Jérusalem ne possédant pas d’hospices et d’hôtels capables d’accueillir la totalité des pèlerins, ils doivent se répartir dans les différentes maisons catholiques de la ville : le Patriarcat, le couvent des franciscains, l’hospice autrichien, Sainte Anne, le couvent de l’Ecce Homo des sœurs de Notre Dame de Sion, la maison Saint-Pierre de Sion, l’école des sœurs de Saint Joseph, l’école des frères des écoles chrétiennes, la maison des grecs-unis. Tous ces établissements se trouvent à l’intérieur de la ville, à l’exception de la maison de Saint Pierre qui est à environ 20 minutes de la porte de Jaffa. Une autre maison souvent fréquentée est l’hôpital Saint Louis, premier hôpital catholique français en Palestine construit par Mme de Piellat et son fils. Le docteur Sabadini, français, attaché à cet établissement, accompagne le pèlerinage tout au long de son périple.
Toutes les congrégations ont prêté un concours chaleureux dans l’hébergement, au départ impensable, de 1000 pèlerins. Elles ont certainement à cœur de participer à ce formidable déploiement catholique, sur une terre qui leur a longtemps été hostile, où les manifestations extérieures sont interdites, les constructions compliquées. Cet événement apparaît comparable à l’ouverture des eaux de la Mer Rouge au peuple élu. De plus elles obtiennent en compensation de nombreuses aumônes et objets religieux comme ceux que reçoivent les sœurs de Notre Dame de Sion : « Melle Combier de Nîmes, a donné un bel ornement blanc, brodé par elle-même, et une généreuse provision de linge sacré. L’abbé Petit, nous a offert au moyen d’une association particulière de souscripteurs, une fort belle statue de Sainte-Philomène. Melles Marie et Rose Dedieu, modestes ouvrières de Toulouse, une machine à coudre et une montre » 319 .
Nous pourrions multiplier ces exemples d’une profonde amitié ou du sentiment de reconnaissance qui s’installe entre catholiques, même s’il faut préciser que les religieux des congrégations catholiques de Jérusalem sont en forte majorité français, ce qui accentue les liens.
Le programme à Jérusalem s’oriente vers tous les Lieux Saints de la ville, en priorité le Saint Sépulcre, lieu de la crucifixion, de la mort et de la résurrection du Christ, le Mont des Oliviers, le Mont Sion, la Via Dolorosa. A cela il faut ajouter des visites aux différentes communautés catholiques de la ville, et en priorité aux autorités que sont le patriarche, Mgr Bracco et le custode de Terre Sainte, gardien des Lieux Saints depuis la chute de Jérusalem et la fin des royaumes chrétiens. C’est également une succession de messes pour les plus de 400 prêtres dont le rêve est de célébrer la messe à Jérusalem et plus particulièrement au Saint Sépulcre.
Pendant ce séjour à Jérusalem, des excursions sont organisées à Bethléem, distante de 6 kilomètres avec la Ville Sainte, en une journée, voire une demi-journée, où seule la basilique de la Nativité est visitée.
Pour être complet sur l’itinéraire des pèlerins en Terre Sainte, une excursion est proposée à Jéricho et au bord de la Mer Morte ainsi qu’à Hébron. Peu nombreux sont les pèlerins à s’y rendre, et on n’y déplore aucun accident. Dans le programme du pèlerinage, la proposition de cette excursion est seulement pour les plus résistants : « Les plus robustes pourront entreprendre le pèlerinage du Jourdain et de la Mer Morte, mais on ne le conseille pas » 320 .
Le mardi 30 mai, c’est le départ de Jérusalem en direction de Jaffa où croisent les deux « basiliques flottantes » qui lèvent l’ancre le 31 mai. Huit jours plus tard c’est l’arrivée à Marseille et la dispersion des pèlerins après un Te Deum à ND de la Garde.
Ce récit du premier pèlerinage populaire de pénitence met bien en évidence les bases sur lesquelles se sont construites ces caravanes appelées à durer. Nous avons particulièrement essayé de développer ce moment unique que représente pour les catholiques intransigeants, rejetés de leur mère patrie, ce retour en Terre Sainte. La notion de Croisade, dont ils usent à outrance, reflète clairement l’état d’esprit de ces guerriers de la foi qui voient tomber leur citadelle les unes après les autres en France et viennent chercher un réconfort au Saint Sépulcre. La pénitence demandée, l’obéissance imposée sont le reflet de cette époque critique pour ces catholiques et le retour vers la Palestine, que l’on découvre comme un monde supranaturel, l’ultime recours. Le directeur de l’Oeuvre des Ecoles d’Orient, E. Dauphin, qui soutient ce pèlerinage, n’ayant pu y participer pour des raisons de santé (il décède en décembre 1882), en fait a posteriori l’éloge : « Par ce temps d’impiété et de haine anti-chrétienne qui attriste et épouvante les âmes sérieuses, qui donc oserait dire que ce n’est pas une noble et courageuse pensée, que de se donner pour mission d’apaiser la colère de Dieu, en s’en allant, à travers les dangers et les fatigues d’une longue traversée, prier pour le pardon des coupables, le salut de la France et le maintien de la foi » 321 .
En somme, ce pèlerinage de 1882 ouvre la voie, comme l’avait fait en son temps Chateaubriand, à une multitude de pèlerins catholiques de France, d’Europe, d’Amérique, sur une terre qui sort de sa torpeur ottomane pour devenir ou redevenir le phare du monde chrétien.
Abbé Sagary, Sur mer et sur terre, Paris, 1896. Cette carte de Jérusalem date du début des années 1890 et Notre Dame de France n’existe pas encore lors du pèlerinage de 1882. Voir également annexe pour d’autres cartes de la Ville Sainte.
Annales ND de Sion, op. cit., p13.
Le Pèlerin, n°264, 1882.
E.Dauphin, Bulletin de l’Œuvres des Ecoles d’Orient, juillet 1882, n°130.