La promotion des Pèlerinages de Pénitence

M. de Moidrey, croisé de 1882, entreprend, après son retour de Terre Sainte, une tournée de conférences à travers la France et c’est à celle de Lourdes qu’il s’enthousiasme pour les bienfaits du Pèlerinage de Pénitence : 

« Le Pèlerinage Populaire de Pénitence à Jérusalem a produit d’incomparables résultats, devant lesquels disparaissent les souvenirs des quelques souffrances ou plutôt des quelques privations endurées. L’Orient a été remué à la vue de ces mille pèlerins arrivant après un long voyage, et songeant uniquement à la prière.

Depuis les croisades, il n’avait pas assisté à un tel spectacle ; jugeant des Francs par les touristes qui les visitent parfois, les Arabes considéraient les Français comme dépouillés de toute croyance religieuse. (…) Trente années de prédication, disait un agent diplomatique ne produiraient pas l’effet de l’arrivée des deux navires (…). L’influence française, inséparable en Orient de l’influence catholique, y a gagné dans la même proportion » 427 .

Ainsi, il est avéré que ce pèlerinage de pénitence est une réussite sur tous les plans, religieux et patriotique et que si pénitence il y a eu, ce n’est que le mince prix à payer pour Jérusalem.

Ce discours reflète pleinement la pensée de tous ceux qui organisèrent et espérèrent cette pérégrination vers les Lieux Saints et les témoignages sont pléthores tout au long des pèlerinages sur les bienfaits multiples de la visite printanière des pèlerins.

Les bienfaits vont en priorité à la religion catholique en Orient et en France. Le Frère Evagre, supérieur des frères des écoles chrétiennes de Jérusalem affirme l’importance pour les latins de la venue de catholiques en Terre Sainte : 

« Les Pères Augustins de l’Assomption ont bien mérité de la France. Ils ont fait revivre Jérusalem, ils ont redonné courage aux catholiques de la Ville Sainte, ils ont ramené les foules au tombeau de Jésus-Christ, (…). Ces pèlerinages sont un réveil pour ces pays déshérités ; ils sont devenus un besoin pour les grandes âmes, une nécessité plus encore pour les catholiques de Jérusalem et pour l’influence catholique et française, que pour le bien spirituel que chaque pèlerin en retire (…) le but de ces pèlerinages est aussi, outre la sanctification de chacun des pèlerins, l’amélioration morale de ces peuples d’Orient, l’influence indiscutable qu’apportent au catholicisme et à la France ces grandes démonstrations religieuses (…). Les Orientaux sensibles à tout ce qui frappe les sens, sont émerveillés de ces entrées solennelles qu’accompagnent le chant et la prière, de ces chemins de croix si émouvants, de ces visites aux sanctuaires avec cette foi vraie, profonde des pèlerins. (…) En résumé, ces pèlerinages sont une force pour les œuvres catholiques devant le schisme et l’hérésie, qui deviennent de plus en plus envahissants. Ils seront même pour les établissements catholiques une ressource féconde, ils conservent l’esprit qui les anime » 428 .

Ce discours présent chez tous les religieux catholiques et français de Jérusalem correspond à la vision d’une Eglise catholique dominante en Europe et qui doit le redevenir en Orient, alors qu’elle ne représente plus en Palestine que quelques milliers de personnes dont la fidélité n’est pas toujours acquise. Il y a ainsi un « surdimensionnement » de l’importance catholique, de son influence, surtout par rapport aux orthodoxes, qui même s’ils ne sont pas aussi riches que les catholiques de la prospère Europe, n’en sont pas moins les représentants les plus nombreux du christianisme en Orient. Les Pèlerinages populaires de Pénitence, qui font impression lors de leur venue n’en ont pas moins une portée infime dans cet univers multiple des religions d’Orient. Par contre, il est indéniable que les pèlerinages vont occuper une place de premier choix dans la présence catholique en Terre Sainte. La venue régulière de caravanes de pèlerins, la construction de Notre-Dame de France, le développement des activités assomptionnistes en marge des pèlerinages font de cette entreprise un acteur catholique incontournable.

Les Pèlerinages de Pénitence sont également un bienfait indéniable pour la patrie et un atout face aux autres grandes puissances européennes.

