L’islam est la religion d’Etat de toute la Turquie, prépondérante en Palestine et plus encore dans le reste de l’Empire. La revue Jérusalem montre à travers le paysage de la ville sainte l’omniprésence de l’islam : « Le soir, quand le soleil tombe par delà les collines grises de Judée, empourprant les sommets, baignant de reflets violacés les derniers contreforts de Moab, les muezzins montent aux minarets de la Ville Sainte, et leur voix nasillarde et dolente s’épand sur la cité, appelant les « fidèles » à la prière. C’est l’Islam qui affirme sa domination sur les ruines de Jérusalem. L’antique Sion est aux mains des musulmans ; la mosquée d’Omar a remplacé le Temple » 359 .
Les R.R. P.P. Jaussen et Savignac, professeurs à l’Ecole Biblique de Jérusalem, éminents archéologues, donnent une approche précise de cette population musulmane : « Au point de vue de la race, il y a les Turcs et les Arabes. L’élément turc est très peu nombreux (quelques centaines à peine). Il comprend surtout des fonctionnaires généralement les plus élevés en grade, et quelques rares familles depuis longtemps établies dans le pays. (…) Ceux qu’on appelle Arabes en Palestine sont loin d’être tous des Arabes proprement dits. Les principales familles connues à Jérusalem, les Khaldi, les Husseini… prétendent descendre des premiers conquérants arabes qui se fixèrent dans le pays entraînant avec eux une suite nombreuse. Mais la masse des fellahs palestiniens est composée d’autochtones, de descendants des vieilles peuplades cananéennes qui ont vu se succéder tant de civilisations. Grâce à la langue et à la religion, devenues les mêmes pour tous, Arabes conquérants et Palestiniens conquis ne font guère plus qu’un» 360 .
Le Palestinien musulman a souvent été perçu par l’Européen, et plus particulièrement par le pèlerin, comme un fanatique rempli de haines contre les chrétiens, doublé d’un brigand toujours prêt à détrousser le pauvre pèlerin à l’image du célèbre Abou Gosh. L’abbé Conil dans son étude des différentes confessions présentes à Jérusalem montre que, si fanatisme il y a, il tend à s’estomper devant le cosmopolitisme de plus en plus fort de la région : « Les gens du peuple sont fanatiques encore, mais sensiblement moins qu’il y a un quart de siècle. La facilité plus grande des communications les a mis en rapport avec beaucoup d’étrangers, et ce contact varié a singulièrement adouci leurs habitudes » 361 .
Deux villes de Palestine ont toujours eu une forte réputation de fanatisme : Hébron et Naplouse. La première est connue pour son absence totale de chrétiens et de présence étrangère, la seconde, malgré une poignée de latins et d’orthodoxes n’en est pas plus accueillante aux non-musulmans ce qui fait dire à nos deux professeurs de l’Ecole Biblique que « Naplouse a été considérée de tout temps comme un centre fanatique. Naguère encore, on voyait des enfants encouragés par les grandes personnes, s’attrouper derrière les voyageurs et chanter à leur suite des refrains injurieux accompagnés de jets de pierres. Aujourd’hui ce fanatisme est un peu apaisé, mais il faudrait peu de choses pour le réveiller. 362 » Le R. P. Jaussen dans son étude plus particulièrement de Naplouse montre par l’anecdote suivante ce rejet des autres confessions : « L’attitude arrogante des jeunes filles musulmanes envers leurs compagnes chrétiennes. (…) Quand une chrétienne visitait une musulmane, elle ne recevait pas les marques de respect en usage en Orient ; elle n’était pas saluée, elle n’était pas invitée à s’asseoir ; elle n’entendait pas prononcer le mot si banal cependant : « faddaly, je t’en prie, mets-toi à l’aise ; cette attitude dénotait un mépris réel fortement enraciné dans l’esprit » 363 .
Le livre du pèlerin de 1882 met en garde les pèlerins contre une attitude déplacée, et source de conflits, envers les musulmans : « Eviter tout ce qui pourrait paraître une moquerie à l’égard de leur religion, et une bravade ; nous allons prier et non conquérir. Les armes et les allures provocantes ne conviennent pas à des pèlerins » 364 .
On observe deux grands corps religieux dans le culte musulman ; ce sont les fonctionnaires du culte, et les derviches. Les premiers, désignés sous le titre générique d’imams sont préposés au service des mosquées et remplissent les fonctions relatives aux mariages et aux enterrements. Ils sont secondés par les mouazene, chargés d’annoncer cinq fois par jour la prière et les quaïms auxquels sont dévolus les soins d’ordre intérieur et de propreté des mosquées. Les seconds sont les derviches, religieux, qui manifestent leur piété par des pratiques extérieures extraordinaires, les derviches tourneurs, hurleurs… Les pèlerins occidentaux sont souvent surpris voir effrayés par l’allure mais aussi l’hystérie qui peut s’emparer d’eux : « Faut-il encore rappeler les insanités auxquelles se livrent certains de ces derviches, lors du pèlerinage de Nebi-Mouça ? Un sabre à la main, hurlant des invocations à Mahomet, saisis d’un tremblement convulsif, ils se tordent de frénésie et excitent les assistants à la macabre danse du sabre. Il en est qui, sanglants, les joues traversées d’une broche de fer, frappent dans leurs mains, gambadent, se heurtent les uns contre les autres ; c’est une débauche d’excitation nerveuse et de convulsions hystériques portées au paroxysme » 365 .
Les imams et autres fonctionnaires du culte ne trouvent pas davantage grâce auprès des pèlerins français, toujours soupçonnés d’ignorance, de paresse, de roublardise… en fait de ne pas être comme eux. Tous ces préjugés sont la plupart du temps le résultat d’une ignorance totale de cette religion.
La vie musulmane à Jérusalem, in Jérusalem, AAV, tome III (1908-1909), p.326.
R.R. P.P. Jaussen et Savignac in Henry Laurens, 1917 : deux Dominicains en Palestine, in Revue d’Etudes Palestiniennes, n°46, 1993, pp. 87-100.
Abbé F. Conil, Jérusalem moderne, histoire du mouvement catholique actuel dans la ville sainte, Paris, 1894, p. 450.
R.R. P.P. Jaussen et Savignac, op, cit. , p.92.
R. P. Jaussen, Naplouse et son district, Paris, Geuthner, 1927, p.273.
Le livre du pèlerin, Pèlerinage Populaire de Pénitence à Jérusalem, Paris, 1882, p.35.
Jérusalem, AAV, tome III, 1908-1909, p.328.