Notre-Dame de France ou la fierté assomptionniste

Notre-Dame de France : l’hospice pour pèlerins 433

Dès le départ de la caravane des mille se pose la question du logement des pèlerins français, surtout si, comme certains l’espèrent, le nombre est toujours important. Dès le mois de juin 1882, le ministre des Affaires étrangères s’informe auprès du consul de Jérusalem des rumeurs qui circulent sur la construction d’un hôpital pour pèlerins et surtout sur son opportunité : 

« Voudriez-vous m’indiquer votre sentiment sur l’opportunité d’une telle création (…) vous voudrez bien me faire savoir en même temps, si l’installation des Pères Assomptionnistes dans la ville de votre Résidence ne vous paraîtrait pas de nature à nuire au développement des œuvres françaises existantes » 434 .

Ces précautions ministérielles sont certainement à mettre en rapport avec le pèlerinage des mille qui a suscité moult angoisses parmi les diplomates devant l’intrépidité des organisateurs.

Il reste que la réponse du consul de France à Jérusalem, M. Langlais est très positive pour les assomptionnistes et, plus globalement, considère qu’une telle entreprise servirait la renommée de la France à Jérusalem : 

« Ses projets vont plus loin que la création d’un simple hôpital à l’usage de pèlerins malades. Si le R.P. Picard avait seulement l’intention de bâtir à Jérusalem un hôpital, cette fondation si utile qu’elle fût ne serait pas d’une nécessité urgente attendu qu’il existe déjà un établissement français de ce genre, l’hôpital St Louis, lequel suffit aux besoins de la situation, et qui l’a prouvé récemment au cours du pèlerinage de pénitence.

Mais si le projet est plus large, s’il tend, ainsi que je le suppose, à la création d’un hospice destiné à recevoir et à héberger les pèlerins français, je n’hésite pas à dire que le Gouvernement de la République doit non seulement ne mettre aucun obstacle à la réalisation de cette entreprise, mais qu’il doit la favoriser de tout son pouvoir et s’estimer heureux que la bienfaisance privée poursuive l’accomplissement d’une œuvre dont le monde s’étonne que la France, protectrice des Lieux Saints n’est pas encore pris l’initiative.

Le Gouvernement Russe possède à Jérusalem des établissements grandioses capables d’héberger plus de 2000 pèlerins (…) les Allemands et Anglais ont des hospices, moins luxueux il est vrai, mais suffisamment confortables (…) Seuls de tous les pèlerins de la Chrétienté, les Français n’ont point à Jérusalem d’hospice de leur nation» 435 .

Dans la tradition assomptionniste et des Pèlerinages de Pénitence, l’origine de la construction serait à trouver lors du IIIe pèlerinage de 1884, où au moment de débarquer à Marseille et de se séparer, les pèlerins lancent l’idée d’une souscription pour l’achat d’un terrain en vue de la construction d’un hospice. M. Chalendard, dans son historique de ND de France précise cette initiative :

« Les passagers de la Bourgogne qui regagnent la France, en cette année 1884, dans un empressement unanime, souscrivent les premières sommes et, par un télégramme parti de Marseille, ils autorisent le comte de Piellat à faire l’achat d’un terrain à Jérusalem. La souscription ouverte ensuite, au Pèlerin, complètera rapidement le montant de la somme nécessaire » 436 .

Il semble que les pèlerins, hormis le fait d’en être des souscripteurs, ne sont pas forcément à l’origine de cette idée de construction, mais comme le laisse entendre l’échange épistolaire entre le ministère français des Affaires étrangères et le consulat de France à Jérusalem, l’idée est plus ancienne. Dans une lettre du mois de novembre 1882, le consul adresse au ministère une lettre montrant que les assomptionnistes sont à la recherche d’un terrain : 

« Le Père Picard a délégué l’abbé Coderc, chanoine français du Patriarcat latin et M. de Piellat pour trouver un terrain. Le couvent arménien en vend un vers la porte de Jaffa, au prix de 12 000 francs » 437 .

