Des pèlerinages réguliers : le succès de l’entreprise assomptionniste

Y aura-t-il une Xe croisade ?

La « IXe croisade »symbolisait le retour des fiers croisés sur la terre du Christ après tant d’errance et d’oubli. Elle est comme nous l’avons évoqué dans la première partie, couronnée de succès, tant par le nombre que par l’impact qu’elle a sur les populations et les Eglises locales.

Après ce temps fort, de cette réussite assomptionniste incontestable, quelle suite faut-il donner à cette croisade pacifique ? L’incertitude repose sur le nombre de catholiques susceptibles de partir pour la Terre Sainte.

Face aux doutes émis sur la possibilité de poursuivre les Pèlerinages populaires de Pénitence, les assomptionnistes, « ces chevaliers héroïques », n’ont qu’une réponse : le retour annuel, voir bisannuel de pèlerins catholiques en Terre Sainte. Ainsi commence un formidable mouvement que les soucis d’organisation, la faiblesse momentanée de pèlerins, les aléas de la politique anticléricale française ou les soubresauts de l’Empire ottoman ne sauront arrêter.

En 1883, pendant la Semaine sainte, près de 400 nouveaux pèlerins prennent la route de Jérusalem, sous la direction du Père Vincent de Paul Bailly. Il en est ainsi pendant dix ans où les Pèlerinages de Pénitence viennent en Terre Sainte à chaque printemps, même si très vite ils vont « éviter » la Semaine sainte, principalement pour des problèmes d’hébergement. Le nombre de pèlerins est toujours aux environs de 300, ce qui n’est plus comparable avec le millier de pèlerins de 1882 mais reste très honorable, du fait des difficultés que représentent à cette époque un voyage en Orient, sans oublier que le pèlerinage est d’environ quarante jours, sans compter le voyage pour atteindre Marseille.

On dénombre 47 pèlerinages 425 de l’ultime croisade de 1882 au printemps 1914, dernier pèlerinage avant les combats qui stoppent tout départ pour la Terre Sainte. Nous analyserons dans un premier temps les pèlerinages jusqu’en 1892, soit du 2e au 11e, le pèlerinage de 1893 qui accueille le Congrès eucharistique apparaît comme un tournant dans le déroulement des pèlerinages de pénitence. A partir de cette date, les itinéraires évoluent avec de plus en plus d’escales autour de la Méditerranée dont certaines ont des liens lointains avec l’histoire chrétienne. La population pèlerine prend des allures de plus en plus touristiques et de moins en moins pénitentes, et la croisade catholique perd de sa force. C’est également la période de nouveaux concurrents, la fin d’un monopole assomptionniste.

Avec ténacité les assomptionnistes ont réussi à imposer les Pèlerinages de Pénitence comme un des temps forts de l’année en Palestine et surtout à Jérusalem où ils résident environ quinze jours.

L’élément primordial pour une continuité des pèlerinages est une organisation efficace capable d’éviter tout débordement, toute improvisation comme ce fut en partie le cas en 1882.

Le succès de 1882 avait été tel que l’on imagine à l’avenir plusieurs caravanes par an et un déferlement de milliers de pèlerins chaque année. Le Bulletin de ND de Sion se fait l’écho d’une organisation où les caravanes s’enchaîneraient les unes aux autres : « Les caravanes de quatre cents se renouvelleraient trois ou quatre fois par l’année. Aussitôt que la première caravane débarquerait à Jaffa, le paquebot retournerait à Marseille chercher la seconde caravane et ainsi de suite. A l’arrivée des seconds quatre cents à Jaffa, les premiers quatre cents se rembarqueraient pour profiter du retour du paquebot qui irait chercher les troisièmes quatre cents. On profiterait ainsi des mêmes chevaux et des mêmes voitures pour l’aller et le retour de Jérusalem à Jaffa et de Jaffa à Jérusalem » 426 .

Un tel article montre que l’enthousiasme suscité par la première caravane n’est pas retombé. Désormais, croit-on, les pèlerins vont venir en masse en Palestine, suivant en cela les Russes. Heureusement pour les congrégations religieuses il n’en est rien, car elles auraient dû toutes se reconvertir en hôtellerie pour accueillir tout au long de l’année des centaines de pèlerins. D’autre part, dès le retour à Marseille, loin de la « Jérusalem céleste », on s’aperçoit que les demandes pour un prochain pèlerinage ne sont pas si abondantes que cela et qu’il convient de ne pas s’enthousiasmer outre mesure.

Deux hommes sont à la tête de cette organisation, de part et d’autre de la Méditerranée, le Père Vincent de Paul Bailly, à Paris, qui dirige 28 pèlerinages jusqu’en 1910 et le Comte de Piellat, surnommé par le Père Bailly « le pacha chrétien », infatigable bienfaiteur des œuvres françaises et catholiques en Terre Sainte et qui est le représentant local pour les Pèlerinages de Pénitence.

Le souci principal est le logement de centaines de pèlerins. En 1882, les communautés religieuses ont fait un effort considérable pour pouvoir loger les mille pèlerins, et il apparaît difficile de leur demander de tels sacrifices chaque année. Tant bien que mal, pendant plus de cinq ans, pèlerins et pèlerines trouvent que cela soit à Casa Nova, chez les religieuses de Saint-Joseph ou de Sion, chez les pères blancs ou de Sion ou encore les frères des écoles chrétiennes un accueil chaleureux ou tout au moins courtois. A partir de 1887, les pèlerins commencent à loger à Notre-Dame de France, l’hospice construit par les assomptionnistes pour abriter les pèlerins et symbole par excellence de la réussite des Pèlerinages de Pénitence.

Toujours dans l'ordre pratique, l’agence Cook a été chargée de l’organisation matérielle du premier pèlerinage, mais les organisateurs ont été peu satisfaits et décident de faire appel directement à des drogmans locaux qui, aidés de moukres, semblent tout aussi efficaces que les services de l’agence Cook. Les guides sont soit des assomptionnistes, soit des religieux comme le célèbre Frère Liévin, qui selon ses disponibilités entre deux visites princières, se fait le conteur de la Palestine biblique. L’équipe médicale est assurée lors de certains pèlerinages par le médecin français de l’hôpital Saint-Louis et de façon systématique par Sœur Joséphine, connue par tous les pèlerins sous le surnom de Sœur Camomille.

Notes
425.

Voir annexe, Tableau des Pèlerinages Populaires de Pénitence.

426.

Les nouvelles caravanes de pénitence, in Bulletin de ND de Sion, n°23, décembre 1882.