l’Etat en 1905. Mais cette conquête ne veut pas dire la mort de l’adversaire, la religion catholique restant la religion de la majorité des Français, quand bien même elle est progressivement exclue du domaine public.

Notes
130.

Pierre Pierrard, Histoire de l’Eglise catholique, Paris, Desclée, 1991, p.248.

131.

Ibid, p.249.

132.

François Lebrun (sous la direction de), Histoire des catholiques en France du XVe siècle à nos jours, Paris, Privat, 1980, p.298.

133.

Ibid, p.335.

134.

Malgré la volonté des révolutionnaires de déchristianiser la France, elle reste catholique, ce que Napoléon Bonaparte, en homme de pouvoir, a très vite compris. Des négociations ont lieu entre les hommes du Consulat et Rome, qui considère un accord avec la France comme inestimable. Le 15 juillet 1801 est signé le Concordat, la « religion catholique, apostolique et romaine » est reconnue comme « celle de la grande majorité des Français ».

135.

André Latreille, René Rémond, op. cit., p.450.

136.

Il sera l’un des zélés pèlerins du premier pèlerinage de pénitence en Terre Sainte en 1882.

137.

Lettre de Gabriel de Belcastel à Léon Gambetta, président du Conseil, 17 janvier 1882, l’Echo de Fourvière, 1882, p.40.