Le projet prend à partir de 1885 un caractère sérieux, avec des souscriptions importantes. Les assomptionnistes proposent de devenir propriétaires à Jérusalem d’un mètre carré de terrain à 20 frs, et des titres de propriété ont été établis en affirmant le bien précieux que cela représente au moment du jugement dernier. De plus, sur l’initiative du Père Vincent de Paul Bailly, on propose de devenir fondateur d’une cellule à laquelle chacun peut donner le nom de son Saint préféré. L’abbé Lespinasse, pèlerin de la IIIe caravane 438 , montre l’importance que l’on attache à ces cellules qui chacune porte le nom d’un saint : 

« Les quatre cents cellules de pèlerins où l’on fera des prières d’un ordre à part, sont des sanctuaires consacrés chacun à un Saint. On y lira le nom du patron sur la porte, et un objet religieux, tableau ou statue, rappellera qu’il est protecteur.

En outre, une plaque, qu’on retrouvera peut-être un jour dans les ruines, si Jérusalem tant de fois détruite doit l’être encore, dira le nom glorieux de la famille qui l’a fondée » 439 .

L’abbé Lespinasse ajoute que le prix d’une petite cellule est de 700 Fr. et le prix des cellules doubles est de 1400 Fr. On peut également souscrire pour le mobilier de la cellule, soit 300 Fr.

Les premières souscriptions pour des cellules datent de 1885. La première a comme patron Saint-Joseph, puis la seconde Sainte Françoise Romaine et Saint-Alexis, la troisième Sainte Marguerite, vierge et martyre…Parmi les souscripteurs, on trouve les noms suivants : M. de Bournonville qui a souscrit pour la première cellule, celle de St Joseph, M. Léon Bourcier qui choisit Léon XIII ou encore la Baronne Laprade qui choisit St Laurent de St Ignace et qui en plus de la souscription normale de 700frs, ajoute une souscription de 300frs pour son ameublement.

Les souscriptions sont principalement le fait de particuliers, à quelques exceptions près comme la Revue religieuse de Rodez qui souscrit pour 436,50frs ou encore La Semaine religieuse du Puy qui souscrit pour 700frs et 153frs pour l’ameublement de la cellule de Notre-Dame de France au Puy. Malgré les inclinations anticléricales des gouvernements de la IIIe République, une souscription du gouvernement français est faite pour deux cellules, la cellule de Notre-Dame de France et la cellule consulaire, soit 1400frs et 600 frs pour l’ameublement.

L’ensemble des cellules est souscrite à la fin du siècle et les souscriptions vont au-delà du nombre de pièces disponibles, ce qui cause d’inextricables problèmes au Père Athanase, supérieur de Notre-Dame de France à la fin du siècle : « L’hôtellerie comptient 254 cellules (…) et la souscription nous donne 347 cellules.

1e question : dans le classement définitif et l’affectation des SS Patrons aux cellules, quelle règle devons nous suivre ? 332 cellules sont souscrites et à peu près payées, or nous n’avons dans toute l’hôtellerie que 254 cellules. Mais par contre nous avons maintenant 710 cellules doubles construites et il n’y a que 18 cellules doubles souscrites et payés. Pouvons-nous unir les SS Patrons de deux cellules simples et les attribuer à une cellule double ? » 440 .

Il y ainsi parfois des problèmes insolubles…

Figure 14
Figure 14 Echos de Notre Dame de France, n)8, janvier 1891.

Un terrain est acquis en 1884 par le comte de Piellat, représentant les intérêts des assomptionnistes, en dessous de l’hôpital qu’il est entrain de construire (l’hôpital St Louis ou hôpital français), qui sera par la suite situé en face de la porte neuve. Il a également l’avantage de mettre fin à l’avancée des Russes qui possèdent déjà un vaste enclos le long de la route de Jaffa et de bloquer leur avancée vers les remparts de la ville. Les assomptionnistes sont d’ailleurs obligés d’acheter un vaste terrain situé en dessous du leur, de peur que les Russes l’achètent et construisent un édifice qui pourrait faire de l’ombre à leurs projets architecturaux.

