Les congrégations religieuses ou les forces vives de la prédominance française en Palestine

Les religieux ou les visages de la France en Orient

La France doit tout au long du XIXe siècle se battre pour sauvegarder son influence, ses prérogatives issues des capitulations, face à l’appétit des autres puissances européennes. Elle reste cependant prépondérante à la fin de ce siècle, dans cette période que nous avons qualifié « d’âge d’or » de la présence française en Palestine et au Proche-orient, grâce au formidable dynamisme de ses congrégations religieuses, féminines ou masculines.

De l’arrivée des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition en 1848, premier institut français à s’installer à Jérusalem aux Frères des Ecoles Chrétiennes en 1878, premier institut masculin à ouvrir une école dans la Ville Sainte, le nombre d’hôpitaux, de dispensaires, d’écoles, de monastères français ne cesse de croître et de porter haut le drapeau de la France.

M. de Douville-Maillefeu, député français, de retour d’un voyage en Orient en 1890 exprime du haut de la tribune de l’Assemblée nationale le bienfait de cette présence de religieux français dans cette partie du monde : 

« Je suis de ceux qui rendent parfaitement justice à tous les Français, quels qu’ils soient, et surtout aux religieux qui rendent service à notre pays, en propageant notre langue. Or je tiens à déclarer, j’ai vu que, partout en Orient, quel que soit l’Ordre auquel ils appartiennent, les religieux congréganistes des deux sexes montrent un dévouement absolu pour le nom français» 381 .

Néanmoins la reconnaissance envers les congrégations pour le soutien à la prédominance française en Palestine est loin d’être partagée par tous, que cela soit chez les anticléricaux français ou dans le reste de l’Europe. Pour certains Français de la IIIe République, l’idée que les congrégations religieuses soient à l’origine de la puissance de la France en Orient est fortement exagérée. Jean-Louis de Lanessan, ancien député et ancien gouverneur d’Indochine, démontre dans un article paru dans le Siècle, en 1906, que ces congrégations sont plus attirées par le prosélytisme religieux que par la promotion de la France : 

« Les assomptionnistes prétendent que leur œuvre rend de très grands services à la France et en tirent prétexte pour solliciter des donations des catholiques. (…) En admettant que les pèlerins français soient aussi nombreux aujourd’hui que ceux des autres nations, il est difficile d’apprécier les avantages que la France en retire. Autant vaudrait dire que l’Angleterre tire bénéfice des milliers de touristes anglais qui viennent chaque hiver visiter et habiter nos côtes ensoleillées de la Méditerranée. L’œuvre des assomptionnistes n’est, en réalité, qu’une œuvre commerciale ; si elle facilite la visite de la Palestine par un certain nombre de nos compatriotes, il est impossible de dire qu’elle serve réellement l’influence de la France» 382 .

Il ajoute que la plupart des instituts installés en Palestine et en particulier à Jérusalem ont un but presque exclusivement de prosélytisme, à l’image des pères blancs qui forment des prêtres indigènes catholiques, ou des ordres contemplatifs comme les carmélites et bénédictines du mont des Oliviers : « Attirées en Palestine par la seule foi religieuse, ces missions n’y jouent, en réalité, aucun rôle utile. Elles ne se proposent que d’inspirer l’amour de leur religion par le zèle qu’elles manifestent dans son exercice » 383 .

Pour les religieux et leurs soutiens, il en est tout autrement, à l’image de l’Archevêque d’Alger, Mgr Lavigerie, dont la célèbre devise se veut ce lien indéfectible entre sa foi et son pays : « Nous avons au cœur deux passions qu’on ne nous arrachera jamais : l’amour de l’Eglise et l’amour de la France ! » 384 .

La polémique entre les catholiques et les anticléricaux alimente tous les débats sur la place de la France en Orient et sur l’hypothèse que la forte influence française dans cette région repose principalement sur l’essor des congrégations religieuses. Ces propos, qui sont globalement vrais, ne peuvent être acceptés en tant que tels par des hommes qui luttent, de manière parfois violente, contre l’influence de la religion catholique sur le territoire français et militent pour la séparation mouvementée de l’Eglise et de l’Etat. Les religieux seront ainsi toujours accusés de ne songer qu’aux bienfaits de la religion et de ne se servir de la France que lorsque cela les arrange, d’où leurs proclamations patriotiques.

Pour d’autres pays européens, l’opinion est inverse, et ils accusent les congrégations françaises de faire œuvre politique et non religieuse. Le professeur italien Angelo de Gubernatis affirme que « Les institutions scolaires en Syrie et en Terre Sainte ont toute un caractère de piété extérieure (…) mais, en réalité, le gouvernement français, en vertu de son protectorat, les assiste et en fait sa propre citadelle » 385 .

Notes
381.

Bulletin de l’Œuvre des écoles d’Orient, BNF, 1899, p.184-185.

382.

M. de Lanessan, Les missions et leur protectorat, in Le Siècle, 4 mai 1906.

383.

Ibid.

384.

Bulletin de l’Oeuvre des écoles d’Orient, BNF, 1899, p.181.

385.

Echos d’Orient, AAV, tome VII, 1905, p.91.