Les sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition 386 sont les pionnières de ce vaste mouvement de congrégations catholiques françaises et européennes à partir du milieu du XIXe siècle. En 1848, elles sont demandées par la Propagande et la Custodie de Terre Sainte et souhaitées par le Patriarcat latin pour assurer le poste de Jérusalem. Le but de leur venue est d’ouvrir pour la population locale, et en priorité latine, une école et un dispensaire à Jérusalem puis dans d’autres villes palestiniennes 387 . L’abbé Conil dans sa description des différents instituts religieux de Terre Sainte montre l’importance prise par cette communauté dans les deux activités dévolues en règle générale aux congrégations féminines, l’enseignement et les soins aux populations locales :
« Les enfants admises dans les quatre classes dont se compose le groupe scolaire sont au nombre de 280, chiffre considérable, si l’on songe à la population minime de Jérusalem, qui n’excède pas 40 000 habitants dans l’enceinte des murailles.
De cinq à quatorze ans, les petites filles reçoivent à cette Ecole un enseignement complet et pratique, comprenant, comme dans les établissements les mieux ordonnés de France, les matières de l’enseignement primaire et les travaux manuels féminins. Les sœurs admettent chez elles des enfants latines, grecques, arméniennes catholiques ou schismatiques, et même des turques. (…) Et l’on se fait facilement une idée des heureux résultats que les Sœurs obtiennent auprès de la population indigène, en donnant leurs soins à cette petite légion d’enfants qui, sans elles, croupiraient, comme autrefois, dans l’ignorance et le vice. (…) La civilisation y gagne des auxiliaires précieuses, et l’influence française aussi. Car le français étant enseigné très soigneusement dans ces diverses classes, la majeure partie des femmes de Jérusalem parlera notre langue avant peu. De plus, au contact des mœurs françaises et de la vertu des Sœurs, elles emportent, de leur séjour à l’école, des souvenirs et des habitudes de travail et d’honnêteté, qu’elles auraient toujours ignorés sans les religieuses de Saint-Joseph. (…) Naturellement l’instruction religieuse a le pas sur toutes les autres branches de l’enseignement, et toutes les enfants apprennent les prières chrétiennes et le catéchisme catholique du plein gré et du libre consentement de leurs familles » 388 .
Il est intéressant de mettre ces propos en parallèle avec ceux d’Angelo de Gubernatis, précédemment cité, accusant d’utiliser les congrégations à des fins de politique française :
« la préoccupation de faire des Syriens de petits maures (moretti) français est si grande dans les écoles des Congrégations, que les enfants sauront dire parfaitement les noms des préfectures et des sous-préfectures des départements et des arrondissements de la France, tandis qu’ils se montrent ignorants des confins et des limites du vilayet syrien dans lequel se trouve leur famille… ils prieront et chanteront en français et, si on les interroge en arabe sur une partie quelconque du catéchisme, ils resteront muets, bien que l’arabe soit leur langue maternelle. Que voulez-vous ? Cette langue, dans les écoles des Congrégations, ils ne l’étudient plus et souvent ils la désapprennent» 389 .
Il ajoute, concernant l’éducation des jeunes filles, qui est le monopole des instituts religieux féminins :
« La situation de la femme orientale instruite dans les écoles des Congrégations françaises est encore plus lamentable. (…) De pauvres petites filles, ayant à peine de quoi manger dans leur maison, souvent orphelines miséreuses, entrent dans de grands collèges, où elles trouvent, avec la somptuosité des édifices, toutes les commodités de la vie. (…) Sorties du pensionnat, où un grand nombre ont été élevées gratuitement, ces élèves des Congrégations montrent un mépris déclaré pour tout ouvrage féminin autre que la broderie : tout travail plus humble paraît vil et dégradant » 390 .
Pour revenir à la congrégation des sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition proprement dit, elles vont acquérir en quelques années une place de premier ordre dans le système des instituts catholiques et français présents en Palestine. Dans la seule ville de Jérusalem, elles ont en charge, outre l’école, un orphelinat d’abord installé dans la vieille ville, puis qui déménage hors les murs à la fin du siècle, permettant d’accueillir dans un espace plus grand de nombreuses orphelines de la ville et de ses environs. Il faut ajouter la prise en charge de l’hôpital Saint-Louis 391 , appelé également l’hôpital français, où sous la direction d’un médecin français, elles contribuent à la bonne marche de l’établissement, avec en particulier la présence de Sœur Joséphine, « l’infirmière des pèlerinages ». En dehors de la Ville Sainte, les établissements se multiplient, à Jaffa, Bethléem, Beit-Jallah, Ramallah ou encore Nazareth.
