La population palestinienne et sa mosaïque de confessions

Il apparaît impossible, dans cette partie du monde qu’est l’Orient biblique, d’aborder l’étude d’une population sans mettre en parallèle l’appartenance religieuse de cette dernière.

A la lecture de l’un des premiers guides de Palestine, la population palestinienne est caractérisée de la manière suivante : « Elle offre l’aspect d’un cosmopolitisme d’une espèce particulière. (…) Rien ici d’homogène, rien qui réponde à l’idée d’un peuple unifié et conscient, d’une patrie, d’un drapeau, mais une série de races et de religions divisées, subdivisées à l’infini, vivant juxtaposées, d’ailleurs en paix, et totalement in compénétrées et ignorées les unes des autres. Le lien le plus fort est la langue arabe, d’un usage général, et puis la main invisible, quoique lourde, du lointain padischah qui règne aux rives du Bosphore» ³⁵¹ .

La population palestinienne présente surtout à partir des années 1840 un melting pot d’origines, de confessions, de traditions, de ce formidable creuset propice à la création d’une société ouverte. Malheureusement, les différentes populations vont se refermer au sein de leur communauté, défendant de manière parfois violente leurs acquis ou leurs territoires.

De fait l’unité de cette population ne sera qu’un leurre et, pour les populations d’origine arabe, la seule unité se trouvera dans le nationalisme arabe face à la montée en puissance des nations d’Europe et des revendications sionistes. Jérusalem est la ville qui reflète le plus cette sensation de cosmopolitisme. Martin Gilbert évoque une véritable tour de Babel des langues que l’on peut entendre dans les rues étroites de Jérusalem : « The Christians and Muslim Arabs spoke Arabic. Their leaders, as well as the Turkish authorities spoke Turkish. The few hundred Armenians in the city spoke Armenian. Among the westerners, French was the principal language of communication. As for the Jews, as Vice-Consul Young noted their chief language were Spanish and Arabic. But contracts among them, “an their writing generally” were done in Hebrew. The Jews from Russia spoke Yiddish, the medieval German dialect of their ancestors” ³⁵² .

Au niveau confessionnel, on peut distinguer trois grands groupes d’importance : les musulmans, les chrétiens, les juifs. Concernant leur nombre au cours du XIXe siècle, on peut s’aventurer à donner quelques statistiques qui sont à prendre avec précautions surtout sur ces questions religieuses où les communautés ont tout intérêt à grossir le nombre de fidèles pour montrer leur importance aux yeux des autres. C’est particulièrement vrai pour les différentes églises chrétiennes ou pour les sionistes.

D’après une statistique de 1865 du Patriarcat latin de Jérusalem ³⁵³ , on dénombre pour la Terre Sainte environ 15 000 chrétiens unis à Rome, 105 000 orthodoxes, 280 000 musulmans et 20 000 juifs. Pour la ville de Jérusalem, les statistiques sont plus fiables, ainsi d’après le Patriarcat grec de Jérusalem ³⁵⁴ , sur une population en 1838 estimée à 10 920 habitants, on dénombre 5000 musulmans, 5000 juifs, 600 grecs orthodoxes, 200 latins et 120 autres chrétiens. D’après le Docteur Schultz du Consulat prussien, sur une population en 1845 estimée à 15 510 habitants, on dénombre 5000 musulmans, 7120 juifs, 2000 grecs orthodoxes, 900 latins, 350 arméniens, 100 coptes, 20 syriens, 20 abyssins. Une autre statistique concernant la ville pour l’année 1853 retranscrite dans les Annales de la Propagation de la Foi ³⁵⁵ et émanant certainement du Patriarcat latin de Jérusalem donne les chiffres suivants : sur 15 250 habitants on dénombre 7000 juifs, 4 900 musulmans « non compris les 1500 âmes de Siloë en dehors des murs » ³⁵⁶ , 1000 catholiques latins, 50 à 60 coptes, 50 grecs melchites, et 470 arméniens schismatiques.

A cette même date, Nazareth compte environ 3500 habitants, à savoir 600 latins, 250 grecs melchites, 220 maronites, 1200 grecs schismatiques, et un peu plus de ce dernier chiffre pour les musulmans ³⁵⁷ . Pour Jaffa, toujours en 1853, la ville compte une population de 10 690 habitants, à savoir 8 840 musulmans, 450 latins et maronites, 300 grecs catholiques ou melchites, 100 arméniens et juifs, 1 000 grecs schismatiques. Enfin pour Bethléem, sur une population de 3 965 habitants, on dénombre 2 000 latins, 1 500 grecs, 360 musulmans et 115 arméniens schismatiques ³⁵⁸ .

On peut constater que les musulmans représentent l’immense majorité des Palestiniens, ceci étant vrai pour l’ensemble du XIXe siècle et au-delà, puisque lors du recensement de 1922, la prédominance est encore massive avec 598 339 musulmans sur une population totale de 757 182 habitants. Les chrétiens restent la deuxième communauté par ordre d’importance jusque dans les années 1870, supplantés par la communauté juive qui atteint 83 957 personnes en 1922 contre 73 024 chrétiens. Il y a tout de même des particularismes à mettre en évidence comme le cas de Jérusalem où dès les années 1840, ce sont les juifs qui représentent la communauté la plus importante, et ils seront même majoritaires à partir des années 1870-80. Les chrétiens, déjà fortement divisés entre eux, ne sont majoritaires que dans certaines bourgades dont l’histoire biblique est de première importance à l’image de Nazareth ou Bethléem.