L’autre adversaire, pour les catholiques et la France, encore plus redoutable en ce milieu de siècle, est l’immense Empire russe, protecteur désigné des orthodoxes.
Dès le XVIIIe siècle, les Russes ont obtenu la protection des orthodoxes présents dans l’Empire ottoman, et au début du XIXe siècle s’intéressent plus précisément aux Lieux Saints, Nicolas Ie souhaitant même en prendre le contrôle. Devant l’ouverture de consulats européens, une mission est envoyée en Palestine en 1843, la « Mission Religieuse Russe en Palestine » dont le but est d’acquérir des terrains pour asseoir la présence russe dans la Ville Sainte. Malgré sa défaite lors de la Guerre de Crimée, elle réussit à s’imposer comme une force de premier plan à Jérusalem, par le soutien apporté à la plus forte communauté chrétienne de Palestine, les grecs orthodoxes et par une politique de construction permettant d’inscrire dans le paysage la présence, voire la richesse russe. Un comité palestinien, créé en 1858, est en particulier chargé d’acquérir des terrains. Hors les murs de la ville de Jérusalem, sur la route de Jaffa, à partir de 1860, une véritable petite ville russe est créée pouvant accueillir des milliers de pèlerins.
La revue des Echos de Notre-Dame de France en fait une description où l’envie et la rancœur pointent : « Sur ce plateau qui domine Jérusalem au nord ouest, sur la route de Bethléem et de Jaffa, dans ces terrains offerts autrefois au patriarche, Mgr Valerga pour deux mille francs, que la pauvreté dans laquelle on l’a laissé ne lui a pas permis de trouver, la puissance schismatique du nord a créé un vaste établissement pour recevoir des milliers de pèlerins. Les constructions sont considérables et fournissent aux multitudes le simple logement qu’elles demandent, c’est-à-dire un abri et un emplacement pour étendre les nattes sur lesquelles elles se reposent. Les cours, les squares fleuris sont spacieux. On n’y est pas à l’étroit comme on y sera autour de l’hôtellerie de Notre-Dame de France. Une basilique qui n’est pas sans cachet, offre à leur piété l’aliment spirituel sous la forme à laquelle elles sont habituées dans leur patrie » 409 .
Plus tard, une église sur le Mont des Oliviers permet à tous de contempler la richesse de l’Empire des tsars.
Concernant les pèlerinages, la Société impériale orthodoxe, fondée en 1847, a pour but d’encourager les pèlerinages des russes orthodoxes, et étudie tous les moyens économiques pour faciliter le transport et le séjour des pèlerins en Palestine. Ainsi, durant la seconde moitié du siècle, c’est par milliers que les russes pérégrinent en direction des Lieux Saints au grand dam des catholiques qui n’ont de cesse de dénigrer cette population, souvent miséreuse 410 .
L’autre crainte des catholiques est l’importance prise par les Russes dans l’enseignement et l’ouverture de multiples écoles. Alphonse d’Alonzo, dans son étude sur la Russie en Palestine, montre cette néfaste influence pour l’immense réseau d’enseignement catholique, à très forte majorité français :
« La Russie ne recule devant aucune dépense pour peupler ses écoles : Ainsi, à Rameh, village situé à 3 heures du lac de Tibériade, chaque élève reçoit outre les fournitures classiques, une gratification de 5 francs par mois. Or cette localité compte 600 grecs orthodoxes et 150 catholiques qui courent les plus grands dangers au point de vue de la foi» 411 .
Les Russes à Jérusalem, in Echos de Notre-Dame de France, n°2, octobre 1888 ;
Elena Astafieva apporte un éclairage intéressant sur la présence russe en Palestine dans un article sur la Russie en Terre Sainte : le cas de la Société Impériale Orthodoxe de Palestine (1882-1917), in Cristianesimo nella storia, 2003/1, pp. 41-68.
Alphonse d’Alonzo, La Russie en Palestine, Paris, 1901, p.132.