Même si elles sont sous la protection du patriarcat, en particulier pour leurs établissements scolaires qui sont référencés comme les écoles du patriarcat, elles n’en demeurent pas moins des fers de lance de la présence et de l’influence française dans la région.
L’exemple le plus patent de ce lien avec la France est l’aide reçue du gouvernement français en tant que congrégation française 392 . Ainsi, en 1881, elles reçoivent pour l’école et l’orphelinat de Jérusalem la somme de 1000 francs, il en est de même pour les établissements de Bethléem et de Jaffa. Elles sont comme nous l’avons cité, les « petites mains » de l’hôpital Saint-Louis, hôpital fondé par la famille de Piellat mais fortement subventionné par la France puisqu’en cette année 1881, la subvention est de 12 000 francs, à quoi il faut ajouter une aide exceptionnelle de 10 000 francs pour le mobilier et 5000 francs pour la rémunération du médecin français 393 .
Parmi les autres instituts féminins qui sont arrivés à la suite des sœurs de St Joseph de l’Apparition, et qui seront également des portes drapeaux catholiques et français, on peut d’abord citer, dans l’ordre chronologique, les dames de Nazareth qui arrivent en Palestine en 1855 394 . Tout comme les sœurs de St Joseph, elles sont sollicitées par le patriarche pour venir éduquer les jeunes chrétiennes de Galilée. Elles ajoutent à ce premier travail un dispensaire et une visite des malades à domicile. Elles n’ont pas la renommée des précédentes, et sont peu aidées par le gouvernement, malgré leur attachement revendiqué à leur patrie d’origine, et n’ont droit qu’à quelques visites d’officiels et quelques caisses de livres en français. Il convient cependant de noter l’aide qu’elles reçoivent de l’Oeuvre des écoles d’Orient ; en 1872, Madame de Vaux, supérieure générale des dames de Nazareth, remercie cette dernière pour les 2000 francs alloués à chacun des établissements des religieuses tout en sollicitant une aide supplémentaire devant les importantes dépenses auxquelles elles doivent faire face 395 .
Arrivent ensuite, les dames de Sion, qui sont appelées en Palestine en 1856 par le patriarche pour remplir la mission qu’exercent déjà les sœurs de St Joseph mais tournée davantage vers les « infidèles ». Elles jouent un rôle majeur à Jérusalem tant du point de vue catholique que français.
Elles habitent l’Ecce Homo, lieu symbolique puisque supposé être le palais de Ponce Pilate, et donc très visité par les pèlerins. Leurs activités d’enseignement sont sensiblement les mêmes que les sœurs de St Joseph. Dans le compte rendu des activités de l’Ecce-Homo entre 1856-1876, on note les réalisations suivantes :
un couvent des filles de Sion chargées de la confection d’images-fleurs et de couronnes d’épines très recherchées par les pèlerins et la confection d’hosties.
Un orphelinat à proximité du couvent où près de 1200 enfants sont passés en 20 ans.
Un dispensaire ouvert à tous.
Un externat pour les jeunes filles d’infidèles, on note en particulier la présence des filles de Raouf Pacha, le gouverneur de Palestine.
Il faut ajouter le couvent et l’orphelinat à St Jean in Montana, à proximité de Jérusalem.
Ces sœurs qui ne cachent pas, loin de là, leur appartenance à la France, sont aidées par différents organismes français ou étrangers, mais pas par le gouvernement français, ce que regrette le Père Ratisbonne :
« Le gouvernement français si généreux en toutes circonstances pour les établissements religieux en Orient, ne nous a encore favorisé d’aucun secours, nous aimons à espérer pour l’avenir » 396 .
La France consent une aide mais à l’œuvre des pères de Sion. Les pèlerins français prendront l’habitude de visiter et de déposer des aumônes à cet établissement, ce qui en fait un lieu important du parcours du pèlerin dans la Ville Sainte.
Une quatrième congrégation marque fortement de son empreinte catholique et française la vie à Jérusalem, ce sont les filles de la charité. Elles s’installent en 1886, et ces « oiseaux blancs du bon Dieu », célèbres tout autour de la Méditerranée et au-delà, héroïques pendant la Guerre de Crimée, sont accueillies très chaleureusement par les communautés de Jérusalem, à commencer par les latins. Sœur Sion, figure emblématique de ces filles de la charité qui s’installe à Jérusalem le 3 mai 1886, montre que sa venue ne correspond pas à un besoin précis mais plutôt à la nécessaire présence de cette société religieuse au plus proche du tombeau du Christ :
« Nos Supérieurs m’ont envoyée à Jérusalem, sans m’avoir précisé aucune œuvre, ne sachant pas eux-mêmes, au juste, celle que nous pourrions entreprendre. Par conséquent, conduites par la Providence, nous arrivâmes sans une intention déterminée ; le temps et l’expérience allaient nous guider» 397 .
