La découverte de la Terre Sainte

Du Mont Carmel à la Ville Sainte

« Il y a dit Lacordaire, des lieux bénis par une prédestination qui se perd dans les secrets de l’Eternité (…) Le Mont Carmel est un de ces lieux. C’est de ce mont que le prophète Isaïe a dit qu’il a été revêtu de la gloire du Liban et de la beauté de Saron. (…) C’est un des lieux de la terre où se sont passés les plus solennels événements. Le paganisme l’eut en honneur. Il y adora un Dieu sous le nom de Carmel » 303 .

Figure 10
Figure 10 P. Germer-Durand, La première croisade de pénitence, récit illustré du pèlerinage populaire à Jérusalem, AAR, B62.

Le 5 mai 1882, les pèlerins de la Guadeloupe et de la Picardie débarquent à Caïffa, premier contact avec la Terre Sainte, pour les croisés pacifiques : « Quand Turcs ou Perses abordaient en Palestine, c’étaient pour mettre tout à feu et à sang. Le débarquement des pèlerins semblait aussi une invasion mais ils venaient seulement se sanctifier au contact de cette Terre Sainte. C’est ce qu’auraient dû comprendre les arabes ébahis quand ils les virent s’agenouiller et baiser ce sol aussitôt qu’ils le touchaient » 305 . Le débarquement se fait plus volontiers à Caïffa qu’à Jaffa en raison des récifs près du port qui obligent les bateaux à rester loin de la côte, ce qui entraîne des navettes de chaloupes où malgré la dextérité des marins les accidents sont fréquents.

Une fois sur la terre ferme, trois groupes sont formés (logiquement ils sont préparés en France puisque pour le 3e groupe, « les fous de Samarie », un supplément de 100 francs était demandé) 306 . Le premier groupe se borne à la visite du Mont Carmel. Le second poursuit sa route jusqu’à Nazareth, et revient au Carmel. Le troisième se rend également à Nazareth, puis au Mont Thabor, et gagne Jérusalem par Djenin, Naplouse et Silo, « parcourant la route que suivait Notre Divin Maître avec la Bienheureuse Vierge Marie et Saint Joseph » 307 .

Le 1e groupe de 250 pèlerins reprend la mer après le séjour à Caïffa en direction de Jaffa et il est le premier à faire son entrée dans Jérusalem, dans la nuit du 9 au 18 mai.

Les 750 autres pèlerins, pas encore dissociés, prennent la route de Nazareth dans un mouvement qui doit s’avérer impressionnant. On laisse l’intarrissable abbé Alazard décrire ce moment : « Six cents montures, chevaux, mulets, ânes, attendent leur cavalier. Un troupeau de chameaux, les genoux ployés, reçoivent sur leur dos des poids énormes. Ce sont nos effets et les objets du campement (…). Les moukres ou guides vont viennent au milieu de cet assemblage. Ils sont généralement de beaux hommes, forts, vifs, alertes, bons marcheurs, bienveillants. (…) Nous nous engageons les uns à la suite des autres dans un sentier étroit et d’une rapidité extrême. On ne saurait imaginer rien de plus original et de plus pittoresque que cette marche » 308 .

A Nazareth, le 2e groupe fait demi-tour pour rejoindre Caïffa, puis la mer, Jaffa et Jérusalem. Quand au 3e groupe, celui des intrépides, ils entreprennent sous la direction du P. Picard la traversée de la Samarie, ce sont les croisés par excellence. Ainsi, malgré toutes les contre indications, les mise en garde, le groupe des 500, derrière l’énergique supérieur de l’Assomption, entreprend son périple (la décision d’affronter la Samarie et non la mer, a peut-être son explication anecdotique dans le fait que le Père Picard craint énormément les voyages en bateau, ce qui lui a valu de passer les 5 jours de la traversée malade dans sa cabine).

Quatre étapes sont nécessaires pour franchir les 130 kilomètres qui sépare Nazareth à Jérusalem : Djenin, Naplouse, Silo et Jérusalem.

Sur des montures peu confortables, de vagues sentiers, un soleil entêtant et une population au mieux surprise, sinon hostile, la traversée de la Samarie reste l’événement du pèlerinage en dehors des manifestations de Jérusalem. Nous nous bornerons à évoquer l’étape de Naplouse, ville qui a toujours été perçue comme hostile aux chrétiens, aux étrangers, d’un grand fanatisme religieux. L’abbé Mourot, héroïque croisé démontre le contraire : « Le soleil commençait à disparaître quand nous entrâmes à Naplouse. Notre arrivée au milieu des habitants fit sensation : tous les regards étaient fixés sur nous. On nous avait dit que la population de Naplouse était fanatique, ennemie des chrétiens et surtout des Francs ; nous n’avons rien remarqué d’hostile ni même d’antipathique dans son attitude. (…) Nous allons terminer cette journée dans notre campement, où la table commune est dressée dans le lieu où campa jadis Abraham. Une foule de Turcs de tout âge nous entourent avec curiosité pour nous voir manger à l’européenne ; leurs yeux se portent surtout sur nos couteaux et nos fourchettes, dont-ils contemplent la manœuvre avec étonnement. Nous passons dans leur esprit pour les plus ridicules et les plus sauvages de tous les hommes » 309 .

Le miracle s’est bien produit puisque, malgré les multiples mis en garde, les 500 croisés arrivent, fatigués, sales, mais sains et saufs à Jérusalem.

Le vendredi 12 mai, huit jours après le débarquement à Caïffa, les pèlerins de Samarie arrivent en vue de Jérusalem, moment de la réunion des trois groupes et d’une entrée officielle et solennelle dans la Ville Sainte.

Notes
303.

Abbé Alazard, op. cit., p.43.

304.

P. Germer-Durand, La première croisade de pénitence, récit illustré du pèlerinage populaire à Jérusalem, AAR, B62.

305.

1 e pèlerinage de pénitence, AAJ, document interne.

306.

Voir la carte détaillant l’itinéraire des trois groupes p. 244.

307.

AAR, CLU 5 H22.

308.

Abbé Alazard, op. cit., p.55-56.

309.

Abbé Mourot, op.cit., p.211.