Pour certains, dont la foi est peut-être timide et les rêves remplis des images d’Orient de L’itinéraire de Paris à Jérusalem, la pénitence ne tarde pas à prendre tout son sens. La tempête qui secoue la Guadeloupe et la Picardie, à la sortie du port de Marseille, est un avant goût de ce qui les attend de l’autre côté de la Méditerranée.
Essayons dans un premier temps de nous représenter la vie, non pas spirituelle, mais matérielle, à l’intérieur des bateaux. L’abbé Alazard se trouve pèlerin sur la Picardie et décrit son installation (nous ne savons pas dans quelle classe il se trouve, mais il faut espérer que ce n’est pas la première !) : « Pour avoir une idée de cette installation, il faut se représenter les étagères d’une bibliothèque. Chaque étagère était divisée par compartiments ayant chacun 50 à 60 centimètres de large sur une longueur de 1m80 à 1m90. Un petit matelas, une paire de draps de lit, une couverture, un traversin, et sous ce traversin une ceinture de sauvetage en bois de liège, voilà notre lit de repos pour les nuits de la traversée et les crises du mal de mer. Trois rangs de couchettes étaient ainsi superposés. Il va de soi que pour y grimper, et s’y installer chacun doit user de son adresse et de son industrie particulières. Et ce n’est certes pas la moindre affaire. Telles étaient nos cabines, un vrai cercueil » 281 .
Heureusement, la traversée ne dure que cinq jours, bien loin des années de voyage des croisés !
Qu’en est-il une fois en Terre Sainte, le long des sentiers bibliques qui traversent la Galilée, la Samarie ou la Judée ?
Les premiers sentiments d’inconfort commencent sur le Mont Carmel où les pèlerins passent leurs premiers instants en Terre Sainte : « M. de Moidrey, M. le Comte de Piellat et M. Bailly n’avaient pu œuvrer à toutes les difficultés d’entretenir et de loger un millier de personnes en un lieu où tout manquait. Le premier soir on dû se coucher paraît-il sans indigestion. On ne connut pas le « luxe oriental, ni le confort de l’occident ». Chacun cherchait à tâtons, dans l’obscurité, une pierre pour manger assis un morceau sur le pouce, un peu au hasard de la fourchette » 282 . Concernant les repas, le Pèlerin a prévenu : « Quand à la nourriture, on y pourvoira : il faut avoir en vue de vrais pèlerins, appartenant en bon nombre à cette classe de la société où l’on sait se suffire à soi-même ; assez pieux pour consentir à livrer, dans une certaine mesure, à l’imprévu l’heure du déjeuner, voire même celle du dîner » 283 . Pour le coucher, l’inconfort semble de mise même si le récit peut paraître déformé par une comparaison biblique, mais vu l’endroit, il ne peut en être autrement : « Les lits étaient aussi rares que les chaises et les tables. Sur mer les matelas ne manquaient pas, mais pas de place pour les étendre. Au Carmel, on avait de la place mais pas de matelas. Beaucoup se contentèrent de quelques nattes ou d’une couverture pour couchette, d’une pierre pour oreiller à l’exemple du sauveur » 284 .
De ce premier contact avec la Galiléé, l’agence Cook est le bouc émissaire désigné des carences de l’organisation :
« La piété des pèlerins (…) commençait à avoir raison de leur première ardeur si on en juge aux murmures qui commençaient à s’élever dans le camp. Leurs plaintes sur l’organisation défectueuse de l’agence Cook à laquelle on s’était confié, étaient fondées, le logement des tentes était aussi élémentaire que celui du Carmel » 285 . A cela, il faut ajouter l’inconfort des montures, dont l’harnachement a peu évolué depuis Chateaubriand : « imaginez sur leur dos un grand bât et par-dessus un matelas. Elles n’ont ni bride ni étriers. On s’est contenté de leur passer une corde autour du cou. C’est par le moyen de ce seul licol qu’il faudra la conduire pendant cinq jours » 286 .