Leurs œuvres vont à l’image des autres sociétés féminines s’orienter vers les plus petits et les plus pauvres, avec en premier la création d’un orphelinat, d’un dispensaire, de visites aux malades dans les villages autour de la Ville Sainte et surtout le soin prodigué aux lépreux 398 . Cette attention faite à cette population rejetée leur apportent la considération de tous et en particulier des pèlerins qui voient dans cette action la véritable charité chrétienne et laissent de généreuses aumônes allant même jusqu’à se rendre auprès d’eux !
L’autre œuvre importante des filles de la charité est la gestion, en 1891, de l’hôpital municipal de Jérusalem, suivant le souhait du gouverneur de Palestine. Devant les services rendus à la population, la popularité des sœurs, le choix de Raouf Pacha pour les filles de la charité fait l’unanimité. Ce sera un motif de fierté pour les autorités françaises que cet hôpital municipal, voulu par un gouverneur musulman, soit placé entre les mains de religieuses catholiques françaises.
Pour achever le tableau des communautés de religieuses françaises, il faut citer les contemplatives que sont les carmélites, les sœurs de Marie Réparatrice et les clarisses.
Les carmélites du Pater, puisque installées sur le lieu du Pater au mont des Oliviers, sont présentes en Palestine depuis 1873, grâce au dévouement et à la fortune de la princesse de La Tour d’Auvergne, qui consacre les dernières années de sa vie à l’installation d’une communauté de carmélites sur le terrain du Pater. Les pèlerins prennent l’habitude d’entendre une messe dans l’église des carmélites le jour de l’Ascension.
Les deux autres communautés contemplatives se sont installées à Jérusalem, la même année, en 1888 :
Les sœurs de Marie Réparatrice 399 , qui adorent jour et nuit le Saint Sacrement exposé dans leur chapelle. Les heures de travail sont employées à la confection ou au raccommodage d’ornements pour les pauvres églises de Palestine. Le couvent a été construit, hors les murs, à côté de la porte neuve, et ce, grâce à la générosité du Comte de Piellat.
Les clarisses, présentes d’abord à Nazareth, s’installent à Jérusalem grâce à l’empressement de Louise Harmel, religieuse au couvent de Sainte-Claire à Paray-le-Monial et fille du célèbre industriel catholique du Val-des-Bois. Elle décède alors que le couvent est inachevé mais cela ne remet pas en cause cette installation sur la route de Bethléem, près de la gare de Jérusalem, que les pèlerins peuvent ainsi apercevoir à leur arrivée en train.
Cette énumération des différents couvents de religieuses françaises permet de montrer l’importance de la présence catholique française à Jérusalem et plus globalement en Palestine puisque les premières religieuses à s’installer dans la Ville Sainte sont françaises. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la majorité des membres des communautés féminines sont originaires de France. Dans le dénombrement effectué en 1904 par le Consulat de Jérusalem, la domination des françaises par rapport aux autres nationalités est écrasante.
- Pour les sœurs de St Joseph, dans leurs établissements de Jérusalem (école et orphelinat), Ramallah, Beitdjallah, Ramleh, on dénombre 35 religieuses dont 20 françaises, 12 arabes, 2 polonaises et une bulgare. Si l’on prend en compte l’hôpital St Louis, on dénombre uniquement des françaises, au nombre de 7.
- Pour les sœurs de N.D de Sion, sur 52 religieuses présentes à Jérusalem et à St Jean in Montana, on dénombre 22 françaises, 16 ottomanes, 9 allemandes, 3 italiennes, une belge et une autrichienne.
- Pour les filles de la charité de Jérusalem, ce sont sur un total de 23 religieuses, 15 françaises, 6 ottomanes, une italienne et une belge.
- Pour les carmélites du Pater, on compte, sur un total de 11 religieuses, 8 françaises, une égyptienne, une palestinienne, une italienne 400 .
Nous avons ainsi un véritable dispositif d’établissements catholiques français que les pèlerins visitent, aident et font connaître à leur retour par leur récit. Pour la France, ce sont des soutiens indispensables au maintien de cette influence française, attaquée de toute part par les puissances rivales. Cependant, ces « petites mains » que sont ces religieuses auront une importance moindre par rapport aux congrégations masculines qui vont s’employer de façon beaucoup plus systématique à la promotion de leur patrie.
