Les religieux, à la différence des religieuses, ne sont pas des pionniers dans le retour des congrégations catholiques françaises en Terre Sainte. Il faut attendre la fin des années 1870 et surtout la décennie suivante, pour que de nombreuses congrégations masculines françaises s’installent à Jérusalem. Toutes, à différents niveaux, développent un lien avec les pèlerinages de catholiques français. Nous ne mentionnerons pas ici les assomptionnistes qui s’installent en 1887 dans la Ville Sainte et dont l’histoire est particulière.
La première congrégation à revêtir de l’importance aux yeux des pèlerins est celle de Mgr Lavigerie. Cet intérêt est en fait dû non pas aux activités des pères blancs mais au site qu’ils occupent, Saint-Anne, qui est d’après la tradition biblique, la maison de la mère de la Sainte Vierge et le lieu de sa naissance.
Au lendemain de la Guerre de Crimée, le sultan, en remerciement de l’aide apportée par la France pour contrer les Russes, fait don, en 1856, de ce sanctuaire à Napoléon III. En 1861, Sainte-Anne est annexée au territoire français. Le gouvernement français restaure l’ancienne église des croisés, construit un couvent à côté et y installe en 1878 les pères blancs de Mgr Lavigerie. Ces derniers créent un séminaire pour le clergé grec-catholique.
Au fur et à mesure des années, et en particulier avec l’arrivée des Pèlerinages de Pénitence, Sainte-Anne prend une connotation des plus patriotiques et se transforme en lieu de mémoire français. Dominique Trimbur, dans son étude sur Sainte-Anne montre l’importance qu’elle prend pour les Français dans le dernier quart du siècle : « Ce lieu de mémoire, c’est d’abord une petite France à Jérusalem. Sainte-Anne le devient par la réunion des Français de la ville, dès les premiers temps. Mais l’église est aussi le lieu où se rencontrent « la France qui reste » et « la France qui passe », au moment des pèlerinages français. A ce titre, Sainte-Anne de Jérusalem peut s’honorer de son appellation de « Sainte-Anne des Français » 401 .
Les pèlerinages assomptionnistes font des haltes systématiques dans ce lieu, tendre souvenir de la mère patrie qu’ils n’ont pas vue depuis 10 jours !
Pour confirmer le rôle central de Sainte-Anne comme lieu symbolique de la présence française à Jérusalem, Dominique Trimbur montre l’habitude prise de célébrer toutes les cérémonies françaises en ce lieu :
« Celles-ci peuvent être tristes, lorsque l’église abrite des funérailles, voire des inhumations (c’est dans la basilique de Sainte-Anne que sont inhumés deux des trois consuls de France morts en poste, Charles Ledoulx et René Neuville). C’est aussi là que sont dites les messes qui mettent Sainte-Anne et la colonie française de Jérusalem au même rythme funèbre que la métropole (…) l’église est ainsi solidaire de deuils nationaux, comme ceux de hautes personnalités françaises (Carnot, Faure, Doumer, ou Foch) ou ceux liés à des catastrophes naturelles, comme l’explosion de la Soufrière » 402 .
Trois autres congrégations jouent un rôle dans la prépondérance française en Palestine : les frères des écoles chrétiennes, les pères de Sion et les dominicains.
Les frères des écoles chrétiennes ouvrent un premier établissement scolaire en 1878 à Jérusalem à l’appel des autorités catholiques de la ville mais également du consul de France, tous voyant dans cette congrégation la possibilité de créer des établissements pour garçons d’où sortiraient de jeunes gens instruits à l’image de ce que font les religieuses pour les filles.
Le Frère Evagre, fondateur de l’école de Jérusalem et figure de la communauté française de la ville, fera de son établissement l’un des hauts lieux de l’enseignement des jeunes gens, de toutes confessions, avec un effectif de 240 élèves à la fin de la première année. Cet établissement où « l’amour de la France est enseigné » reçoit d’emblée le soutien du gouvernement comme des catholiques français. En 1877, le gouvernement accorde une aide annuelle de 5000 francs et l’Oeuvre de la Propagation de la foi alloue en 1879 la somme de 8000 francs 403 .
Cette communauté ouvre par la suite des établissements à Jaffa, Caïffa, Bethléem et Nazareth. Elle fait partie du programme des visites qu’effectuent les pèlerins, qui assistent à des représentations d’élèves, des spectacles de fin d’année. C’est pour les frères, l’occasion de sensibiliser les pèlerins à leurs œuvres. Le Frère Evagre est, de plus, partie prenante dans l’organisation des pèlerinages de pénitence, recevant les pèlerins, surtout avant que Notre-Dame de France n’existe, et secondant le comte de Piellat et les assomptionnistes dans l’organisation pratique du pèlerinage.
En 1904, la nationalité des frères est à dominante française puisque l’on compte sur 13 religieux présents dans l’établissement de Jérusalem 7 français, 3 indigènes, 1 luxembourgeois, 1 chypriote et un italien. Pour Bethléem, la présence française est encore plus marquée avec 19 français pour 22 religieux (les trois autres sont indigènes).
Les pères de Sion, communauté fondée par le Père Ratisbonne 404 , ont construit à l’extérieur de la ville de Jérusalem, l’établissement de Saint-Pierre, école française des arts et métiers, où l’on se propose de former des artisans. Conjointement est ouverte une école qui propose la conversion des juifs. Cet institut, qui dépend d’aumônes, est très apprécié des pèlerins qui voient en cette œuvre un moyen d’éducation et de promotion des enfants pauvres de Palestine.
Les dominicains s’installent à Jérusalem sur l’initiative du Père Mathieu Leconte qui acquiert le terrain du martyre de Saint-Etienne, suite au pèlerinage de pénitence qu’il effectue en 1883. Il faut attendre 1892 pour que s’ouvre une école biblique sous l’autorité du Père Lagrange. Cette école devient très rapidement une référence dans l’ensemble de l’Orient et fait autorité dans les études bibliques. En 1904, on dénombre 48 religieux dont 31 français, ce qui montre que, outre les trois couleurs françaises qui flottent au sommet du couvent, il constitue pour la France, un formidable organe intellectuel.
Les différentes congrégations masculines sont l’une des principales forces de la France catholique en Terre Sainte. A la différence des religieuses, vouées à des activités éducatives et de soins, et de fait mises au second plan, grâce à leurs activités intellectuelles ou hospitalières elles jouissent d’un prestige certain.
Dominique Trimbur, Sainte-Anne : lieu de mémoire et lieu de vie français à Jérusalem, in Chrétiens et société- XVIe-XXe siècles, Bulletin n°7-2000,Centre André Latreille, Université Lumière-Lyon 2, p.6.
Ibid, p.8.
Archives des Frères des Ecoles Chrétiennes, Maison généralice de Rome, NH 815/1, dossier n°1.
Le Père Ratisbonne est le fondateur avec son frère Théodore de cette congrégation alors que rien ne le prédisposait à cela. D’origine juive, son frère se convertit très jeune au catholicisme et est ordonné prêtre, mais Alphonse n’a que mépris pour cette religion. Cependant, lors d’un séjour à Rome, dans une église, la Vierge se manifeste à lui, c’est le 20 janvier 1842. De cette date, il met sa vie au service de Dieu. Sa mission sera principalement d’œuvrer au rapprochement avec le peuple juif.