Nous avons détaillé la manière dont sont organisées les processions de pèlerins lors du premier pèlerinage avec en particulier le drapeau français en tête de tous les cortèges, la présence du consul de France escorté de ses cavas et des membres du consulat. Il en est de même pour la plupart des pèlerinages, où en particulier le consul ne manque pas, en recevant les pèlerins, de souligner l’importance d’un tel pèlerinage pour les intérêts de la France.

Dans le rapport du 10e pèlerinage de 1891, l’accent est mis sur les avantages de ces pérégrinations pour la France, la « douce France » : 

« Ah ! La France ! Elle était déjà bien aimée en Orient. Le souvenir lointain, mais vivace encore de nos chevaleresques aïeux ; le passage plus récent des armées de Bonaparte ; les services rendus par la France dans le percement de l’isthme ; le dévouement des religieux de notre nation, qui entretiennent sans cesse l’amour et le respect du nom français dans les masses : tout contribue à rendre la France populaire en Egypte et en Palestine. (…) Eh bien ! les pèlerinages contribuent dans une large part à faire apprécier davantage encore cette « douce France » qu’on nous chantait avec tant de cœur » 429 .

Le dernier apport et non le moindre est l’aspect économique, élément appréciable pour les populations locales qui attendent la venue de pèlerins, dont certains dépensent de fortes sommes en souvenirs ou aumônes diverses. Le Frère Evagre n’hésite pas à parler de fortune pour Jérusalem que la venue annuelle des pèlerinages : 

« Au point de vue matériel, c’est une fortune pour Jérusalem ; j’ignore, bien entendu, la dépense moyenne de chacun de nos aimés voyageurs ; mais on peut supputer, tout compris, une somme de 200 000 francs qui demeure dans la Ville-Sainte, et qui revient, pour la plus grande partie, aux catholiques. Dans un pays pauvre comme celui-ci, c’est une providence que la visite annuelle de nos sanctuaires vénérés » 430 .

Le Pèlerin ajoute que les bazars sont nombreux autour de Notre-Dame de France et de la porte neuve, véritable quartier français, en particulier celui de M. Bagarry qui a eu l’ingénieuse idée de s’installer en face de l’hôpital St Louis. La revue écrit également que « pour les marchands de chapelets, il n’y a qu’un pèlerinage qui compte, c’est le pèlerinage des Français ; ils espèrent toujours les voir revenir avant l’hiver » 431 .

La tradition voudrait que les transactions, les soldes de compte se fassent lors de la venue des Pèlerinages de Pénitence, temps fort de l’activité commerciale de l’année.

En France, le principal bienfait apporté par les pèlerins reste la sympathie des catholiques français pour Jérusalem : 

« Ce pèlerinage annuel a le privilège d’occuper l’attention et d’émouvoir la sympathie d’un grand nombre de catholiques français qui, jadis, ne songeait jamais ni à Jérusalem, ni aux intérêts que nous possédons sur les côtes de Syrie.

C’est bien là, en effet, le premier résultat des pèlerinages de pénitence, résultat que l’on peut constater et saisir d’un bout de la France à l’autre, dans tous les diocèses : ils ont popularisé le nom et le culte de Jérusalem, la connaissance de la Palestine (…) de toutes parts, des conférenciers, prêtres et laïques, se sont donné pour mission de faire connaître la Palestine et de la faire aimer. Ils ont montré à tous la terre sacrée de l’Evangile ; ils l’ont décrite avec un amour enthousiaste ; ils ont dit à la France chrétienne : « C’est ta sœur d’outre-mer » (…).

Et grâce à ce mouvement et à cet apostolat, la Terre Sainte est aujourd’hui beaucoup mieux connue en France » 432 .

De toutes ces retombées positives naît une œuvre que la symbolique à la fois catholique et française résume, c’est Notre-Dame de France, l’hospice pour les pèlerins à Jérusalem. C’est également l’opportunité pour les assomptionnistes d’être présents tout au long de l’année à Jérusalem et de pouvoir asseoir leur rôle de « chevaliers catholiques » dans la Ville Sainte et au passage de faire de l’ombre aux autres congrégations religieuses.

Notes
427.

Conférence de M. de Moidrey à Lourdes, La Terre Sainte, n°173, 15 septembre 1882.

428.

Echos de ND de France, n°1, juillet 1888, p.15.

429.

Echos de ND de France, n°12, septembre 1891.

430.

Ibid.

431.

Le Pèlerin, n°960.

432.

Echos de ND de France, n°17, septembre 1892.