La congrégation des soeurs de Saint Joseph de l’Apparition est l’oeuvre d’Emilie de Vialar. Cette demoiselle, née en 1797 à Gaillac, issue d’un milieu aisé, connaît une jeunesse dorée et ce n’est qu’en 1832, qu’elle prend la décision de fuir la maison paternelle pour fonder, en compagnie de trois amies, une communauté au service des pauvres. Après des débuts difficiles, face à l’hostilité familiale et d’une partie de la population de Gaillac, elle part fonder un premier établissement en Algérie. Cette première installation signe le début d’une multitude d’implantations autour de la Méditerranée et de part le monde. A la mort d’Emilie de Vialar en 1856, on dénombre 42 maisons, un siècle plus tard, elles seront 128. En 1959, la fondatrice de cette congrégation est proclamée sainte.
Soeur Emilie Julien accompagnée de plusieurs soeurs débarquent à Jaffa au début du mois d’août 1848 et décrit dans une lettre à son père son arrivée le 14 août à Jérusalem : « En arrivant, notre premier soin fut d’aller entendre la messe en action de grâce ; après quoi, les Pères de Terre Sainte nous donnèrent à déjeuner, puis nous conduisirent à la maison qu’on nous avait préparée. Mgr le patriarche désira nous voir, et nous fûmes reçues par Sa Grandeur avec bonté, simplicité et dignité », in Abbé Louis Picard, Emilie de Vialar, Paris, 1924, p.145.
L’école semble d’emblée accueillir un nombre important d’élèves puisqu’elles sont 90 en juillet 1849 et 130 l’année suivante. Le premier novembre 1851, un hôpital est annexé aux classes, baptisé hôpital Saint-Louis qui plus tard sera hors les murs à côté de Notre Dame de France.
Abbé Conil, op. cit. p. 233-235.
Echos d’orient, AAV, tome VIII, p.93.
Ibid, p.94.
L’hôpital Saint-Louis a été fondé le 1e novembre 1851 sur l’initiative de M. Lequeux, chancelier de M. Botta, consul de France à Jérusalem. A cette époque, il n’y avait encore aucun hôpital à Jérusalem. Cet établissement, tout en étant propriété de la France, fut mis entre les mains du patriarche latin de Jérusalem qui prit en charge son entretien. En 1878, la famille de Piellat, désireuse de créer quelques œuvres utiles à la religion et à la France, décide la création d’un hôpital en dehors des murs. Le 1e janvier 1882 est inauguré ce nouveau bâtiment, qui prend la succession de celui existant à l’intérieur des remparts. Les sœurs de Saint-Joseph en assurent le fonctionnement, ainsi qu’un médecin français, rémunéré par le gouvernement français.
MAE, Nantes, Constantinople, D, correspondance Jérusalem, Etat statistique des établissements scolaires, hospitaliers religieux en Palestine subventionnés par le gouvernement de la République Française au cours de l’année 1881, consulat de France en Palestine.
Les sœurs de Saint-Joseph reçoivent des dons réguliers de la part de Propagation de la Foi, œuvre lyonnaise. En règle générale, les sommes sont versées au patriarcat latin qui distribue aux différentes congrégations, suivant leur besoin. A titre d’exemple, pour l’année 1882, la somme allouée est de 43 000 francs. Les sœurs ne seront jamais oubliées, d’autant qu’elles ne cessent de s’agrandir et de créer de nouveaux établissements.
Cette congrégation a été fondée à Montmirail (Marne), en 1822, par la duchesse de Doudeauville. Le but de cette société religieuse est l’éducation des jeunes chrétiennes. Au milieu du XIXe siècle, elle ne compte que trois maisons, une à Montmirail, qui est la maison mère, une autre à Oullins et une troisième à Nazareth.
Ibid, 1866-1876, p.362.
Mission N.D de Sion, compte-rendu sommaire 1856-1876.
Abbé Conil, op. cit., p.330.
Sœur Sion dans son rapport d’activité à ses supérieurs décrit l’état dans lequel était cette population à leur arrivée et les soins que les Sœurs essayèrent de leur proscrire : « Il n’est pas nécessaire de raconter dans quel état d’avilissement moral, de malpropreté, nous trouvâmes la petite colonie à l’époque de nos premières visites. D’horribles plaies restaient sans pansement, ou mieux restaient exposées au soleil, au vent, à la poussière, pour attirer la compassion des passants et obtenir quelques visites par charité. Aujourd’hui les lépreux savent que les Sœurs les protègent, qu’elles veillent sur leurs besoins quotidiens, suivant la mesure de leurs ressources (…) La continuité des soins a considérablement amélioré leur état physique. On les voit, on les approche, on leur parle sans ressentir aucune crainte, aucune répugnance », Abbé Conil, op. cit. , p.335.
La congrégation des sœurs de Marie-Réparatrice a été fondée le 8 décembre 1854, le jour même de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception.
Pour la totalité des congrégations, voir annexe, Dénombrement par nationalité des religieux des établissements français ou protégés en Palestine - 1904 -.