Chrétiens d’Orient ou l’absence d’unité

Nous avons déjà eu l’occasion d’apercevoir les différentes communautés chrétiennes de Palestine dans la première partie. Il convient ici d’y voir plus clair au milieu de toutes ces appellations qui peuvent être regroupés sous deux rubriques.

Les chrétiens unis à Rome

Les latins, c'est-à-dire les catholiques, représentent le nombre le plus important des chrétiens romains, même si celui-ci est bien modeste par rapport aux orthodoxes. Ils sont représentés par un patriarche, de nouveau présent à Jérusalem depuis 1847, et dont le premier titulaire est Mgr Valerga, grand prosélyte pour la cause romaine avec la multiplication des missions. Pour les Palestiniens, le clergé latin reste cependant trop assimilé à Rome, trop européanisé, tenant peu compte des traditions orientales, ce qui explique en partie le nombre restreint de fidèles tout au long du siècle.

Les autres communautés unies à Rome ont peu de fidèles et vivent pour la plupart grâce à l’aide des latins. Ce sont les grecs catholiques ou melchites, restés unis à Rome au moment du grand schisme d’Orient. L’Eglise grecque catholique est dirigée par un patriarche soumis au Pontife de Rome, et qui a sa résidence à Damas. Les maronites sont rattachés à Rome, mais continuent d’élire leur patriarche qui réside au Mont Liban. Les arméniens catholiques, très peu nombreux en Palestine, sont administrés par un patriarche qui a sa résidence à Constantinople. Il convient aussi de citer les coptes catholiques dont le nombre est infime, il en va de même des abyssins et des syriens catholiques

Les chrétiens non-unis à Rome

Les grecs schismatiques ou orthodoxes constituent le groupe le plus important de chrétiens présents en Orient. Les rixes entre les latins et les orthodoxes sont légions, chacun s’appliquant à démontrer l’incapacité et la fourberie de son clergé, accusant l’autre de prosélytisme… L’abbé Moretain, fondateur de la mission latine de Beit-djala, fit les frais de cette hostilité entre les deux communautés et se trouva bien souvent à peu de chose du statut de martyr. L’antagonisme ne fait qu’empirer dans la deuxième moitié du siècle avec la mise en avant de la Russie qui finance généreusement les orthodoxes au grand drame des Latins !

L’origine de la Guerre de Crimée est en partie à trouver dans cette rivalité entre latins et orthodoxes, puisque le prétexte du déclenchement du conflit entre Russes, protecteur des orthodoxes et Ottomans soutenus par les Français, protecteur des latins, semble être la disparition de l’étoile d’argent dans la grotte de la Nativité. Comme cette étoile porte une inscription en latin, le clergé latin accuse le clergé grec de l’avoir délibérément subtilisée. Les grecs orthodoxes accusent les latins d’avoir eux-mêmes fait disparaître l’étoile pour en rejeter la culpabilité sur les orthodoxes, et de mener ainsi un jeu pervers 373 .

Le livre du pèlerin met en garde les membres des caravanes de pénitence contre toute provocation à l’égard des chrétiens non unis : « Les latins, les Français surtout, sont portés au dédain vis-à-vis des grecs, et la manifestation de ce sentiment est un obstacle sérieux au rapprochement que nous devons ardemment désirer entre l’Eglise d’Orient et celle d’Occident. (…) Quoique séparés de l’Eglise romaine, les Grecs ont des traditions liturgiques très respectables (…) Si nous sommes parfois étonnés de leurs usages, qui différent des nôtres, gardons nous de les juger légèrement et surtout de donner extérieurement des marques de dédain ou de moquerie  374 ».

Ces avertissements sont d’autant plus importants que les rencontres entre les grecs et les pèlerins catholiques sont fréquentes dans les différents sanctuaires de Palestine et les remarques ou gestes déplacés entraînent facilement des réclamations auprès des plus hautes autorités accusant la partie adverse de ne pas respecter le statu quo.

Parmi les autres communautés schismatiques, on trouve les arméniens, qui possèdent le couvent Saint-Jacques sur le mont Sion où réside leur patriarche. Ils ne sont guère plus de 500 à Jérusalem à la fin du siècle.

Enfin, il faut évoquer les protestants, totalement absents jusqu’au milieu du XIXe siècle, et qui ne sont que quelques centaines à la fin du siècle. L’abbé Conil évalue leur nombre à Jérusalem à 400 et à Nazareth à 120 375 . Les établissements protestants, écoles, dispensaires sont par contre assez nombreux à Jérusalem ou Nazareth, tous financés par l’Angleterre, encore une fois au grand dam des catholiques et plus particulièrement des Français qui ne voient dans les protestants que l’aspect financier, où tout comme pour les Juifs, l’impression qu’ils vont par leurs fortunes acheter toute la Palestine.

Notes
373.

James Finn, consul anglais en poste au moment de ces faits donne de nombreux détails sur ces querelles, Stirring Times, Londres, Kagan Paul, 2 volumes, tome I, p. 11-21.

374.

Le Livre du pèlerin, op. cit., p.34.

375.

Abbé Conil, op. cit., p. 438.