L’évolution de la population en Palestine au cours du siècle

Nous aborderons d’abord la population palestinienne d’un point de vue non confessionnel, aspect qui nécessite une étude plus approfondie et que nous étudierons plus longuement par la suite.

Pour les Européens, les habitants de Palestine sont perçus de manière indistincte comme des Arabes, à mi-chemin entre nomades et sédentaires. Charles Clermont-Ganneau s’interroge sur le sens à donner à cette race arabe : 

« Les paysans de Judée sont des Arabes, dit-on; je le veux bien, en ce sens qu’ils parlent arabe ; mais il faudrait une bonne fois s’entendre sur ce nom vague et décevant d’Arabe qui recouvre tant de races distinctes, tant de débris hétérogènes (…) La race non citadine, aux mœurs sédentaires, aux habitudes originales, au langage même plein de particularités, qui occupe la Judée, notamment la partie montagneuse (…) n’est nullement, comme on l’admet d’ordinaire, celle à laquelle appartiennent les hordes nomades venues de l’Arabie avec les généraux d’Omar» 345 .

Malgré les questions posées, les préjugés existants, ce pèlerin comme les autres a beaucoup de mal à définir cette population aux origines multiples, tout ceci étant bien évidemment doublé d’un regard négatif à l’encontre de ces arabes à forte majorité musulmane. Cela n’empêche pas de succomber aux charmes féminins de ces populations : « Rien de plus délicat pour un Européen que de frayer, en tout bien tout honneur s’entend, avec les femmes fellah de la Judée, qui cependant ne se dérobent pas sous le voile des musulmanes des villes et se bornent tout au plus à se masquer parfois la bouche avec leur longue manche bleue (…) Il faudrait être femme pour approcher ce gibier sauvage, et une européenne qui serait suffisamment préparée pour pénétrer sans intermédiaire, de plain-pied dans le harem obscur de leurs idées et de leurs traditions y ferait au profit de la science, un butin autrement précieux que dans les sérails bien peu intéressants du Caire et de Constantinople» 346 .

Les recensements de la population palestinienne sont très flous, à l’image des statistiques de l’administration ottomane, avec des régions peu visitées par les agents recenseurs comme ce fut le cas pour la Palestine, des groupes ignorés comme le furent les Bédouins et des négligences en particulier vis-à-vis des chrétiens non concernés par le service militaire.

Les statistiques de Roger Pérennés sur l’évolution démographique de la Palestine au XIXe siècle s’avèrent les plus fiables. Le premier constat est que sur l’ensemble du siècle, il y a une évolution positive de la population. On note cependant une stagnation à la fin des années 1850, et plus particulièrement avec l’épidémie de choléra de 1865-1866 qui fait des ravages : « En novembre 1865 le consulat français faisait part de 1059 morts à Jaffa en 32 jours et de 1760 à Naplouse en 18 jours ; 432 furent déclarés décédés à Gaza et 800 à Jérusalem jusqu’en novembre 1865. Les gens s’enfuyaient des villes, y compris le personnel des consulats, mais ils étaient rattrapés par l’épidémie à la campagne. Durant l’hiver, elle fit rage dans le nord de la Palestine. En juin 1866, le consul de France faisait savoir que le choléra subsistait encore à Tibériade » 347 .

Après cette épisode dramatique, la population connaît une augmentation constante jusqu’au mandat britannique.

René Pérennés s’appuie sur le recensement ottoman de 1872 qui, d’après lui, présente une certaine fiabilité :

Tableau n°1
Tableau n°1

D’après le tableau n°1 distinguant les villes et les campagnes pour l’ensemble de la Palestine mandataire (le tableau inclut les Kazas d’Ajuin et de Salt qui sont à l’est du Jourdain), on compte 64580 foyers au total et dans la majorité des cas un nombre supérieur dans les campagnes par rapport aux villes. Pour le kaza de Jérusalem, on dénombre 7320 foyers en campagne (soit 116 villages) et 2393 en ville. 348

Tableau n°2
Tableau n°2 Ibid, p.132.
Tableau n°3
Tableau n°3

Le tableau n°2 établit le chiffre global de la population pour le kaza de Jérusalem à 43 920 habitants d’après le recensement ottoman. Enfin, le tableau n°3 précise le nombre d’habitants dans les villes, avec une démographie galopante pour les villes de Jérusalem qui passe de 9000 en 1800 à 62 500 en 1922 ; il en est de même pour Haïffa qui passe de 1000 habitants en 1800 à 24600 en 1922. L’évolution la plus spectaculaire étant pour Jaffa dont le nombre d’habitants est de 2750 en 1800 et qui passe à 47700 en 1922.

L’augmentation très significative de ces trois villes s’explique par le développement économique de la Palestine, l’importance prise par les deux ports que sont Jaffa et Haïffa et par le rôle de plus en plus central qu’occupe Jérusalem aussi bien du point de vue politique que religieux. La seule ville qui connaît une évolution négative de sa démographie est Acre avec une population qui passe de 8000 habitants en 1800 à 6400 en 1922. La principale explication réside dans le fait qu’Acre était au début du XIXe siècle le centre économique et politique de la région et que progressivement elle s’est vue détrônée par Jérusalem et préférée au niveau portuaire par sa voisine Haïffa.

Nicole Picaudou propose des chiffres globalement similaires sur la population des villes :

« - Jaffa, qui est aussi le port des pèlerins, est celle qui connaît la progression la plus spectaculaire passant de 2500 habitants en 1800 à 47 779 en 1922.

Haïffa, de 1000 à 24 000 aux mêmes dates.

Acre, de 10 000 en 1840 à 6420 en 1922, un repli qui s’explique par sa perte d’influence entre le début du XIXe siècle où elle fait figure de capitale de la Palestine et la fin du siècle où elle a été supplantée par Jérusalem ou Jaffa et Beyrouth pour l’activité portuaire.

Gaza, de 8000 en 1800 à 18 000 en 1880.

Jérusalem, de 10 000 en 1800, à 65 000 en 1922 350  ».

Pour résumer ces différentes données concernant la population du territoire de Palestine sous le mandat britannique, on estime approximativement le nombre d’habitants à 340 000 en 1850, 462 000 en 1882 et 757 182 en 1922.

La société palestinienne reste avant tout rurale, avec 65% de paysans musulmans dans le premier recensement mandataire en 1922. Ce chiffre peut laisser supposer un nombre bien plus élevé au siècle précédent. Le cœur de la société rurale reste le village et la majorité des Palestiniens est concentrée dans un peu plus d’une centaine de villages de taille et de richesse variables. Après la famille étendue, le village est l’élément le plus important dans la vie du fellah. Ses fonctions ne sont pas seulement sociales et économiques mais, au sens plus large, également politiques. La sécurité étant sujette à caution, l’honnêteté des collecteurs d’impôts également, les villageois unis sont plus à même de se prémunir contre les Bédouins en maraude et les collecteurs d’impôts.

En ce qui concerne les villes, elles ont connu un incroyable accroissement. Le développement des activités commerciales explique en partie l’expansion urbaine qui touche en priorité les villes côtières, où l’immigration d’Européens, religieux, sionistes ou colons est un facteur d’explication supplémentaire.

Notes
345.

Charles Clermont-Ganneau, op. cit, p.52.

346.

Ibid.

347.

René Pérennés, op. cit., p.104.

348.

Ibid, p.130.

349.

Ibid, p.132.

350.

Nadine Picaudou, les Palestiniens, un siècle d’histoire, Paris, Editions complètes, 1997, p.20.