On dénombre 425 prêtres séculiers ou réguliers, ces derniers représentant près de 25 congrégations : « Pour la première fois peut-être depuis la naissance du christianisme, on voyait réunies en un même acte d’expiation autant de familles religieuses : on en comptait au moins vingt cinq » 295 . Il semble que pour nombre d’instituts c’est l’occasion d’un premier rapport avec la Terre Sainte et la perspective éventuelle d’une installation sur cet espace sacral. On trouve présent les carmes déchaussés, les bénédictins, les dominicains 296 , les capucins, les jésuites, les maristes…
Certains religieux viennent en Terre Sainte pour se préparer à de nouvelles missions. Ce fut le cas pour l’abbé Ginier qui est par la suite envoyé comme missionnaire à Corpus-Christi au Texas. D’autres évoluent dans les hautes sphères romaines comme l’abbé Mougeot, secrétaire de Son Eminence le cardinal Pitra. D’autres encore ont en charge la préparation de futurs ecclésiastiques comme l’abbé Saunier, directeur au grand séminaire de Besançon (Doubs).
Parmi les séculiers, on ne compte pas d’évêques en exercice malgré leur soutien à cette entreprise (la durée du voyage étant peut-être une explication ). Il est cependant à noter la présence du futur évêque de Dijon en 1885, Mgr Castillon, ainsi que d’un prélat du Pape, Mgr Baud. Si l’absence d’évêques est totale, de nombreux vicaires généraux ou chanoines sont présents. On note ainsi la présence du vicaire général de Rodez l’abbé Touzery (dont le département est fortement représenté), du chanoine titulaire à la cathédrale de Fréjus, l’abbé Durand ou encore du chanoine Roussillon, vicaire général de Chartres. A ces hommes de premier plan dans leur diocèse, succède la cohorte de prêtres de paroisses qui ont participé au pèlerinage grâce aux souscriptions. Sachant que plus de deux cent pèlerins ont pu obtenir un trajet à titre gratuit, la majorité des places en est allé à des religieux en raison des demandes des donateurs en faveur de prêtres peu fortunés. Nous ne nous lancerons pas dans une étude micro-historique de ces religieux, car nous ne possédons pas de renseignements précis sur chacun d’eux, tant sur leur origine, que sur leur parcours religieux. On peut simplement signaler qu’ils viennent de toutes les parties du pays avec une prédominance de la France rurale. La majorité a charge de paroisse, à l’image de l’abbé Millet, curé de Blacé dans le Rhône. Pour d’autres, ils sont professeurs ou directeurs d’instituts, à l’exemple de l’abbé Defontaine, directeur au collège Saint-Bertin, à Saint-Omer. D’autres sont aumôniers, soit auprès de congrégations religieuses comme l’abbé Malignon auprès des clarisses à Vals-les-Bains (Ardèche), soit d’hôpitaux comme c’est le cas pour l’abbé Lacroix à l’hôpital Saint-Frai, à Tarbes.
…aux laïcs
Ils représentent l’autre moitié des pèlerins.
Les archives du pèlerinage ne nous renseignent pas sur la profession des pèlerins ce qui ne nous permet pas de connaître l’origine sociale de ces personnes. Seule l’adresse peut nous donner des renseignements, en particulier quand le pèlerin est domicilié dans un château. Dans les comptes rendus du pèlerinage, il est ainsi surtout mis en avant l’élite de la société participant à cette croisade pacifique, à l’image de cette scène qui se veut d’une grande égalité chrétienne : « Sur la Picardie, on demanda des servants, hommes de bonne volonté, pour activer le service des tables, en un mot, pour se faire domestiques. Aussitôt on s’offrit en nombre. On était tout ému d’être servi par des hommes du plus haut rang, par des prêtres. Aujourd’hui, s’écriait le commandant tout impressionné, j’ai reçu un honneur que n’ont pas eu et que n’auront jamais nos plus grands ministres. J’ai été servi à table par M. de Belcastel, M. de Lacroix, M. de l’Epinois… » 297 . Cette « élite de la société » est en forte majorité issue de la noblesse à l’image de Louis de Baudicourt de Paris ou du Comte de Malet de Coupigny ou de ceux précédemment cités comme organisateurs.
