Dans son rôle de rassembleur catholique, le Père Picard s’appuie sur trois entités pour que toutes les forces catholiques et surtout les ennemis de Dieu comprennent l’enjeu de cette croisade.
D’abord le pape, pour qui l’on se bat, surtout depuis son « emprisonnement au Vatican » en 1870. Léon XIII est aveuglement vénéré par les assomptionnistes, comme le fut Pie IX. La bénédiction du pape pour le pèlerinage aux Lieux Saints ne fait que renforcer les sentiments des religieux et les conforter dans leur mouvement pèlerin. Tout au long des caravanes assomptionnistes, le soutien papal ne faiblit pas. L’un des aspects les plus concrets de cet attachement réciproque est la distribution aux pèlerins d’une croix rouge doublée de blanc, en laine, qui avait été donnée pour la première fois par le pape aux pèlerins du premier pèlerinage national à Rome. C’est la croix, dans de moindres proportions que les francs portaient sur la poitrinequand ils avaient fait le vœu de la croisade. Mgr Robert, évêque de Marseille est chargé de la distribution : « Mgr Robert bénit les croix, et les donne aux prêtres et aux laïcs placés dans le sanctuaire, en prononçant ces belles paroles liturgiques : « Reçois le signe de la croix, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, comme une image de la passion et de la mort de Jésus-Christ, afin qu’elle soit un gage de protection pour ton corps et pour ton âme, et que, par la grâce de la bonté divine, ton voyage terminé, tu puisses revenir sain et sauf chez les tiens. (…) Sur cette croix, que les pèlerins ont porté sur leur poitrine pendant tout le pèlerinage, est inscrite cette fière devise : Servire Domino Christo » 260 . Cette devise avait été donnée par le pape Pie IX au Conseil Général des pèlerinages et devient la devise générale de tous les pèlerinages.
Second pilier, la « France catholique », cette France qui par son soutien, ses souscriptions, a permis l’organisation de l’événement que représente mille pèlerins en Terre Sainte : « La France catholique a les yeux fixés sur cette sainte et douloureuse caravane qui, en plein XIXe siècle, a commencé la course pénible mais voulue de la pénitence » 261 . Dans cette France catholique, le soutien d’une majorité d’évêques apparaît comme essentiel, ce qui permet à Léon XIII d’affirmer : « Nous nous réjouissons de voir cette entreprise approuvée et encouragée par la plupart des évêques de France » 262 . Mgr Robert, évêque de Marseille, est le symbole de cet engagement du clergé séculier, puisqu’il bénit tous les pèlerinages en partance pour la Terre Sainte, et cela pendant 18 ans jusqu’à sa mort en 1900. A cela, il ne faut pas oublier l’ensemble des prêtres qui participent directement ou indirectement au pèlerinage et aux 25 congrégations qui se font représenter en 1882.
Enfin le Père Picard, qui, pour propager cette force spirituelle au printemps 1882 s’appuie fortement sur les pèlerins, sur cette « légion sacrée », sur ces pionniers des Pèlerinages de Pénitence en Terre Sainte, pour atteindre son dessein d’une société catholique forte et unie, capable de remettre Dieu au centre de la société. Ces pèlerins, comme ceux de La Salette, dix ans plus tôt, doivent être les pionniers d’une France qui a renoué avec Dieu.
Nous avons évoqué précédemment l’engagement spirituel, physique et … financier que représente un tel périple et il va falloir toute l’énergie, la fougue et la foi du supérieur de l’Assomption pour que ce groupe de 1000 pèlerins accepte des situations inconfortables, souvent périlleuses, sollicitant à chaque instant la solidité de leur foi. Ainsi, à Marseille, devant les premiers problèmes matériels (inconfort, manque de places…), les pèlerins commencent à s’agiter contre les organisateurs et le Père Picard improvise un discours montrant cette volonté hors du commun, empreinte d’un certain panache :
- « Ce serait un acte de folie, si ce n’était un acte de foi. Nous allons à Jérusalem prier et souffrir pour implorer le salut de la France. Pèlerins, acceptez-vous cette glorieuse et mortifiante mission, faites-vous à cette heure le sacrifice de votre vie pour affirmer votre foi ?
Oui, oui, répondent les mille voix.
Ce sont des cris, des sanglots. Le calme est rétabli.
Si Dieu vous appelle à lui, déclarez-vous vouloir mourir en fils soumis de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, en martyrs de votre foi pour la restauration chrétienne de votre pays ?
Oui, oui.
Et bien puisque vous êtes prêts à tous les sacrifices et qu’aucun de vous ne s’effraie, il y a un sacrifice immense que nous sommes obligés de vous demander.
Lequel ? parlez, parlez.
Le sacrifice de votre volonté. Vous avez promis obéissance et bien faites de cette promesse un serment.
Tous, jurez vous d’obéir à la direction du pèlerinage sans murmure, malgré les déboires, malgré les difficultés jusqu’au sacrifice de votre vie ?
Le tonnerre des voix répond cinq fois de suite : oui, oui, nous le jurons » 264 .
Lucien Guissard, évoquant le charisme du Père d’Alzon, commente :
« Le charisme est un don de l’Esprit fait à une personne, pour le bien de la communauté. Il est ordonné à la prédication de l’Evangile et à la sanctification ; le mot convient à un fondateur, pour la raison que, parmi les dons de l’Eglise, celui qui appelle à faire vivre en Eglise une famille de fidèles pour le bien de tous présente un caractère qui ne se confond pas avec les autres » 265 . Le Père Picard est aussi l’un de ces hommes charismatiques qui, par ses propos, fait promettre à mille pèlerins de remettre leur vie entre ses mains.Ce discours, poignant, excessif, mais pleinement révélateur du fonctionnement des membres de la congrégation, qui en partance pour la « Jérusalem céleste », déjà dans un monde surnaturel, ne peuvent se permettre d’avoir des pèlerins touchés par des problèmes matériels alors que la Terre Sainte les attend. Mais ce discours correspond in fine à la vision du monde des assomptionnistes, où chaque homme, chaque femme, s’abandonne à Dieu, en totale confiance, dépouillé de tout ce qui l’encombre.
Le livre des pèlerins, édité en priorité pour ces derniers, permet, grâce aux multiples psaumes, d’être en permanence relié au Christ.
Les Augustins de l’Assomption vivent depuis 10 ans à travers l’organisation des pèlerinages dans un univers de combat pour réinstaller Dieu au cœur de la France face au monstre « tricéphale » que sont la franc-maçonnerie, le judaïsme et le protestantisme. Ce pèlerinage est la consécration de cette lutte, mais peut-être aussi l’ultime chance d’instaurer le royaume de Dieu.
J.T de Belloc, op. cit., p.4.
Le Pèlerin, n°280, 1882.
Lettre de Léon XIII au Père Picard, Le Pèlerin, n°272, 1882.
Jérusalem, tome 1, 1904-1905, AAV.
1 e pèlerinage de pénitence, AAJ, document interne.
Lucien Guissard, les assomptionnistes d’hier à aujourd’hui, Paris, Bayard, 1999, p.23.