Guillaume II ou l’ennemi tant redouté

Dans cette lutte constante pour préserver son influence, la France trouve en l’Allemagne l’ennemi le plus acharné, et la visite de Guillaume II à Jérusalem focalise toutes les rancoeurs contre ce Pape du protestantisme qui veut également se faire le tuteur du catholicisme.

Tout comme pour l’Angleterre, l’Allemagne ne peut guère s’appuyer sur les protestants, presque inexistants dans cette région d’Orient ; elle n’obtient un certain avantage par rapport à l’autre puissance protestante d’Europe que par l’immigration de petits groupes de protestants allemands. Ils développent de véritables communautés où les habitudes de leur pays ont été transplantées de l’autre côté de la Méditerranée. Les communautés allemandes de Palestine sont principalement le fait d’une secte dite des Templiers fondée en 1850 par Christophe Hoffmann. Ils s’installent à Caïffa en 1868 puis à Jérusalem en 1876, principalement artisans et cultivateurs et sont lors de la venue de Guillaume II, en 1898, de l’ordre de 1500 à 2000.

Le 29 octobre 1898 est peut-être l’un des jours les plus sombres pour la communauté française de Jérusalem avec l’entrée solennelle de l’un des hommes les plus puissants d’Europe, Guillaume II.

Cette venue, dont le bruit court depuis des années, a suscité tous les fantasmes possibles, surtout dans le camp des latins, et encore plus dans celui des Français qui voient poindre la fin de l’âge d’or de la France à Jérusalem et en Palestine. Cette visite est d’autant plus importante que l’Empereur d’Allemagne, nonobstant le fait qu’il soit protestant, revendique la protection des catholiques de l’Empire ottoman, au prétexte de la présence d’une forte minorité dans son Empire. Il est ainsi clair pour tous que le voyage de Guillaume II n’est pas un pèlerinage, mais l’affirmation, si cela était encore nécessaire, de la puissance allemande, alliée incontournable du sultan.

L’abbé Galerand, proche des assomptionnistes a des propos très lucides sur la force allemande :

« Guillaume II, cela paraît évident, veut marcher de pair, en Orient, avec la France et la Russie, en attendant qu’il les surpasse en influence (…) l’empereur se trouvera chez lui à peu près partout où il passera. Partout il rencontrera des colonies admirables, florissantes, fondées et développées par ses sujets.

La France, la Russie et l’Angleterre possèdent des établissements de grande importance. Aucune de ces nations ne peut montrer des fondations semblables à ces belles colonies qui forment des villages populeux, en attendant que ces villages deviennent des villes (…) Ici, le commerce et l’industrie, sont, dans une mesure très considérable, aux mains des Allemands et des Juifs (…) Rien de l’emporte comme force d’agglomération sur la population allemande, c’est elle seule qui colonise et jette des racines profondes. Les vents violents peuvent déraciner les chênes au front de la montagne : pour déraciner les Teutons il faudrait bouleverser le sol jusqu’en des profondeurs où les tempêtes ne descendent pas.

Notre âme patriotique souffre d’avoir à constater un tel état des choses ; parce que la prospérité rapide des autres peut faire croire au déclin de l’influence française en Orient » 412 .

Les assomptionnistes dans leur revue Echos de Notre-Dame de France ironisent sur la venue de l’Empereur, sur ce faux messie dont la venue a déclenché un formidable mouvement de travaux dans toute la ville ainsi que la réquisition de près de 15 000 soldats turcs « qui auront des uniformes neufs et des gants blancs ! » 413 , ce qui, pour cette armée, le plus souvent livrée à elle-même, apparaît comme un événement sans précédent.

Dans ce même article, la menace allemande fait automatiquement ressortir le patriotisme français :

« On hissera partout le drapeau allemand ; mais les drapeaux français seront nombreux aussi, car nos établissements religieux couvrent la Ville Sainte et la Palestine. La France catholique n’a pas à craindre d’être effacée, et les maisons religieuses des autres nations catholiques sont innombrables» 414 . La seule et mince consolation que trouvent les Assomptionnistes dans la visite de Guillaume II est qu’ils sont sollicités par les Allemands pour fournir l’électricité au campement de l’Empereur : « Ainsi Luther, venu à Jérusalem pour y porter une certaine lumière, commence par demander aux Assomptionnistes les moyens élémentaires d’y voir clair… » 415 .

En cette fin de siècle, la France, « fille aînée de l’Eglise », protectrice depuis plusieurs siècles des catholiques de l’Empire ottoman, d’une multitude d’établissements religieux, semble menacée, alors que se profile l’important bouleversement qui marque le début du XXe siècle et dont le sionisme est l’élément central.

Notes
412.

Abbé Galeran, Guillaume II en Palestine, AAR, NX.

413.

Echos de Notre-Dame de France, n°63, septembre 1898.

414.

Ibid.

415.

Souvenirs, n°364, 17 septembre 1898.