Un des grands moments de pénitence semble être la traversée de la Samarie pour rejoindre Jérusalem. Nous avons évoqué précédemment les craintes du consul concernant un tel périple ; il s’inquiète également d’une trop grande ferveur pénitente des pèlerins : « Pas de jeûnes, de mortifications, ou bien vous remplirez la Palestine de vos malades. Nous sommes en train de vous préparer il est vrai un hôpital tout neuf, auquel le gouvernement de la République vient d’allouer 10.000 francs pour l’achat d’ameublement et de lingerie. Mais nous serons enchantés, je vous le confesse d’avoir pêché par excès de prévoyance » 287 .
Le Père Picard, à la tête de 500 croisés intrépides, n’en fait pas cas et s’élance à travers les montagnes de Samarie. Dans un compte rendu du pèlerinage, la Revue du Diocèse de Lyon montre le formidable courage, chrétien, qu’eurent ces pèlerins : « Dans la périlleuse pérégrination de Nazareth à Jérusalem, pas un accident à déplorer ! Les pèlerins ont souffert horriblement de la chaleur (…) Plusieurs ont roulé 3 ou 4 fois sous les pieds de leurs chevaux, pas une jambe cassée ! Les montures étaient pitoyables, (…) nonobstant, ce tout, le beau monde de Paris et d’ailleurs montait avec la gaîté comme s’il se fut agit de confortables calèches » 288 . Le Frère Liévin, guide accompagnateur de la caravane y verra une protection divine : « la protection de la Sainte Vierge est évidente. Je n’ai jamais conduit de caravane de 40 à 50 qui n’ait eu des accidents sérieux » 289 . Tous les pèlerins, et les organisateurs se font une joie de voir dans cette traversée heureuse de la Samarie une protection divine, les encourageant dans la poursuite de croisades de pénitence.
Il s’avère cependant que arrivés quelques kilomètres au nord de Jérusalem, certains prêtres ont des envies de meurtre : « Les dangers signalés furent plus imaginaires que réels ou au moins avait été bien exagérés ; par contre les sacrifices qu’il fallut s’imposer durent être bien grand pour qu’un soir, à Silo, je crois, plusieurs abbés, qui sans doute s’étaient promis de ne pas tant souffrir, avaient décrété à l’écart, le Père Picard digne de mort pour l’inhumanité de son entreprise » 290 .
Le séjour à Jérusalem se passe par contre sans problèmes particuliers, et chaque congrégation semble avoir fait un grand effort pour accueillir au mieux les pèlerins : « Des préparatifs se font dans les maisons religieuses pour recevoir nos compatriotes. (…) Pour préparer à nos pieux pèlerins l’hospitalité la moins incommode possible. Sans doute aucun ne sera logé luxueusement, mais tous trouveront près de nous la plus franche sympathie et la plus affectueuse charité » 291 .
Ces propos, parfois anecdotiques, permettent cependant d’avoir un aperçu des difficultés à circuler en Palestine à la fin du XIXe siècle. Mais surtout ils révèlent le formidable ascendant que le Père Picard a sur ses pèlerins et cette obéissance sans faille apparente qu’il a réussi à imposer depuis le départ. Les statistiques montrent qu’il n’y a eu que trois décès, ce qui est somme toute acceptable pour un tel périple, alors que l’une des caravanes de Furstenberg avait vu disparaître la moitié de ses pèlerins ( ce n’était il est vrai pas la même échelle). Les trois morts sont l’abbé Gilbert Laurent, au moment d’embarquer, l’abbé Rouèche, curé de Chèvremont (Haut-Rhin) et le frère Simon, assomptionniste, un peu avant le retour à Marseille.
Abbé Alazard, op. cit., p.17.
1 e pèlerinage de pénitence, AAJ, document interne.
Le Pèlerin, n°251, 1881.
1 e pèlerinage de pénitence, AAJ, document interne
Ibid.
Ibid.
MAE, Nantes, Jérusalem, A, 122/124.
Revue du diocèse de Lyon, n°2, 1882.
A. Alazard, op. cit., p.72.
1 e pèlerinage à Jérusalem, AAJ, document interne.
Les Missions catholiques, OPM, tome 14, 1882, p.223.