La première pierre est posée le 10 juin 1885 et deux ans plus tard les premiers pèlerins peuvent y loger. Il faut attendre 1894 pour bénir la chapelle et 1904 pour l’achèvement de cet ambitieux projet avec la pose de la statue de la Vierge dominant la Ville Sainte.

L’abbé Conil en fait une description enthousiaste :

« La vue est superbe. La façade de l’hôtellerie regarde le mont des Oliviers ; et avec ses trois étages de pierre blanche, son toit rouge et le drapeau français qui flotte au sommet de l’aile construite,on l’aperçoit de très loin, tellement elle tranche par sa hauteur sur les constructions voisines » 442 .

Figure 15
Figure 15 Abbé Lespinasse, op. cit., p.81.

Deux personnages sont les maîtres d’oeuvre de la construction de cet édifice, qui est l’un des plus vastes et voyants de la ville. L’abbé Brisacier dresse le premier les plans de l’hôtellerie puis le Père Etienne Boubet prend en charge à partir du début des années 1890 la continuité des travaux, réduisant les plans un peu trop fantastiques de l’abbé Brisacier. Il n’en demeure pas moins que Notre-Dame de France présente une architecture originale, inspirée de NotreDame de Fourvière à Lyon ou de Notre-Dame de la Garde à Marseille.

Dominique Trimbur, dans son étude sur la symbolique de cet édifice, montre comment l’architecture fut pensée comme un rapprochement entre l’Orient et l’Occident : 

« Ce n’est pas seulement une bâtisse française en Orient, mais aussi un édifice dont l’inspiration partielle est orientale : le style général est certes le style catholique français de la fin du XIXe siècle, mais il se rapproche également de celui des autres établissements français de la région, en particulier sa chapelle : inspiration orientale dans l’alternance colorée des pierres, voûtes sur le modèle islamique, utilisation à l’excès de mosaïques dans le droit fil des églises byzantines qui ont parsemé la Palestine dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. Notre-Dame de France se fait ainsi l’apôtre de la conciliation entre l’Occident et l’Orient » 444 .

Notes
433.

Le choix de Notre-Dame de France pour cet hospice reviendrait à Mgr Poyet, vicaire général du patriarche, qui propose ce nom aux pèlerins de la caravane de 1886, et qui est adopté à l’unanimité.

434.

MAE, Nantes, Jérusalem, A, 81, les assomptionnistes, Lettre du ministre des Affaires étrangères au consul de France à Jérusalem, le 20 juin 1882.

435.

MAE, Nantes, Jérusalem, A, 81, les assomptionnistes, Lettre du consul de France à Jérusalem au ministère des Affaires étrangères, le 26 juillet 1882.

436.

M. Chalendard, A Jérusalem, Notre-Dame de France (1882-1970), Paris, Editions Téqui, 1984, p.20.

437.

MAE, Nantes, Jérusalem, A, 81, les assomptionnistes, Lettre du consul de France à Jérusalem au ministère des Affaires étrangères, 25 novembre 1882.

438.

Il est également partie prenante dans l’élaboration et la construction de l’édifice de Notre-Dame de France.

439.

Abbé Lespinasse, Notre-Dame de France, Paris, 1891, p.57.

440.

Lettre du Père Athanase au Père Bailly, le 13 mars 1899, AAJ.

441.

Echos de Notre Dame de France, n)8, janvier 1891.

442.

Abbé Conil, Jérusalem moderne. Histoire du mouvement catholique actuel dans la Ville Sainte, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1894,p.189.

443.

Abbé Lespinasse, op. cit., p.81.

444.

Dominique Trimbur, Une présence française en Palestine, Notre-Dame de France, bulletin du CRFJ, n°3, automne 1998.