Il nous est par contre impossible de connaître les membres qui logent en deuxième ou troisième classe, si ce n’est à travers des traits particuliers ou anecdotiques. Ces remarques sont souvent introduites pour illustrer un bon chrétien comme Jean-Baptiste Laroudie « vrai Benoît Labre, qui sera quatre fois pèlerin, et qui mourut en odeur de sainteté au moment d’entreprendre son cinquième pèlerinage en 1889 » 298 ; ou un repenti : « nous reçûmes un brave gendarme venu à pied pour expier d’avoir été employé aux expulsions des religieux ; en vrai pénitent, il coucha toutes les nuits sans matelas, sur la planche » 299 . D’autres font preuve de charité chrétienne, à l’image d’Antoine Joly qui a eu « l’extrême obligeance et l’étonnante adresse de faire marcher et sonner, avec la dernière exactitude, l’horloge principale de l’Ecce-Homo, arrêtée depuis des années, faute d’un artiste capable de remettre le bon ordre dans un mécanisme des plus compliqués. Il y a consacré deux jours entiers, deux précieux jours de son pèlerinage » 300 . Enfin le dévouement absolu, comme un nommé Maurice de Neuilly « artiste modeleur sur pierre et sur bois, qui a bien voulu rester quelques années à Saint Pierre pour initier les jeunes Arabes aux divers secrets de son art » 301 .
Si l’on prend l’exemple du diocèse de Lyon, on dénombre 22 pèlerins. Ce sont pour 17 d’entre eux des laïcs. Concernant les religieux, on dénombre trois religieux réguliers : un franciscain, un capucin, un missionnaire des chartreux et deux séculiers, un vicaire lyonnais et un prêtre du Beaujolais (commune de Blacé). Huit femmes font parties de cette « délégation » diocésaine, pour six d’entre elles, ce sont des veuves ou des demoiselles. Melle Catherine Portier, de l’Ile Barbe (Lyon) se rendra par deux fois à Jérusalem.
Géographiquement, 17 pèlerins sont domiciliés à Lyon ou dans sa proche banlieue. Les autres sont du département de la Loire (Saint Etienne ou Saint Chamond) ou dans le Beaujolais pour le prêtre de Blacé.
Le diocèse de Lyon est loin d’être le plus important du pèlerinage mais les 17 catholiques lyonnais sont les dignes représentants d’une ville surnommée au XIXe siècle « le petit Vatican », en raison des multiples couvents présents à travers la ville.
A travers la présence des femmes, au nombre de 246 soit près du quart du pèlerinage, on constate l’évolution des caravanes qui ont commencé à accepter des pèlerines seulement 14 ans plutôt, à cause des dangers du pays. En 1882, elles font pleinement partie de la pérégrination en direction de la Terre Sainte, et même si le Père Picard a craint un temps la présence de couples, il ne fut jamais question de limiter le pèlerinage aux seuls hommes. Parmi les pèlerines, nous avons précédemment signalé qu’il s’agit en majorité de célibataires, 179 sur 246. Ce chiffre peut s’expliquer par le fait que se sont de jeunes filles ou des dames qui accompagnent un membre de leur famille ou le prêtre de leur paroisse. C’est le cas d’Adelaïde de Poulpiquet de Brescanvel accompagnée de sa mère et d’un autre membre de sa famille. Il peut également s’agir de dames s’étant retirées dans un couvent comme Mme Thierry, au couvent du Saint Esprit à Rouceux dans les Vosges. Elles peuvent être parfois des « bonnes du curé » comme Jeanne Lemercier habitant chez l’abbé Gromard à Dreux ou Louise Mezière domiciliée au presbytère d’Etreux dans l’Aisne. On note par contre la présence de seulement deux religieuses, Melle Greffier du couvent des Dames de Saint-Maur et Melle Berthe Blin, religieuse oblate de l’Assomption au Mans.
La description des pèlerins donne aussi lieu à des anecdotes…: « Nous apercevons un pèlerin qui porte au-dessus de sa tête un appareil mouvant comme un ballon prêt à partir. Il nous apprend qu’il est mécanicien, inventeur d’un système à sonner les cloches et qu’il a imaginé ce ventilateur (…). Un autre a formé comme une tente au-dessus de sa tête avec cette inscription : « Jérusalem (…) Il y en a un qui est vêtu d’une soutane blanche. On l’appelle le pape pendant quelques heures. Je dis quelques heures, car cet infortuné, très mauvais cavalier, fera des chutes multiples, et notamment plusieurs dans des mares, si bien que lorsqu’il fut au terme du voyage, sa soutane avait perdu toute trace de sa couleur primitive » 302 .
Par delà la présence persistante de laïcs issus de la noblesse et parfois fortunés, on peut affirmer qu’il s’agit bien d’un pèlerinage populaire avec en particulier les deux cents pèlerins bénéficiaires des souscriptions, et même pour les plus fortunés une volonté de faire taire les distinctions sociales qui peuvent exister en France. Nous sommes ainsi loin des caravanes de la rue de Furstenberg composées plus de touristes religieux que de pénitents.
Jérusalem, AAV, tome premier, 1904/1905, p.34.
Dont le Père Mathieu Leconte, de Nantes, futur fondateur du couvent St Etienne de Jérusalem.
Le pèlerinage de 1882, Jérusalem, AAV, tome premier, 1904/1905.
Ibid, p.36.
Ibid, p.37.
Annales de Notre Dame de Sion, op. cit., p.16.
Abbé Mourot, op. cit., p.60.
Abbé Alazard, op. cit. p.56.