La Bonne Presse ou la naissance d’un empire

L’autre activité des assomptionnistes qui se développe parallèlement aux pèlerinages est la presse. Aux yeux du Père d’Alzon et de ses disciples : « La presse était un des principaux instruments de perversion ; il fallait en faire un instrument d’évangélisation » 201 .

Le but est de créer une presse pour le bien avec toujours cette idée d’apporter une contribution supplémentaire à l’instauration du règne de Dieu. Au début des années 1850, les assomptionnistes créent la Revue de l’enseignement chrétien, qui n’eut qu’une durée de vie limitée. Le 12 juillet 1873, sur l’initiative du Conseil Général des pèlerinages paraît le premier numéro du Pèlerin, petit bulletin dont on ne pouvait guère prévoir les brillantes destinées. Dans un premier temps, c’est l’organe des pèlerinages, puis en janvier 1877 il devient un illustré sous l’inspiration du Père Vincent-de-Paul Bailly, géré par le Père Germer-Durand, qui s’implique dans les œuvres de presse avant d’aller pendant trente ans faire œuvre d’archéologue en Terre Sainte. A partir de cette date, le Pèlerin, outre son attention pour les pèlerinages, se veut un journal de lutte contre les ennemis de Dieu, républicains ou francs-maçons. Cet hebdomadaire au succès fulgurant fait entrevoir la possibilité d’un journal quotidien.

Depuis 1880, les assomptionnistes dirigent une revue mensuelle La Croix-Revue et ne se satisfont point d’une revue qui, comme Le Pèlerin, s’adresse à un public fervent mais restreint. Le souhait du Père d’Alzon et de son successeur, en 1880, le Père Picard, est que cette presse vouée au bien s’adresse en priorité aux classes populaires. Le manque se fait d’autant plus sentir que le seul quotidien catholique, L’Univers, éminemment respecté par le clergé, s’adresse à une élite et ne vise pas les masses.

Grâce à la ténacité du Comte de l’Epinois, collaborateur de la Croix-Revue, à l’énergie payante du Père Bailly, ils réussissent à persuader le Père Picard de créer un journal quotidien à un sou. Le titre du quotidien La Croix reflète pleinement le contenu du journal qui se veut apolitique avec comme unique but le triomphe de Jésus-Christ. Très vite le succès est au rendez-vous avec plusieurs milliers d’abonnés dès les premières semaines. Le Père Bailly en est le rédacteur en chef et l’âme incontestable. Presque tous les jours, il en rédige le premier article, qu’il signe du pseudonyme devenu célèbre « Le moine ». Le Comte de l’Epinois l’aide pour le reste du journal. En 1893, son tirage atteint 170 000 exemplaires, de nombreuses Croix provinciales étendent l’influence de ce mouvement : « En 1895, on compte 73 Croix hebdomadaires, 7 bihebdomadaires et 6 quotidiennes » 202 .

Ce quotidien a une incidence directe sur les pèlerinages, par le renom qu’il acquiert permettant aux assomptionnistes de recruter leurs pèlerins par le biais d’une publicité interne, et grâce à la personne de Vincent de Paul Bailly. Outre le fait d’être « l’âme » de La Croix, il est également le principal accompagnateur et organisateur des pèlerinages en Terre Sainte, s’y rendant à 28 reprises de 1883 à 1910.

Les différentes publications de la « Bonne Presse » n’ont pas à être étudiées ici, et nous nous contenterons de l’illustration ci-dessous pour résumer le travail impressionnant qu’entreprirent les assomptionnistes, accompagnés de laïcs, pour développer en France une presse catholique, une « bonne presse », ce qui ne fut d’ailleurs pas toujours sans dérapage, comme le prouvent les nombreux égarements antisémites de la fin du siècle 203 .

Figure 5
Figure 5 Le Pèlerin, juillet 1893.

Cette congrégation, née dans les profondeurs de la province française, vouée à de banales tâches religieuses, se développe grâce à un fondateur zélé, intransigeant et riche, en un institut de premier plan, orgueilleux de sa réussite. Il se veut le chef de file d’une France catholique en plein désarroi, montrant le chemin de Dieu à travers les lieux de cultes mariaux et la défense du pape.

Comment aurait-il été possible de ne pas faire appel à eux pour la Terre Sainte, terre d’élection et de l’incarnation du fils de Dieu ?

L’appel de la Terre Sainte et l’organisation d’un pèlerinage à Jérusalem

Notes
201.

Le Moine centenaire, La Croix cinquantenaire, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1993, 90p.

202.

Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire (sous la direction de), Histoire religieuse de la France, 1880-1914, Toulouse, Editions Privat, 2000, p.87.

203.

En septembre 1890, La Croix se proclame « le journal le plus antijuif de France, celui qui porte le Christ, signe d’horreur aux Juifs », in Pierre Sorlin, op. cit., p.95.

204.

Le Pèlerin, juillet 1893.